Les autres
« Cette maison est comme un navire : la lumière est comme leau qui sinfiltre et quon repousse en fermant les portes et les rideaux. Cest la vie de mes enfants qui est en jeu »
Jersey, 1945. Grace vit seule avec ses enfants dans un grand manoir isolé, attendant son mari parti au front. Ses deux enfants, Anne et Nicolas, sont atteints dun mal étrange les obligeant à vivre reclus dans la maison, la moindre morsure de la lumière du jour leur causant dirréparables lésions. Obligés de vivre reclus dans lobscurité de la maison, Grace, débordée par les évènements, se repose en partie sur ses trois nouveaux domestiques. Mais la cohabitation est difficile, ceux-ci devant se plier à des règles de vie stricte pour ne pas mettre en péril la santé des enfants. Pourtant, les règles sont régulièrement bafouées depuis larrivée des nouveaux domestiques, qui nient en bloc toute responsabilité dans ces évènements
« Je refuse de demander pardon à la Sainte Vierge pour quelque chose que je nai pas fait : il y avait vraiment un petit garçon dans la chambre »
Réalisateur espagnol dorigine chilienne, Alejandro Amenabar est incontestablement le petit prodige du cinéma espagnol. Affectionnant particulièrement les genres du thriller, de lépouvante, de lhorreur, et du paranormal, il apparaît aujourdhui comme le chef de file de toute une génération de talentueux jeunes réalisateurs ibériques qui ont fait en quelques années de lEspagne le pays le plus dynamique et créatif en terme de films dhorreur et dépouvantes (« Rec », « Lorphelinat »). Réalisateur de quatre longs métrages au total (« Tésis » en 1996, « Ouvre les yeux » en 1998, et « Mar Adentro » en 2005), « Les autres », son troisième long réalisé en 2001, demeure son unique expérience internationale. Etant à lorigine du remake américain de « Ouvre les yeux » (en loccurrence « Vanilla sky » en 2000), il nest donc pas étonnant de retrouver Tom Cruise dans le rôle de producteur exécutif du film. De ce fait, il nest pas non plus étonnant de retrouver Nicole Kidman dans le rôle principal, cette dernière étant alors la compagne de Cruise. Pour la petite histoire, si laction du film est censée se passer à Jersey, le film a en fait été tourné dans un grand manoir sur la côte ouest de lEspagne.
« Il ny a rien dinvraisemblable dans tout cela. Je crois que le monde des morts rencontre parfois le monde des vivants. Il ny a pas toujours dexplications rationnelles »
On connaît le goût prononcé et le talent des jeunes réalisateurs espagnols pour le genre du fantastique et de lépouvante. Premier film international pour Aménabar, « les autres » - porté par lincontournable Nicole Kidman est vite devenu une référence en la matière. Il faut dire que le film renoue avec une certaine tradition dun cinéma dangoisse qui avait connu de beaux jours des années 40 à 60. Ultra classique, il se caractérise surtout par la grande sobriété de son scénario, ainsi que par la quasi absence deffets spéciaux et visuels marquants. Ainsi, comme dans le cinéma dHitchcock, on ne trouvera pas ici de scènes gores ou violentes, le réalisateur préférant sappuyer sur une large palette deffets de style inhérents à ce genre (grincements de portes et descaliers, voix et bruits suspects, pénombre), qui, étant bigrement efficaces, instaurent avec subtilité et réussite une ambiance anxiogène franchement glauque. Samusant avec ces artifices classiques (brouillard, musique classique résonnant dans une grande bâtisse vide, photos de morts), Aménabar aborde intelligemment des thèmes difficiles, comme le rapport à la mort, nous renvoyant face à nos propres angoisses et à nos propres peurs, et créant par là-même frissons et tensions. Dommage cependant que lapothéose promise dans le switch final soit prévisible dès la moitié du film. Combinée à une certaine lenteur qui aurait pu être de bon ton, et à une trop large épuration visuelle, le film peine malgré tout à surprendre et à foutre la trouille. Néanmoins, avec beaucoup dintelligence, le scénario prend le temps de développer ses personnages ainsi que leur passé, donnant à ce long une ambiance singulière et attachante, qui compense en partie le manque defficacité dans la peur.
« Cette maison est à nous, nous navons pas à en partir »
Classique et soigné, tels pourraient être les mots les plus à même de qualifier la mise en scène des « Autres ». Film maîtrisé, on pourra tout juste reprocher à son réalisateur un côté trop appliqué et trop lisse. Un petit manque de folie ou doriginalité qui aurait pu donner un peu plus de singularité au film et combler les lacunes en terme de trouille du scénario. Visuellement, la très belle photographie, toute en clair-obscur et en couleurs froides, participe à la tonalité anxiogène de lensemble. A noter quà linstar de la réalisation et du scénario, Alejandro Amenabar signe également la musique du film. Du côté des comédiens, Nicole Kidman crève littéralement lécran dans ce rôle de mère solitaire, larguée, et trop rigide. Elle brille dautant plus quelle est de toutes les scènes. A ses côtés, les deux enfants sont bluffants de naturel et de maturité pour leur âge, et évitent magistralement le côté « tête à claques ». Mention donc aux jeunes Alakina Mann et James Bentley. Film original et maîtrisé, « Les autres » réussit lexploit dévoluer loin des sentiers battus de ce genre pourtant ultra balisé quest le film dépouvante. Non content de ramener le genre vers plus dépure, Amenabar parvient également à insuffler un peu de romantisme et de vie à cette histoire. Pas mal pour un film traitant de la mort ! Dans ces conditions, on ne pourra que regretter que la chute du film soit aussi prévisible et que ces « Autres » ne parviennent jamais vraiment à nous effrayer. A défaut dêtre un chef duvre, « Les autres » demeure un bon film, qui à lévidence en aura inspiré depuis beaucoup dautres (« lorphelinat »).
Commenter cet article