Prisonnier de la haine
Un grand merci à Sidonis Calysta pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Prisonnier de la haine » de Henry Hathaway.
« C’est rare que des étrangers viennent s’installer par ici »
Rongé depuis l’enfance par la volonté de se venger de ce père qui l’a abandonné, lui et sa mère mourante, le bagarreur Matt Matthews vend une parcelle de ses terres à un vieil homme qui dit s’appeler Daniel Howitt.
Il ignore à ce moment-là que ce bienveillant étranger pourrait justement être son père et qu’il porte en lui de lourds secrets.
« Peut-être qu’une mauvaise terre, comme les gens mauvais, a besoin de quelqu’un qui s’en occupe »
Né dans les dernières heures du 19ème siècle au sein d’une famille de comédiens de théâtre, le jeune Henry Hathaway grandit en même temps que la jeune industrie naissante du cinéma. Enfant acteur au début des années 10, il cumulera au cours de la décennie suivante divers petits boulots au sein des studios, grâce auxquels il acquerra une réputation de solide technicien. Profitant de l’avènement du cinéma parlant qui rebat un peu les cartes, il est ainsi promu réalisateur au début des années 30. Homme de studio parfois considéré à tort comme un « Yes man », Hathaway exécute les commandes, passant avec agilité d’un genre et d’un registre à l’autre au gré des modes du moment. Remarqué pour le drame « Peter Ibbetson » (1935), il se spécialise durant les années suivantes dans le film d’aventures (« Les trois lanciers du Bengale », « Âmes à la mer ») puis dans le film noir au cours des années 40 (« Le carrefour de la mort », « Appelez Nord 777 ») avant finalement de se consacrer au western à partir des années 50 (« L’attaque de la malle-poste », « Le jardin du diable », « La conquête de l’ouest », « Cent dollars pour un shérif »). En 1941, quelques mois avant l’entrée en guerre des Etats-Unis, il sort « Prisonnier de la haine » (initialement sorti en France sous le titre « Le retour du proscrit »), adaptation du roman éponyme de Harold Bell Wright. Pour l’anecdote, il s’agit du premier film de John Wayne en couleurs.
« Un jour il vous regardera et se verra dans vos yeux »
« Prisonnier de la haine » ou le film qui ne va jamais là où on l’attend. On nous promettait un western avec John Wayne, son chapeau et son fusil, traversant les paysages sauvages des Monts Ozarks. Et puis en fait non, il n’en est rien. Pas de fusillades à l’horizon ni de vilain tyran à déloger. Le western promis relève plutôt du (mélo)drame rural, centré sur les péripéties d’une vieille communauté reculée dont l’équilibre sera troublé par l’irruption d’un mystérieux inconnu venu s’installer parmi eux. Une arrivée qui fera resurgir les tensions entre les clans autant que les vieilles superstition, à l’origine de bien des maux qui rongent cette communauté. Reste que le cinéaste se fait hésitant, ne sachant jamais véritablement quelle tonalité donner à son film, qui flirte tour à tour avec la chronique, la tragédie et même le fantastique, sans jamais vraiment se fixer un cap. Le spectateur, lui, se retrouve embarqué dans un récit extrêmement lent dont les enjeux paraissent pour le moins abscons. Et ce d’autant plus que la véritable identité de l’étranger se devine assez vite. Surtout, on est un peu troublé par les énormes similitudes entre ce film et « La fille du mois maudit », réalisé par Hathaway trois ans plus tôt et qui partagent non seulement les mêmes décors mais aussi - dans les grandes lignes du moins - une même trame narrative. Il en résulte une impression étrange, comme si le réalisateur procédait à une relecture de son propre film mais en moins maitrisée. On se consolera donc avec ce casting de prestige (John Wayne, Harry Carrey, Beulah Bondi, Ward Bond...) qui mérite à lui seul le détour, ainsi qu’avec les sublimes décors, magnifiés par un Technicolor flamboyant, qui donnent lieu à quelques-unes des plus belles scènes du film (notamment lorsque la doyenne retrouve la vue). Trop insaisissable pour être véritablement plébiscité, le film n’est pas désagréable pour autant à regarder. Un Hathaway en mode mineur qui constitue en tous cas une véritable curiosité.
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Le blu-ray : Le film est présenté en version restaurée, en version originale américaine (2.0). Des sous-titres français sont également disponibles.
Côté bonus, le film est accompagné de deux présentations respectivement signées Bertrand Tavernier et Patrick Brion.
Edité par Sidonis Calysta, « Prisonnier de la haine » est disponible en DVD ainsi qu’en blu-ray depuis le 12 septembre 2017.
Le site Internet de Sidonis Calysta est ici. Sa page Facebook est ici.
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