En secret - Le destin de Thérèse Raquin
Un grand merci à Condor Entertainment pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « En secret - le destin de Thérèse Raquin » de Charlie Stratton.
« Dieu a donné beaucoup mais il y a toujours des contreparties à payer. Il a pris la santé de Camille. Tu es son ange gardien à présent. »
Mariée de force avec son cousin, un égoïste souffreteux, Thérèse rêve d’échapper au foyer et à la domination de sa tante qui vit avec eux. Le jour où elle croise le regard de Laurent, un ami de la famille, elle tombe amoureuse sur le champ… au point d’échafauder un plan radical afin de retrouver la liberté.
« Tu deviendras une Madame Raquin, tout comme moi. Estime-toi heureuse ! »
D’une manière assez générale, l’œuvre d’Emile Zola a fait l’objet de nombreuses adaptations sur grand écran. On se souvient notamment de « Nana » (par Jean Renoir en 1926 puis par Christian-Jaque en 1955), « Au bonheur des dames » (par Julien Duvivier en 1930 puis par André Cayatte en 1943), « La bête humaine » (par Jean Renoir en 1939 puis par Fritz Lang, sous le titre « Désirs humains » en 1954), ou encore « Germinal » (par Yves Allégret en 1962 puis par Claude Berri en 1993). Mais de tous ses romans, c’est sans aucune doute « Thérèse Raquin » qui fut le plus adapté au cinéma. On compte ainsi déjà pas moins de quatre adaptations : deux versions muettes (par l’italien Nino Martoglio en 1915 puis par le français Jacques Feyder en 1928), puis celle (la plus connue) de Marcel Carné en 1953 avec Simone Signoret. Et enfin une version « exotique » et largement revisitée du sud-coréen Park Chan-Wook avec « Thirst, ceci est mon sang » en 2009. « En secret - le destin de Thérèse Raquin » est donc la cinquième adaptation cinématographique du roman de Zola, et la première adaptation américaine. Signée du réalisateur Charlie Stratton - jusqu’ici réalisateur de séries télé et dont il s’agit ici du premier long métrage - le film a connu quelques aléas en matière de casting : longtemps attachés au projet, Kate Winslet (puis Jessica Biel), Gerard Butler et Glenn Close devaient initialement composer le trio principal du film avant finalement de jeter l’éponge. C’est donc Elizabeth Olsen, le très en vogue Oscar Isaac et Jessica Lange qui héritent finalement des rôles principaux.
« Ce sont toujours les créatures les plus discrètes dont il faut se méfier »
Pris en étau entre deux révolutions – la première, celle de 1789, conduira à un changement radical de société et à une instabilité politique longue de plusieurs décennies et la seconde, industrielle, engendrera le progrès technologique en même temps que l’émergence d’une classe d’un nouveau genre, le prolétariat – le 19ème siècle fut un siècle des plus tourmentés. Il fut aussi le siècle de tous les paradoxes et des confrontation sociales, opposant d’une part une aristocratie déclinante et très conservatrice à une classe ouvrière miséreuse et animée par de nouvelles théories socio-économiques révolutionnaires. La littérature de l’époque fut donc très marquée par ce contexte social prégnant, les grands auteurs de cette période (Balzac, Maupassant, Hugo, Zola…) se faisant les témoins fidèles de cette période si dure. Mais le 19ème siècle fut aussi le temps des grandes héroïnes romanesques, fougueuses et passionnées, éprises de libertés que la société – encore largement misogyne – refusait alors aux femmes. Malheureuses, mal mariées, en proie à l’ennui et à la mélancolie, Thérèse Raquin apparait ainsi comme une lointaine cousine d’Emma Bovary ou de Marguerite Gautier, la « Dame aux camélias » de Dumas fils. Car « Thérèse Raquin » est avant tout l’histoire d’un amour interdit, d’une passion charnelle (donc répréhensible) et destructrice qui poussera ses (anti)héros jusqu’à la folie et au meurtre. C’est aussi un récit moral, qui questionne la notion de culpabilité dans une époque aux mœurs rigides. Bien que prenant quelques libertés par rapport au roman original (contrairement aux écrits de Zola, Laurent est ici plus machiavélique que Thérèse, le film fait également l’impasse sur son obsession maladive du meurtre de Camille qui l’empêche a posteriori de peindre), le film de Charlie Stratton retranscrit bien le Paris ouvrier de 1860, sale et poisseux ainsi que ce conformisme social, à la fois austère et conservateur, qui pèse telle une chape de plomb sur une société ennuyeuse et sans joie. En revanche, du point de vue de sa mise en scène et de sa direction d’acteur, le réalisateur se montre malheureusement un peu trop sage et peine visiblement à insuffler la passion et la folie que requérait une œuvre de cette ampleur. Dommage, car derrière, ses interprètes livrent globalement une prestation d’une très grande qualité, qu’il s’agisse d’Elizabeth Olsen, habitée dans le rôle-titre, ou de la grande Jessica Lange, dont l’expressivité du regard – seul moyen pour son personnage devenu impotent de faire passer sa douleur et sa colère – est d’une rare puissance. « En secret – le destin de Thérèse Raquin » est au final une version « hollywoodienne » plutôt agréable et visuellement réussie du chef d’œuvre de Zola, qui aurait néanmoins mérité un traitement un peu moins lisse avec l'introduction d'un petit peu plus de folie et d'émotions.
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Le blu-ray : le film est proposé en version originale américaine ainsi qu’en version française. Des sous-titres optionnels français sont également disponibles. Côté bonus, le film est accompagné de scènes coupées, des commentaires audio du réalisateur Charlie Stratton et des producteurs Pete Shilaimon et Mickey Liddell.
Edité par Condor Entertainment, « En secret – le destin de Thérèse Raquin » est disponible en dvd ainsi qu’en blu-ray depuis le 27 mai 2016.
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