Le deuxième souffle
« Je suis laffaire dune attention soutenue. Et jattends que la fusillade cesse pour ramasser les survivants »
Paris, années 60. Gustave « Gu » Menda, un célèbre gangster, sévade de prison. Traqué par la police, il traverse la France pour revenir à Paris retrouver ses derniers amis, Alban et Jacques, et surtout Manouche, la femme quil aime depuis toujours. Mais son arrivée est précédée par lassassinat de Jacques dans le club de Manouche, et le racket de celle-ci. Un coup commis par des sbires de Jo Ricci, que Gu sempresse déliminer. La police plus que jamais sur ses talons, règlements de comptes au sein même du Milieu, Gu doit fuir à létranger. Si Manouche lui trouve une planque à Marseille en attendant de pouvoir passer vers lItalie, Gu se sait immanquablement fauché. Par le biais dune vieille connaissance, Orloff, Gu se voit proposer un coup avec la bande à Venture Ricci, le frère de Jo. Un coup énorme et meurtrier qui se déroule sans le moindre problème et qui doit assurer la richesse de Gu. Mais victime dune machination montée par la police, et en particulier par le très intelligent Commissaire Blot, Gu passe pour un donneur auprès de tout le milieu, et de la bande à Venture en particulier. Si certains veulent sa peau, Gu, connu pour son sens de lhonneur et sa régularité dans le Milieu, ne supporte pas de passer pour un donneur. Et il sera prêt à tout pour laver son honneur
« - Allez où vous voulez. Vendez tout et recommencez ailleurs
- Il est bien tard pour changer, Commissaire »
Classique du polar français signé par notre maître national du film noir, Jean-Pierre Melville, « Le deuxième souffle », sorti en 1966, restait jusquici une référence en terme de film policier. Bien que ce ne soit pas mon Melville préféré (« Le Cercle rouge » et surtout « Le samouraï » me semblent être des uvres beaucoup plus fortes), on reconnaîtra à son réalisateur son immense talent pour y créer une ambiance particulière, à la fois glaciale et désespérée. Ce qui sera dailleurs la cause dun désaccord profond avec lauteur du roman original paru en 1958, José Giovanni, qui lui reprochera toujours sa froideur, et davoir occulté la partie romance entre Gu et Manouche, et le fort sentiment damitié qui peut unir quelques-uns des personnages. Un désaccord qui laissera toujours un goût dinachevé à Giovanni, qui ne sopposera jamais à une deuxième version. Et qui mieux quAlain Corneau, ancien assistant et ami de Giovanni, et spécialiste du polar made in France (« Police python 357 » en 1976, « Série noire » en 1979, « Le choix des armes » en 1981, ou encore « Le cousin » en 1997) pour se lancer sur un tel projet ? Dautant que Giovanni lui-même, jusquà sa mort en 2004, aura travaillé en tant que dialoguiste sur le projet. Reprendre un tel classique, appuyé par un énorme casting pouvait avoir un intérêt pour Corneau, dont les derniers films navaient pas franchement rencontré le succès (« Les mots bleus » en 2005, « Stupeurs et tremblements » en 2003, « Le prince du Pacifique » en 2000). Mais quelle en était lintérêt pour luvre à proprement parlé : une deuxième jeunesse, ou un gros coup desbroufe ?
