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09 Dec

Cowboy

Publié par platinoch  - Catégories :  #Drames

« Tu sais où commence l’estime de soi ? Dans la reconnaissance et la compréhension de ses échecs » 

Belgique. Daniel Piron est atteint de la crise de la quarantaine. Son couple s’est installé dans une certaine monotonie et bat sérieusement de l’aile en raison de son manque d’implication, et sa vie professionnelle ne l’épanouit guère. En effet, journaliste pour la télévision belge, où il assure la présentation d’un point sécurité automobile, Daniel est loin de ses rêves de terrain et de ses idéaux de jeunesse, fait de révolution, de lutte, et de justice sociale. Des idéaux parfaitement incarnés par Tony Sacchi, jeune idéaliste révolutionnaire, qui avait pris un car d’adolescents en otage vingt-cinq ans plus tôt, en signe de contestation suite au licenciement abusif de son père. Un événement qui a toujours marqué Daniel, qui décide du jour au lendemain de faire un reportage, réunissant vingt-cinq ans après tous les protagonistes de l’événement, afin de réhabiliter Sacchi et son engagement. Mais face à un Sacchi ignoble de cynisme qui est devenu gigolo, et à une société qui a évolué, Daniel va désillusion en désillusion…

 

« J’ai honte de voir ce qu’on est devenu »

 

On avait un peu perdu de vue Benoît Mariage, touche à tout belge, qui s’était révélé en tant que comédien aux côtés de Benoît Poelvoorde dans le cultissime « C’est arrivé près de chez vous » réalisé par le regretté Rémy Belvaux en 1992. Mais plus que tout, l’homme s’était illustré en tant que réalisateur dès son premier long, « Les convoyeurs attendent » (1999), révélant l’incroyable facette plus profonde et sensible de son éternel acolyte. Si son second film, « L’autre » (2004), passera globalement inaperçu chez nous, son troisième film,  « Cowboy », sera davantage médiatisé du fait de ses retrouvailles avec Poelvoorde. Il est important de noter que ce film est inspiré d’un fait divers réel, la prise d’otage d’un bus scolaire le 14 novembre 1980 par Michel Strée, dont le geste inspirera pendant des mois la jeunesse aux idées révolutionnaires, et qui aura marqué fortement la mémoire de Benoît Mariage. 

 

« - Qui va s’identifier à un type qui a pris des mômes en otages ?

   - Il a pas fait que ça. Il a aussi défendu des idées qui étaient aussi les tiennes à l’époque »

 

« C’est drôle de voir ce que nos pensées sont devenues, on était tellement de gauche aujourd’hui on ne sait plus, on compte les plaies les bosses, tout ce qu’en marche on a perdu » chantait Miossec, comme une complainte désillusionnée et générationnelle. Avec son « Cowboy », Benoît Mariage semble lui emboîter le pas. En effet, avec son troisième film, Mariage nous propose une tragi-comédie subtile, entre état des lieux politique et social de la Belgique actuelle, et portrait d’un homme désabusé, symbole d’une génération, qui réalise enfin qu’il a trahi et été trahi par ses idéaux, et qu’il a perdu ses illusions. Et que peut-il y avoir de pire que de perdre ses illusions, ses idéaux, tout ce sur quoi on a fondé sa vie ? Voilà la vaste question que se pose en substance Benoît Mariage à travers le personnage de Daniel, ancien jeune idéaliste contestataire, désormais quadragénaire dépassé et désabusé, qui ne s’est jamais mis en danger pour une lutte, et qui s’est laissé endormir par la vie et par son petit confort. Un constat observé avec beaucoup de justesse et d’humanité, rappelant au passage que nos deux Benoît appartiennent pleinement à cette génération. De cette plongée dans l’intime, Mariage dresse un bilan plus général de la société (chacun en prenant pour son grade !), où les anciennes icônes révolutionnaires et engagées se retrouvent vieux cons cyniques, cupides, et vendu (à tous les sens du terme puisque Sacchi est gigolo), où les idéalistes ont été manipulés et ont péché de ne pas s’être battus, se retrouvant vingt ans plus tard frustrés tant de ne pas s’être totalement réalisés eux-même que de ne pas avoir fait triompher les idées, vivant dans le compromis d’une société qui ne leur plait pas mais où ils ont leur petit confort. Une société dans laquelle la probité n’existe plus, comme par exemple les médias, qui manipulent la vérité au profit d’une rentabilité espérée toujours plus grande. Si ce constat paraît à première vue complexe et pas très vendeur, on ne pourra que saluer le formidable travail de scénariste de Benoît Mariage, qui réussit toujours, grâce à l’empathie qu’il a pour son personnage principal, à rendre tous les passages les plus durs et les plus mélancoliques, légers et attachants. Bien évidemment, avec de tels sujets, on reste quand même bien loin de la comédie pure. Mais encore une fois, le scénario est brillant et laisse à l’incroyable talent comique de Poelvoorde et de Damiens le soin de désamorcer un certain nombre de situations désenchantées et mélancoliques en nous faisant sourire.

