Breezy
« - Vous nêtes pas trop jeune pour fumer ?
- Sil y a un âge limite, cest à vous darrêter »
Californie, début des années 70. Breezy, 20 ans, est une jeune hippie vivant de manière insouciante, au gré de ses rencontres. Sans domicile fixe à proprement parler, traversant les Etats-Unis pour voir locéan Pacifique, elle vivote chez les uns, chez les autres, chez des amis, ou des garçons dun soir, et sillonne la vallée en stop avec sa guitare sur le dos. Un jour, elle est prise en stop par un pervers qui menace de la violer. Arrivant à fuir le véhicule, elle se retrouve perdue au beau milieu de la vallée. Trouvant refuge devant une des rares maisons des environs, elle sinvite dans la voiture de Franck, le propriétaire des lieux. La cinquantaine bien portée, séducteur, et agent immobilier aisé, il représente pourtant à priori lexact contraire de Breezy. Pourtant, le courant passe assez vite entre eux, Breezy trouvant en Franck un homme capable de la raisonner, tandis que Franck trouve en elle le grain de folie qui manquait à sa vie trop routinière. Leur histoire devient très vite passionnée. Pourtant, en raison de leur différence dâge, elle est mise à mal par le regard désapprobateur des autres
« Je ne me suis jamais réveillé nulle part en regrettant dêtre là. Je ne pense pas que ce soit votre cas »
Sorti sur les écrans en 1973, « Breezy » est la troisième réalisation de Clint Eastwood après « Un frisson dans la nuit » en 1972, et « Lhomme des hautes plaines » en 1973. Ce film se distingue également du fait que pour la première fois, Eastwood se contente de diriger le film sans passer devant la caméra. Malheureusement, « Breezy » est sorti quelques mois après que Clint Eastwood ait endossé pour la première fois le rôle de lInspecteur Harry. Violent et macho, le rôle, en dépit de son succès, aura valu au comédien les foudres dune partie de lopinion et de la critique, qui bouderont de fait « Breezy » malgré ses qualités. Le film sera ainsi un véritable échec au box-office (le plus gros échec commercial en tant que réalisateur pour Eastwood), affectant personnellement le réalisateur qui attendra quinze ans et « Bird » en 1988 avant de réaliser de nouveau un film sans jouer dedans. A noter, pour lanecdote, que Eastwood apparaît indirectement dans le film, les deux personnages allant en effet au cinéma voir « Lhommes des hautes plaines » sorti sur les écrans la même année.
« Pour un solitaire et une non-motorisée, nos routes se croisent souvent »
Derrière ses airs de petites comédies romantiques banales, Eastwood nous livre, comme à son habitude, un très grand film, injustement snobé lors de sa sortie. Reprenant des thèmes qui lui sont chers, tels que la liberté ou la tolérance, il nous propose une histoire peu banale, celle dune romance entre une jeune femme et un homme dâge mûr séparés par plus de trente ans. Le genre dhistoire allant plutôt à lencontre des idées établies, dune certaine morale, et propres à déranger lopinion. Pour autant, loin de tout discours moralisateur ou provocateur, Eastwood se contente de nous raconter cette belle histoire damour, faites de petites choses finalement simples et banales, sans jamais porter de jugement. Ce qui ne lempêche pas de garder une certaine lucidité quant aux chances minimes de voir cette relation durer sur le long terme. Avec une finesse incroyable, « Breezy » nous émeut par le rapprochement de ces deux personnages que tout oppose, du statut social aux idées en passant par lâge. Breezy, comme son nom lindique, est un courant dair, libre, vivotant sans contraintes. Orpheline, elle trouvera en Franck la figure autoritaire et protectrice capable de la raisonner. A linverse, Franck, qui mène alors une vie de solitaire sans réelles passions, voit en Breezy le grain de sel qui manque à sa vie, capable de réveiller en lui linsouciance et limprévu quil croyait perdus. Une sorte de dernier amour providentiel tombé du ciel avant quil ne soit trop tard pour lui. Si le couple est à lopposé du conformisme social, sa liberté et son en faisant sa réussite, il stigmatise également les failles des autres couples, plus standards. Ainsi, du meilleur ami lassé par sa femme et rêvant daventures extra-conjugales tout en étant incapable de sacrifier son petit confort rassurant, à lex de Franck, mariée de dépit à un autre homme, et qui cherchait davantage en lui un statut social, la vision du couple formaté par la société et privé de liberté et de folie est assez triste, et en opposition totale à la simplicité et à la liberté unissant Breezy et Franck. A travers eux, Eastwood peint aussi une certaine époque, celle de lAmérique du début des années 70, marquée par la fin de la guerre du Vietnam, qui aura divisée profondément la société américaine. Breezy et Franck sont ainsi les représentants de ces deux Amériques ne se comprenant pas : lune, jeune et insouciante, privilégiant la liberté, et lautre, plus âgée, plus conservatrice, dirigée par le matérialisme et largent. A travers eux, Eastwood rêve aussi certainement dune paix retrouvée et de tolérance.
« Je nai jamais été aussi aimée quavec lui : jétais sa première pensée le matin, et sa dernière le soir »
Côté réalisation, Eastwood surprend par sa maturité compte tenu que ce « Breezy » nest que son troisième film. Très sobre, parfois minimaliste, la réalisation se fait ici toujours discrète, au point de seffacer la plupart du temps devant les deux acteurs principaux, dont on pénètre ici lintime. La direction dacteur dEastwood est une nouvelle fois formidable, dune justesse infinie. Les deux comédiens livrent ainsi des prestations de haut-vol, marquées par une incroyable sincérité et sensibilité. William Holden est formidable en homme mûr et séduisant, à la fois amoureux et fragilisé par la vision du monde extérieur et par sa propre morale. Face à lui, Kay Lenz habite littéralement son personnage, faite à la fois de candeur, de joie de vivre, et de sensibilité. Tel un rayon de soleil, elle illumine littéralement le film de sa présence. A noter également la très bonne musique du film, collant parfaitement à lambiance de cette époque, signée Michel Legrand. Une musique qui lui vaudra une nomination aux Golden Globes.
« Qui sait ? Nous tiendrons peut-être un an ? »
Au final, Clint Eastwood signe avec « Breezy » probablement un de ses plus beaux films. Histoire damour hors normes dans une société éclatée et conservatrice, il nous livre un très frais, très juste et très émouvant portrait empreint de romantisme et de liberté, sans jamais porter le moindre jugement moral. Fort dune mise en scène sobre et sensible, le film fait la part belle aux comédiens, en particulier son duo principal composé dun William Holden très sobre et touchant, et dune pétillante et lumineuse Kay Lenz. Assurément lun des plus beaux films dEastwood, mais aussi une des plus jolies histoires damour vue au cinéma.
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