« Je sais bien ce qui cest passé : jai joué et jai perdu »
Si le scénario a permis de faire un grand film par le passé, il faut objectivement reconnaître que le film de Corneau est un gros plantage. Si le scénario, bien que désormais connu, reste efficace, et le message dactualité (un gangster ne supporte pas la dérive de son milieu qui tend à un immoralisme absolu, à quoi fait écho une police où les cadres se méprisent également pour leur différentes méthodes, certains comme Blot mettant à profit leur clairvoyance, tandis que dautres utilisent des méthodes de gangster, immorales, violentes et barbares), ce remake ne nous convainc jamais vraiment. Non pas que les intentions du réalisateur soient mauvaises, loin de là, mais ses partis pris semblent manquer cruellement de pertinence. A commencer par ce choix de resituer le film dans le Paris et le Marseille des années 60. Non pas que cela soit forcément une mauvaise idée, mais loriginal ayant concerné et été tourné à la même époque, cela donne à ce remake un manque flagrant de personnalité et dappropriation de la part du réalisateur qui reste trop dans les pas de son prédécesseur (certains plans semblent dailleurs copié/collé de loriginal). Une réadaptation à notre époque ou dans une autre ville aurait pu donner ce petit sentiment doriginalité, cette personnalité qui fait cruellement défaut à ce film. Dautant que Corneau joue à fond la carte de la reconstitution, nhésitant pas à accumuler les détails anachroniques, bagnoles américaines, costumes dépoque, femme fatale blonde platine (ça ne lui réussit pas, en plus, à Monica !), et par dessus le marché, des grandes tirades parsemées dargot façon Audiard, qui sonnent particulièrement faux de nos jours. En ajoutant à cela la laideur des fusillades, pleines dhémoglobine de synthèse, et dont les ralentis qui cherchent à étirer ces scènes comme un exercice de style, on obtient un film désuet, pour lequel on ne se passionne jamais. Ce qui est plus que regrettable pour un film dune durée aussi longue (2h36 ! soit douze minutes de plus que loriginal), qui paraît de fait sur linstant interminable.
« Il nous envoie un message : il assume ses actes et les revendiques. Noble attitude pour un homme perdu »
Pourtant, il y a quelques bons points à souligner dans la mise en scène de Corneau. On retiendra notamment les choix pertinents du réalisateur pour la lumière et la photographie, ces deux domaines étant particulièrement soignés et léchés. Dautant que Corneau nhésite pas à mettre en valeur ces aspects techniques, qui contribuent à la qualité esthétique du film, qui reste tout à fait respectable. Le casting était également très alléchant, tant peu de films français cette année auront pu se prévaloir de réunir autant de noms prestigieux. Malheureusement, les résultats sont trop inégaux, et certains choix semblent discutables. Ainsi, Daniel Auteuil, qui se bonifie en vieillissant, supporte mal la comparaison avec Lino Ventura qui tenait son rôle dans la version dorigine et qui lui apportait toute son animalité. Monica Bellucci ne trouve pas non plus la solution pour rendre son personnage plus attachant. En outre, après sa prestation pour un rôle assez similaire dans le récent « Shootem up », on ne peut sempêcher de ne pas être pleinement convaincu. Les bonnes surprises viennent donc dun Michel Blanc retrouvé, qui maîtrise parfaitement la fêlure et le cynisme de son personnage, et dun Cantona impressionnant, dont le physique et le caractère se marient parfaitement à ce genre de scénario. Dutronc et Duval, dans les seconds rôles, sont très convaincants également. Petite déception en revanche pour Nicolas Duvauchelle, Gilbert Melki, étrangement absent, et surtout pour Jacques Spiesser, qui narrive pas à donner de volume à un personnage déjà trop transparent.
« Jai trop fait de prison, ça rend sauvage. Après, dans les ennuis, on ne supporte plus personne »
Film attendu à la sortie très médiatique, ce « Deuxième souffle » deuxième du nom faisait partie des gros films français de cette fin dannée. Malheureusement, Corneau, pourtant spécialiste en matière de films policiers, narrive jamais vraiment à séloigner de la version originale signée Jean-Pierre Melville et à sapproprier le scénario. De la pertinence discutable de certains partis pris rendant le film particulièrement désuet, à un casting alléchant mais inégal, Corneau signe probablement une des plus grosses déceptions de lannée. Autant le dire, si le scénario original garde un certain nombre de qualités, ce remake sans âme et sans surprise propose un spectacle fade durant plus de 2h30 durant lesquelles on sennuie ferme. Certes, une plus grande place aura été consacrée à lhistoire damour entre Manouche et Gu, et les sentiments amicaux auront également été plus développés, pour le plus grand plaisir de feu José Giovanni. Mais est-ce que cela méritait de faire un remake dun film qui était déjà très réussi ?
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