Le grand alibi
« Cest dangereux, une balle est si vite partie »
Le temps dun week-end, le sénateur Henri Pages et son épouse réunissent famille et amis proche dans leur luxueuse villa. On retrouve là entre autres les deux filles du couple, leur neveu - un écrivain mondain et alcoolique - ainsi que le grand psychiatre Pierre Collier venu avec sa femme, malgré la présence de sa maîtresse, Esther. Bien que personne ne soit dupe, chacun joue hypocritement le jeu pour préserver les apparences. Jusquà ce quon retrouve Pierre assassiné par balle dans la piscine de la villa. Dès lors, les langues se délient progressivement. Non content davoir été lamant dEsther, Pierre trainait un passif de séducteur et dhomme à femmes, et son passé tumultueux cachait des aventures avec la plupart des femmes réunies ce fameux week-end. Dès lors, qui a bien pu assassiner Pierre ? Son épouse bafouée ? Sa maîtresse possessive ? une ancienne maîtresse jalouse ? Un rival désespéré ? Une affaire étrange et complexe que devra résoudre le commissaire Grange
« Lhomme ne grandit pas, ne porte pas denfant, et joue avec des armes »
Film de commande, « Le grand alibi » est ladaptation cinématographique du roman dAgatha Christie « Le vallon », publié en 1946. Si le roman était avant tout une aventure de lenquêteur Hercule Poirot, le réalisateur a décidé en réécrivant le scénario de supprimer le personnage, afin de simplifier la transposition de lhistoire dans la France daujourdhui. Un acte dautant plus justifiable que la romancière en avait fait de même lorsquelle décida dadapter son roman en pièce de théâtre. Si la romancière anglaise a déjà connu les honneurs dêtre adaptée de nombreuses fois sur grand écran (« Témoin à charge » de Wilder en 1957, « Le crime de lOrient express » de Lumet en 1974), son uvre quelque peu désuète ne semblait plus guère passionner les réalisateurs. Finalement, cest en France que les romans dAgatha Christie ont pu renouer avec le grand écran. Fort du succès de ladaptation des aventures de Rouletabille par Podalydès (« Le mystère de la chambre jaune » et « Le parfum de la dame en noir »), cest sous la houlette de Pascal Thomas que luvre de la célèbre romancière retrouvera le chemin des salles obscures, avec « Mon petit doigt ma dit » (2005) et « Lheure zéro » (2007), en attendant, toujours du même réalisateur, « Le crime est notre affaire », prévu pour octobre. Cette adaptation est signé du réalisateur Pascal Bonitzer (« Rien sur Robert » en 1999, « Je pense à vous » en 2006), pour qui il sagit du premier film de commande. A noter quAndré Dussolier, Nicole Garcia, ou encore Marina Foïs ont longtemps été pressentis pour faire parties du casting.
« - Tu nas pas changé en dix ans
- Non, je suis toujours le même salaud hypocrite »
Ladaptation de luvre désormais désuète dAgatha Christie a beau être très en vogue dans le cinéma français du moment, elle a tout du vrai pari casse-gueule. Il faut dire quà lheure des polars américains et asiatiques à lefficacité et à la modernité redoutables, lintrigue façon « Colonel Moutarde dans la cuisine avec le chandelier » na à priori rien pour interpeller ni passionner les foules. Car là encore, le dénouement nest ni surprenant, ni extraordinaire. Mais la grande force du film de Bonitzer, cest davoir réussi à reléguer lenquête à proprement parler au second plan, sintéressant pour lessentiel à létude de ses personnages, à la contradictions de leur apparence et de leurs actes, ainsi quà leur relation entre eux. Bourgeois trop lisses en apparence les anciens amants et les nouveaux conjoints continuent de se fréquenter et de se recevoir tout en cultivant secrètement des rancurs tenaces Bonitzer se livre à une jouissive satire sociale qui na rien à envier aux films de Chabrol de la grande époque. Cest là que le film trouve tout son intérêt, sur ces montagnes de faux-semblants et dhypocrisie.
« Jusque là mes week-ends se passaient admirablement bien. Du moins, sans aucun meurtre. »
Devant la foultitude de personnages, on est dabord impressionné par le casting. Cependant, celui-ci savère finalement assez inégal. Si le toujours génial Lambert Wilson se révèle une nouvelle fois excellent dans ce rôle de séducteur racé, glacial et salaud, les vraies révélations du film sont ailleurs, dans les rôles qui pouvaient apparaître au départ comme secondaires. Ainsi, Matthieu Demy, qui hérite finalement du vrai premier rôle, est la révélation du film. Toujours juste, portant en lui une part de dérision et de cynisme qui ne trouve dégale que sa mélancolie, il crève littéralement lécran en héros faillible. A ses côtés, la jeune Céline Salette se montre toute aussi touchante et convaincante. Enfin, dans un rôle difficile et ingrat, la fragile Anne Consigny confirme tout le bien quon pensait delle. A linverse, les autres comédiens du casting déçoivent quelque peu. Pierre Arditi et Miou-Miou se montrent ainsi un poil trop lisses en héritiers dépassés du cinéma de papa et se laissent voler la vedette. Valeria Bruni-Tedeschi est un peu décevante également car toujours enfermée dans le même registre de la femme séductrice, discrète et peu sûre delle. Enfin, les deux grosses déceptions sont de loin Agathe Bonitzer, la fille du réalisateur, dont le rôle ne sert pas à grand chose si ce nest à mettre en avant sa propre fille. Dans le même genre, le manque de subtilité du jeu de litalienne Caterina Murino, toujours dans lexcès et le faux, est particulièrement frappant et agaçant. Sil narrive pas forcément à se sortir des stéréotypes tels que les décors au luxe cosy, Bonitzer impose cependant une réalisation léchée à ce film, la grande force de sa mise en scène résidant dans le rythme de sa narration, qui colle parfaitement aux uvres de la romancière. En sortant un peu du cadre strict de la simple enquête policière surannée, Bonitzer tente un pari gagnant, son film demeurant dès lors comme une bonne surprise. Pas forcément indispensable, mais divertissant et réussi.
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