Le fantômes de Goya
« Qui croyez-vous quil ait pris comme modèle pour peindre des anges ? Des catins. »
Sept ans (et son « Man on the moon ») quon attendait le retour de Milos Forman aux affaires. Celui qui sétait illustré en réalisant des grands films comme « Vol au-dessus dun nid de coucou », apparaît toujours aujourdhui comme lun des derniers grands réalisateurs européens. Si le choix du sujet de son dernier film (les tourments du peuple espagnols de la reprise de lInquisition au renversement de la monarchie par les troupes Napoléoniennes, vus par trois personnages dont le peintre Goya), inspiré dun roman de Jean-Claude Carrière, semblait prometteur, jamais un film de cet auteur naura suscité autant de polémiques. Recalé dans tous les festivals où il aurait du concourir, campagne de publicité limitée au strict minimum, et critique presse unanimement assassine, cest donc avec beaucoup de pessimisme que je suis allé le voir. Réactions.
« - Savez-vous combien de puissants ennemis vous avez ?
- Heureusement, jai aussi de puissants amis »
Lhistoire :
Espagne, 1792. LEglise sinquiète dun élan libertaire et critique envers le Clergé qui voit le jour suite aux idées des lumières et des grands philosophes, remettant en cause la supériorité de lhomme sur Dieu. En réponse à cela, elle décide de relancer de plus belle la terrible Inquisition. Alors que les arrestations et les tortures se multiplient, ils arrêtent la jeune et innocente Inès, fille de fortunés commerçants et modèle du grand peintre Goya. Alors que sous la pire des tortures celles-ci avoue être hérétique, Goya tente de soudoyer son ami, linfluent Frère Lorenzo, lun des instigateurs du renouveau de lInquisition, pour la faire libérer. Mais contre toute attente celui-ci, fasciné par sa beauté, la viole dans les geôles. Quinze années plus tard, alors que lInquisition et la Monarchie tombent sous le joug des armées Napoléoniennes, le destin réunit de nouveau nos trois personnages pour les confronter aux tourments dune nouvelle époque où finalement peu de choses ont changé.
« - Ma fille a été torturée ?
- Non, elle a subi la question »
Milos Forman na pas forcément eu le nez creux en choisissant de mettre en scène un sujet aussi abscons. Car sur les deux heures de ce film interminable, on est frappé par le nombre dhistoires et de sujets qui sont abordés sans jamais être approfondis comme il se doit. Le principal défaut de ce film réside ainsi dans cette superposition de sujets effleurés et jamais étudiés qui jonchent un scénario bien mal découpé. Ainsi, quid du portrait politique de lEspagne de la fin du XVIIIème siècle ? Et de la Sainte Inquisition qui y sévissait ? Et de la transition politique imposée par la campagne Napoléonienne ? Et plus que tout, en quoi tout cela a pu influencer luvre de Goya ?
Car daprès le titre du film, le fameux peintre espagnol devait être le personnage central. Cest bien lui dailleurs qui occupe le plus lécran. Mais quen est-il de son uvre ? Quelques tableaux apparaissent dans le décor, quelques gravures également. Et sans jamais nous apporter la moindre explication sur cet artiste à linspiration souvent sombre. On évoque vite fait un portrait sans visage. « Un fantôme » dixit le maître lui-même. Voilà à quoi se limitera la partie explicative concernant luvre et les démons du peintre. Les personnages qui gravitent autour seront tout aussi effleurés, jamais creusés, et surtout flingués en raison dellipses scénaristiques desservant totalement le récit. Ainsi, de la jolie et innocente Inès on ne sait rien, on la voit se faire torturer, on devine un viol, et on la revoit quinze ans plus tard folle et flétrie. De même Lorenzo, salopard opportuniste, apparaît très virulent avant de disparaître et de réapparaître par magie. Les ellipses font apparaître des incohérences hallucinantes, et souvent déstabilisantes tant Forman oublie de nous apporter quelques précisions essentielles. Ainsi les parents dInès apparaissent assassinés sans que lon sache comment ni pourquoi, la surdité de Goya arrive dun seul coup sans quon nous explique pourquoi ni ce que cela eut comme influence sur sa vie et son travail, on ne nous donne pas non plus les conséquences de sa peinture ratée de la reine, ni de la séance de torture infligée à Lorenzo par la famille dInès (une des rares scènes vraiment réussies dailleurs). Ne cherchez pas non plus démotions, elles sont restés au placard, pour preuve, le vide émotionnel qui ressort des scènes qui auraient du nous troubler (lexécution de Lorenzo, le viol dInès).
« Je suis sourd à présent, mais tous les jours je remercie le Seigneur de ne pas mavoir ôté la vue »
A cela ajoutons une mise en scène pas très inspirée, dans des décors et des costumes qui sont à la fois jolis sans être grandioses ou crédibles. Côté interprétation, là encore peu de choses à retenir. Stellan Sarsgard manque cruellement de présence et de charisme dans la peau de Goya. Pire, lacteur suédois semble totalement absent. Javier Bardem ne serait pas mauvais mais, à linstar de notre Depardieu dont il a un peu le physique, en fait des tonnes et des tonnes. Quand à la magnifique Natalie Portman, elle réalise une de ses premières contre-performances. Il faut dire que son maquillage excessif après quinze années de prisons est plus ridicule quautre chose.
« Aucune liberté pour les ennemis de la liberté »
Milos Forman, cinéaste respecté sil en est, réalise avec ces « Fantômes de Goya » son premier vrai ratage. Film mineur sil en est, son dernier long souffre dun scénario inconstant, inintéressant et mal découpé. Dans des décors peu convaincants et avec des acteurs peu convaincus, il narrive jamais à redresser la barre. On regrettera notamment labsence de fil conducteur dans un récit beaucoup trop elliptique. On regrettera également un récit qui part dans tous les sens et qui aurait du laisser la place au portrait dun peintre énigmatique, en proie à des sombres pensées, et qui derrière les apparences, remettait en cause toute autorité (ses gravures contre le Clergé, le portrait peu élogieux de la Reine). Un film bien raté, quil nest pas nécessaire daller voir.
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