Ceux de Cordura
« Grâce à cette victoire, jaurai peut-être mon étoile de général avant la fin de la semaine. Voilà 39 ans que jattendais cette journée »
1916. Alors que la guerre fait rage en Europe, larmée américaine est au prise avec les troupes de Pancho Villa, dans le désert du Nouveau-Mexique. Conscient de lévolution du monde et de la technologie, les officiers américains savourent les derniers faits de gloire dune cavalerie quils savent déjà obsolète. Chargé dobserver les combats afin de trouver des héros digne de recevoir la Médaille dHonneur et de venter les mérites de larmée en vue de lentrée en guerre des Etats-Unis contre lAllemagne, le Major Thorn choisit quatre hommes qui se sont illustrés dans la bataille. Quatre hommes quil doit ramener vivants à la base, de lautre côté du désert, ainsi quune prisonnière américaine accusée de trahison. Soucieux dappréhender sa propre lâcheté, Thorn veut profiter du voyage pour interroger ses hommes et comprendre lessence même de lhéroïsme. Mais la traversée du désert sannonçant beaucoup plus difficile et périlleuse que prévu, chacun dévoilera son véritable visage
« Quand je suis sorti de ce fossé, jai cessé dêtre une multitude de choses pour nen être plus quune seule : un lâche »
Cinéaste important en dépit dun nombre de réalisations limitées, Robert Rossen (à qui lon doit notamment « Larnaqueur ») signe avec « Ceux de Cordura » son septième long métrage, lavant avant dernier de sa carrière, qui restera comme son unique incursion dans le genre du western. Un western qui nen est pas totalement un et qui aura fait couler beaucoup dencre à lépoque en raison de son discours remettant en cause les valeurs de larmée américaine, de ses héros et de leurs décorations. Plusieurs stars de lépoque, connues pour leur conservatisme et leur patriotisme, comme John Wayne, attaqueront ouvertement ce film. Un film marqué surtout par son tournage difficile, Gary Cooper, malade, jouant ainsi contre lavis de ses médecins, tandis quun accident grave sur le tournage blessera sérieusement le dos du comédien Dick York, au point de lui faire mettre un terme prématurément à sa carrière quelques années plus tard, en 1969.
« Un acte de lâcheté ne fait pas dun homme un lâche à vie. De même quun acte de bravoure ne fait pas de lui un héros »
Western crépusculaire, « Ceux de Cordura » fait partie de ces films (avec « Coups de feu dans la sierra ») de la fin des années 50 qui ont annoncé la fin de lère du western classique. Avec une part dinconscience (il sagit de lavant avant dernier film de Gary Cooper, légende sil en est du genre, qui décèdera quelques mois plus tard), et une part intentionnelle (le récit se déroule en 1916, et les officiers de cavaleries sont conscients de leur obsolescence et de mener les dernières batailles épiques du genre). Mais la force du film nest pas de suivre ses hommes, destinés à être médaillés pour leur courage au combat, prisonniers du désert. Ce qui intéresse Robert Rossen ici, cest de mener une réflexion sur la notion de bravoure et dhéroïsme. De sonder lâme de ces hommes pour trouver ce quil y a en eux dhéroïque, de comprendre ce qui a motivé leurs actes de bravoure. Une question existencielle pour le commandant chargé de les ramener vivant à la base et de proposer leur décoration puisque celui cache le lourd secret davoir eu un comportement lâche devant ses hommes quelques semaines plus tôt en pleine bataille. Pourtant, et cest là toute la force de ce film, lhéroïsme nest pas là où lattend. Car Rossen prend un malin plaisir à nous montrer que le bien et le mal sont présents en chacun de nous, que les hommes capables du plus grand courage sont aussi capables des pires atrocités et de la pire bêtise. A limage de ces soldats qui se révèlent à lapproche dune situation de crise particulièrement vils et lâches. Pire que des animaux. Car derrière les « héros » capables du sacrifice au front se cachent en fait de potentiels violeurs, tueurs sans scrupules assoiffés de sang, des rats sans foi ni lois, cupides et maitres chanteurs. Fable morale oblige, ce sont les trois personnages initialement les plus ambigus qui se révèlent après un long chemin de croix (le commandant lâche se révèle finalement admirable de dévotion et de sacrifice pour ramener à bien ses brebis en dépit de leurs menaces, la traitresse se montre pleine de compassion pour le vrai héros du film et se sacrifie également charnellement pour lui permettre de mener à bien sa mission, le soldat ayant perdu la foi la retrouve après une longue crise de fièvre qui manque de lui être fatale) les véritables héros de cette histoire, se rachetant par leur propre sacrifice et leurs actes de bravoure. Une vision particulièrement subversive pour lépoque, puisque critiquant ouvertement les valeurs de larmée américaine et les hommes qui la composent. On en retiendra également la mise en scène très Fordienne de Rossen, notamment dans son aspect contemplatif et dans son utilisation des décors. A noter également la géniale interprétation toute en sobriété de Gary Cooper, qui, utilisé à contre emploi, trouve là un de ses meilleurs rôles. Ce dernier est dailleurs entouré par des seconds rôles de grande qualité, comme Rita Hayworth, Tab Hunter, et surtout Van Heflin. Dune modernité incroyable pour son époque, « Ceux de Cordura » est clairement un film à voir.
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