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14 Jan

Détention secrète

Publié par platinoch  - Catégories :  #Films Politiques-Historiques

« - C’est toi qui va l’interroger ? Mais tu n’es pas qualifié pour ça…

   - Je vais enfin pouvoir utiliser mon arme »

 

Egypte. Un attentat suicide est perpétré visant à éliminer un chef local de la police. Si ce dernier s’en sort, l’attentat, revendiqué par le leader d’un groupe terroriste local, Rachid, fait plusieurs dizaines de victimes, dont un agent de la CIA. A l’autre bout du monde, Anwar El-Ibraimi est un scientifique biochimiste américain d’origine égyptienne. Alors qu’il revient d’un séjour d’affaires au Cap, les autorités américaines l’arrêtent à l’aéroport avant qu’il ne franchisse la douane. Ses origines égyptiennes, la famille qu’il a sur place, ses connaissances en explosif, et surtout d’improbables contacts avec un certain Rachid en Egypte, tout semble concorder pour en faire un allié des terroristes. Après avoir effacé toutes traces de son passage sur le vol, les autorités les soumettent à un interrogatoire. Clamant sa bonne foi mais sans convaincre ses interrogateurs persuadés de sa culpabilité, Anwar, dont la trace s’arrête officiellement au Cap, est transféré en toute discrétion par le biais du programme « Rendition » en Egypte, afin qu’il soit soumis à des interrogatoires plus musclés et surtout, hors de toute zone de droits. Le tout sous l’œil novice et désabusé d’un jeune cadre de la CIA…

 

« Notre travail est important Douglas. Il est sacré. Nous sauvons des vies »

 

Les évènements marquants de la décennie (attentats du 11/01/2007, guerre en Irak et en Afghanistan) auront beaucoup influés le cinéma américain. Si le cinéma protestataire, à charge contre le pouvoir en place, s’épanouit quelque peu depuis quelques années (notamment l’excellent « Jarhead » de Sam Mendes ou encore « Syriana » de Gaghan), on constate depuis quelques mois une réelle augmentation du nombre de ces films (rappelons les sorties récentes de « Lions et agneaux » de Redford, « Le royaume » de Berg, « Dans la vallée d’Elah » de Haggis, en attendant « Redacted » de De Palma en février). Le dernier né du genre, « Détention secrète », évoque le programme « Rendition », qui serait en place depuis l’administration Clinton. Ce programme de lutte contre le terrorisme permet à la CIA d’arrêter discrètement quiconque leur semble suspect, et, en passant outre le droit et les procédures légales (procès, avocat, etc…), de les extrader secrètement vers des pays tiers où la torture n’est pas interdite. C’est donc avec un film traitant d’un sujet sensible et difficile que Gavin Hood, réalisateur sud-africain de « Mon nom est Tsotsi » (2005), signe ses débuts de réalisateur à Hollywood. Des débuts marqués par casting quatre étoiles (nombreux Oscarisés, tels Meryl Streep, Alan Arkin, ou Reese Whiterspoon, ou encore des stars montantes comme Jake Gyllenhaal), et un tournage international (entre la Californie, Washington, Le Cap, et le Maroc).

 

« - C’est nouveau pour vous n’est-ce pas ?

   - Oui, c’est ma première séance de torture »

 