« Tu peux pas savoir ce que je t’ai aimé. Je t’ai défendu jusqu’au bout. Pour tes idées. Pour nos idées. Maintenant je te demande un service : je sais que tu n’y crois plus, mais devant la caméra, essaie de faire semblant d’y croire »

 

Côté réalisation, Mariage prend un malin plaisir à jouer du côté cheap des moyens pour renforcer le potentiel mélancolique de son film et son côté « réel ». Une sensation renforcée par la prédominance d’une luminosité tirant dans les gris, ainsi que par le choix de décors peu attirants (corons, villes et quartiers populaires un peu vétustes, zones industrielles). La direction d’acteurs est toujours aussi bonne, Mariage arrivant à canaliser l’énergie de Poelvoorde et à le pousser dans ses retranchements pour tirer le meilleur de ses émotions. Il sait également se servir de son grand potentiel comique, lui confiant les clés de certaines situations loufoques improbables (comme la reconstitution de la prise d’otage du bus sur le sable ou la scène du crachat). Face à lui, Gilbert Melki est génial en connard cynique. Les seconds rôles sont également excellents, que ce soit Julie Depardieu, qu’on retrouve dans le rôle de la femme de Poelvoorde de nouveau après « Podium » (Moix – 2004). Les deux acteurs sont de très bons amis à la ville et semblent toujours prendre beaucoup de plaisir à jouer ensemble. Quand à François Damiens, si son rôle reste un peu dans la lignée de ce qu’il a déjà pu faire (« OSS 117 », « Dikkenek ») et caricatural, il participe grandement aux côtés de Poelvoorde à créer des moments assez drôles qui détendent pas mal l’atmosphère. A noter que face à eux, la plupart des autres acteurs sont des amateurs.

 

« La vie est un grand carrousel : elle tourne, elle tourne, elle tourne…Il y en a quelques-uns qui l’attrapent, d’autres qui ne l’attrapent pas, et beaucoup, c’est pire, qui ne le voit pas passer »

 

Huit ans après « Les convoyeurs attendent » qui l’avait révélé en tant que metteur en scène, Benoît Mariage nous revient avec une sorte d’ovni cinématographique, marquant ses retrouvailles avec son acteur fétiche et ami de longue date, Benoît Poelvoorde. « Cowboy » nous propose ainsi une réflexion et un constat amer sur la perte de ses illusions et sur la difficulté de se trouver et de s’accomplir soi-même malgré tout. Tragi-comédie grinçante et merveilleusement observée, le film jouit surtout d’un scénario brillant signé Benoît Mariage, et d’une prestation haut de gamme d’un Benoît Poelvoorde qu’on avait pas vu à l’affiche d’un film aussi peu commercial et aussi peu grand public depuis un bon moment. Si le film souffre de quelques défauts (quelques longueurs, quelques problèmes de rythme), on lui reprochera surtout, dans sa forme, de ne pas être très accessible à tous. Il n’en reste pas moins que « Cowboy » est un film original, grinçant et intelligent. A recommander, donc. 

  



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B
Très belle critique, dont je partage tout à fait ton analyse. Excellent film, pas facile d'accès. Petit bémole : Sacchi n'est pas aussi pourri que tu le décrit. Il s'est humainement perdu aux yeux de Daniel...
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