Les chansons damour
« As-tu déjà aimé pour la beauté du geste ? »
On connaît Christophe Honoré. On connaît le petit prodige du cinéma français à la réalisation inspirée. Et on sait également quil est capable du pire (lodieux « Ma mère »), comme du meilleur (le très réussi « Dans Paris », belle surprise de lautomne dernier). Pour la première fois en compétition officielle à Cannes cette année, il présente son cinquième long métrage, « Les chansons damour ». Si le titre nest pas trop accrocheur, en revanche, le film laisse une grande place aux chansons (toutes originales), interprétées par les acteurs eux-mêmes. Même si à priori je ne suis pas fan de ce genre de films, ceux-ci sont tellement rares en France que ma curiosité me poussait à aller le voir. Me voilà donc ce mercredi, jour de sa sortie nationale, vers 16h30 à lUGC Odéon. Je ne savais pas encore à quelle sauce jallais être mangé, ni que jallais assister à lun des plus gros gâchis de lannée. Explications.
Tout dabord, je dois vous resituer lhistoire. On est dans Paris, Ismaël travaille dans un journal avec Alice, et est amoureux de Julie. Mais malgré les apparences, il sagit bien dun ménage à trois. Construit à la manière dune pièce de théâtre, en trois actes, la première partie tend à nous exposer les tensions qui naissent dans ce couple hors normes. Jusquà la mort brutale de Julie. La seconde partie nous montre comment les protagonistes vivent ce deuil, souvent intérieurement, ainsi que leurs souffrances et le difficile retour à la vie. Enfin, la dernière partie sattache à nous montrer la renaissance dIsmaël, qui se laisse séduire par un jeune lycéen. Le tout pimenté de chansons damour.
« Content de voir que tu le vis bien Ismaël, ça nous porte tous »
Avant daller plus loin, je dois reconnaître une chose à Christophe Honoré : cest un excellent réalisateur. Il men avait déjà convaincu avec son excellent « Dans Paris », et ce film na fait que confirmer ce que jen pensais. Il a un sens du cadrage exceptionnel, choisit des mouvements de caméra qui semblent instinctifs et qui offrent une vraie fluidité dans limage. Il filme avec une certaine vérité les êtres quil observe. En cela, il y a quelque chose de proche du cinéma de la « Nouvelle Vague » chez lui.
Maintenant, on a beau avoir du talent pour la mise en image dun film, cela ne suffit pas pour faire des bons films. Il faudrait pour cela quil sappuie sur un scénario solide, et non sordide, une histoire qui tienne un peu la route et dans laquelle on pourrait se reconnaître un petit peu, condition sans laquelle on ne peut être touché émotionnellement par le film. Car en cherchant des situations extrêmes et quelque peu irréalistes, par provocation ou par goût, il scie tout seul la branche sur laquelle il sest assis. Du ménage à trois avec deux filles jusquà la résurrection du héros dans les bras dun autre homme, on passe dune situation extrême à une autre, grand écart assez improbable, qui finit par perdre et dérouter le spectateur. Et cest vraiment dommage, car Honoré arrive parfaitement à filmer une certaine vérité dans lexpression des sentiments humains. Mais ses dérives scénaristiques laissent échapper trop fortement des relents puants de parisianisme où la culture bobo (dans ce quelle a de pire à offrir, stéréotypée, sans nuances, bloquée sur un système de pensée très branché et intello, et qui a force dinvraisemblances défendues sans pondération en devient agaçante). Sans parler des références constantes à un Paris toujours très intello et riche qui est en dehors de la réalité (le lycéen qui vit seul avec son frère dans un gigantesque appartement haussmanien, les déclamations en pleine rue dAragon et les bouquins classés intellos quils lisent tous). Surréaliste.
« Aime-moi moins fort, mais aime-moi longtemps »
Et cest vraiment dommage car les chansons originales dAlex Beaupain, sans être dauthentiques chefs duvre, apportent un peu de légèreté à lensemble et sincèrent parfaitement dans le film.
Linterprétation est, quant à elle, beaucoup plus inégale. Chiara Mastroianni est certainement celle qui nous émeut le plus, parfaitement juste dans toute sa douleur contenue. Mais son personnage nest pas assez fouillé et franchement bancal. A force de conviction et de talent, elle finit par réussir à le porter à bout de bras. Lautre surprise vient de la jeune Clotilde Hesme, inconnue jusque là et qui là encore arrive à faire vivre un personnage assez ingrat et pas assez fouillé. Les revenants et trop rares Jean-Marie Winling et Brigitte Roüan jouent juste mais apparaissent finalement assez peu. La déception vient certainement de Ludivine Sagnier, qui semble passer totalement à travers. Ceci dit son personnage meurt après vingt minutes de film pour ne plus apparaître que de loin le temps dune chanson. Le jeune Grégoire Leprince-Rinquet ne sera pas la révélation du film. Il joue aussi mal quil chante. Reste le cas Louis Garrel. Je ne peux pas dire quil joue mal, loin de là même. Mais il y a dans sa présence quelque chose de très dérangeant je trouve. Un côté assez pédant quil met trop en valeur, comme lorsquil cabotine à mort dans sa scène de grimaces à la table de sa belle-famille.
Pour conclure, Honoré nous livre un film très personnel, probablement le plus gros ovni et le plus gros gâchis cinématographique de lannée. Car le pire cest que son film avait du potentiel. Cette histoire damour arraché par la mort aurait du nous bouleverser. Dautant que la mise en scène fluide et aérienne et les fameuses « chansons damour » étaient à la hauteur pour mener à bien le projet. Mais des choix scénaristiques incohérents et incompréhensifs et des personnages mals dessinés finissent par plomber définitivement le film. Comme si Honoré se tirait tout seul une balle dans le pied. Vraiment dommage. On mettra une étoile (sur les quatre autorisées) car sa mise en scène est toujours aussi belle, et que la musique nétait pas désagréable non plus, mais ça ne vaut pas plus.
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