La première chose marquante dans ce film, c’est sa construction éclatée à la manière de « Babel » (Iñarritu – 2006), avec cette multitude de personnages aux quatre coins du monde, qui ne se connaissent pas mais qui se retrouvent liés par le destin. Reste que ce film ne peut pas se venter d’avoir un scénario aussi brillamment écrit que celui de « Babel ». En effet, sans véritablement de subtilité et de surprises, le film n’évite aucun des pièges inhérents à ce genre de scénario : certains personnages sont ainsi sacrifiés au profit de certains autres (l’assistant parlementaire ou le personnage interprété par Meryl Streep). De même, le switch final, jouant sur la temporalité du film, ne fait que desservir le film, lui donnant un aspect mélodramatique malvenu, cherchant à tout prix à arracher la larme aux spectateurs. Reste que ce « Détention secrète » soulève une question d’actualité et de morale importante, en montrant que le pays qui veut imposer par la force la démocratie dans les autres pays du monde, s’est doté des moyens les plus immoraux et totalitaires qui soient. Si le traitement de ce sujet s’avère nécessaire et louable dans son intention, on ne pourra cependant que regretter que ce scénario manque autant de souffle, d’énergie, de conviction, et de mordant. Car ce film se caractérise hélas par un aspect beaucoup trop lisse et « bien-pensant », ne faisant qu’effleurer en surface les vrais problèmes : difficile ainsi d’adhérer aux portraits du jeune kamikaze, dont les motivations et le parcours sont incroyablement simplistes et caricaturaux, tout comme à celui du chef de la police égyptien, brutal et définitivement primaire. Il en va de même pour celui encore plus improbable du jeune idéaliste de la CIA qui n’hésite pas à sacrifier sa carrière pour sauver l’innocent torturé. Histoire de ne pas blesser les toutes puissantes institutions ? La dénonciation d’un programme aussi immoral et flippant que « Rendition » offrait la matière nécessaire pour faire un fantastique brûlot. Dommage que ce « Détention secrète » n’en reste qu’au simple statut de gentil film de commande grand public.

 

« Qu’est-ce qui vous tracasse : la disparition d’un homme ou la politique de sécurité intérieure des Etats-Unis ? »

 

Côté réalisation, Gavin Hood accumule les maladresses : trop de longueurs, trop de mollesse, pas assez de tensions, jamais sa mise en scène ne permet vraiment de captiver le spectateur. Pire, l’esthetique et le rythme du film le font ressembler davantage à un téléfilm à gros budget qu’à un réel film de cinéma. C’est d’autant plus dommage qu’il avait à sa disposition un casting quatre étoiles. Mais là encore, entre personnages mal écrits et direction d’acteurs laborieuse, difficile de trouver un comédien qui brille particulièrement. Si Meryl Streep est assez flippante en technocrate san s scrupules ni état d’âme, elle ne livre pas non plus la meilleure performance de sa carrière. Jake Gyllenhaal quant à lui est étonnement transparent, tout comme Reese Whiterspoon, qui parvient tout juste à éviter que son personnage ne soit trop énervant. Quant à Omar Metwally, son visage de beau gosse colle assez peu à son rôle de scientifique, d’autant peu crédible qu’il ressort trop peu abîmé de cette longue séance de torture. Finalement, dans des rôles assez courts, c’est Alan Arkin et surtout Peter Sarsgaard qui sauvent les meubles, tout comme les prometteurs Moa Khouas et Zineb Oukach. A noter également la présence du français Simon Abkarian.

 

« Si tu veux jouer les purs et durs, va chez Amnesty. La politique, c’est l’art du compromis, compris ? »

 

Au final, « Détention secrète » s’avère assez décevant. Certes, il a pour but de dénoncer l’inhumain programme américain « Rendition », ce qui est en soi une démarche louable. Certes, le film se laisse regarder malgré sa longueur et quelques flottements, et est assez distrayant. Mais le traitement d’un tel sujet, avec à sa disposition autant de moyens et d’acteurs talentueux, méritait un meilleur traitement et nécessitait certainement une prise de position plus poussée et claire. Car on était en droit de s’attendre à un véritable brûlot. Dommage que ce film se borne à être un simple divertissement grand public, assez mou et fade, préservant en partie un agaçant happy end à l’américaine. Si « Détention secrète » n’est pas un film totalement infréquentable, il n’est pas non plus indispensable.  



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S
Totalement d'accord avec ta critique. Je commence même à en avoir même des films hollywoodiens engagés.
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B
C'est en effet, le grand regret de ce film qui aurait du, qui se devait être excellent de par la nature du sujet aussi grave. Peut-être est-ce suffisant pour le public américain ?
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