Détention secrète
« - Cest toi qui va linterroger ? Mais tu nes pas qualifié pour ça
- Je vais enfin pouvoir utiliser mon arme »
Egypte. Un attentat suicide est perpétré visant à éliminer un chef local de la police. Si ce dernier sen sort, lattentat, revendiqué par le leader dun groupe terroriste local, Rachid, fait plusieurs dizaines de victimes, dont un agent de la CIA. A lautre bout du monde, Anwar El-Ibraimi est un scientifique biochimiste américain dorigine égyptienne. Alors quil revient dun séjour daffaires au Cap, les autorités américaines larrêtent à laéroport avant quil ne franchisse la douane. Ses origines égyptiennes, la famille quil a sur place, ses connaissances en explosif, et surtout dimprobables contacts avec un certain Rachid en Egypte, tout semble concorder pour en faire un allié des terroristes. Après avoir effacé toutes traces de son passage sur le vol, les autorités les soumettent à un interrogatoire. Clamant sa bonne foi mais sans convaincre ses interrogateurs persuadés de sa culpabilité, Anwar, dont la trace sarrête officiellement au Cap, est transféré en toute discrétion par le biais du programme « Rendition » en Egypte, afin quil soit soumis à des interrogatoires plus musclés et surtout, hors de toute zone de droits. Le tout sous lil novice et désabusé dun jeune cadre de la CIA
« Notre travail est important Douglas. Il est sacré. Nous sauvons des vies »
Les évènements marquants de la décennie (attentats du 11/01/2007, guerre en Irak et en Afghanistan) auront beaucoup influés le cinéma américain. Si le cinéma protestataire, à charge contre le pouvoir en place, sépanouit quelque peu depuis quelques années (notamment lexcellent « Jarhead » de Sam Mendes ou encore « Syriana » de Gaghan), on constate depuis quelques mois une réelle augmentation du nombre de ces films (rappelons les sorties récentes de « Lions et agneaux » de Redford, « Le royaume » de Berg, « Dans la vallée dElah » de Haggis, en attendant « Redacted » de De Palma en février). Le dernier né du genre, « Détention secrète », évoque le programme « Rendition », qui serait en place depuis ladministration Clinton. Ce programme de lutte contre le terrorisme permet à la CIA darrêter discrètement quiconque leur semble suspect, et, en passant outre le droit et les procédures légales (procès, avocat, etc
), de les extrader secrètement vers des pays tiers où la torture nest pas interdite. Cest donc avec un film traitant dun sujet sensible et difficile que Gavin Hood, réalisateur sud-africain de « Mon nom est Tsotsi » (2005), signe ses débuts de réalisateur à Hollywood. Des débuts marqués par casting quatre étoiles (nombreux Oscarisés, tels Meryl Streep, Alan Arkin, ou Reese Whiterspoon, ou encore des stars montantes comme Jake Gyllenhaal), et un tournage international (entre la Californie, Washington, Le Cap, et le Maroc).
« - Cest nouveau pour vous nest-ce pas ?
- Oui, cest ma première séance de torture »
La première chose marquante dans ce film, cest sa construction éclatée à la manière de « Babel » (Iñarritu 2006), avec cette multitude de personnages aux quatre coins du monde, qui ne se connaissent pas mais qui se retrouvent liés par le destin. Reste que ce film ne peut pas se venter davoir un scénario aussi brillamment écrit que celui de « Babel ». En effet, sans véritablement de subtilité et de surprises, le film névite aucun des pièges inhérents à ce genre de scénario : certains personnages sont ainsi sacrifiés au profit de certains autres (lassistant parlementaire ou le personnage interprété par Meryl Streep). De même, le switch final, jouant sur la temporalité du film, ne fait que desservir le film, lui donnant un aspect mélodramatique malvenu, cherchant à tout prix à arracher la larme aux spectateurs. Reste que ce « Détention secrète » soulève une question dactualité et de morale importante, en montrant que le pays qui veut imposer par la force la démocratie dans les autres pays du monde, sest doté des moyens les plus immoraux et totalitaires qui soient. Si le traitement de ce sujet savère nécessaire et louable dans son intention, on ne pourra cependant que regretter que ce scénario manque autant de souffle, dénergie, de conviction, et de mordant. Car ce film se caractérise hélas par un aspect beaucoup trop lisse et « bien-pensant », ne faisant queffleurer en surface les vrais problèmes : difficile ainsi dadhérer aux portraits du jeune kamikaze, dont les motivations et le parcours sont incroyablement simplistes et caricaturaux, tout comme à celui du chef de la police égyptien, brutal et définitivement primaire. Il en va de même pour celui encore plus improbable du jeune idéaliste de la CIA qui nhésite pas à sacrifier sa carrière pour sauver linnocent torturé. Histoire de ne pas blesser les toutes puissantes institutions ? La dénonciation dun programme aussi immoral et flippant que « Rendition » offrait la matière nécessaire pour faire un fantastique brûlot. Dommage que ce « Détention secrète » nen reste quau simple statut de gentil film de commande grand public.
« Quest-ce qui vous tracasse : la disparition dun homme ou la politique de sécurité intérieure des Etats-Unis ? »
Côté réalisation, Gavin Hood accumule les maladresses : trop de longueurs, trop de mollesse, pas assez de tensions, jamais sa mise en scène ne permet vraiment de captiver le spectateur. Pire, lesthetique et le rythme du film le font ressembler davantage à un téléfilm à gros budget quà un réel film de cinéma. Cest dautant plus dommage quil avait à sa disposition un casting quatre étoiles. Mais là encore, entre personnages mal écrits et direction dacteurs laborieuse, difficile de trouver un comédien qui brille particulièrement. Si Meryl Streep est assez flippante en technocrate san s scrupules ni état dâme, elle ne livre pas non plus la meilleure performance de sa carrière. Jake Gyllenhaal quant à lui est étonnement transparent, tout comme Reese Whiterspoon, qui parvient tout juste à éviter que son personnage ne soit trop énervant. Quant à Omar Metwally, son visage de beau gosse colle assez peu à son rôle de scientifique, dautant peu crédible quil ressort trop peu abîmé de cette longue séance de torture. Finalement, dans des rôles assez courts, cest Alan Arkin et surtout Peter Sarsgaard qui sauvent les meubles, tout comme les prometteurs Moa Khouas et Zineb Oukach. A noter également la présence du français Simon Abkarian.
« Si tu veux jouer les purs et durs, va chez Amnesty. La politique, cest lart du compromis, compris ? »
Au final, « Détention secrète » savère assez décevant. Certes, il a pour but de dénoncer linhumain programme américain « Rendition », ce qui est en soi une démarche louable. Certes, le film se laisse regarder malgré sa longueur et quelques flottements, et est assez distrayant. Mais le traitement dun tel sujet, avec à sa disposition autant de moyens et dacteurs talentueux, méritait un meilleur traitement et nécessitait certainement une prise de position plus poussée et claire. Car on était en droit de sattendre à un véritable brûlot. Dommage que ce film se borne à être un simple divertissement grand public, assez mou et fade, préservant en partie un agaçant happy end à laméricaine. Si « Détention secrète » nest pas un film totalement infréquentable, il nest pas non plus indispensable.
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