Half Nelson
« Un changement, cest le fruit dune lutte entre deux forces opposées qui poussent lune contre lautre»
« Half Nelson » est un film qui a beaucoup fait parlé de lui ces derniers mois, et ce bien avant sa sortie sur nos écrans. En arrachant toute une série de prix, à Deauville et à Sundance notamment, et en obtenant la nomination de Ryan Gosling à lOscar du meilleur acteur, ce petit film indépendant prenait une dimension supplémentaire, devenant un film particulièrement attendu et à voir. « Half Nelson » est le premier long de Ryan Fleck, réalisateur venu du documentaire. A noter que le scénario avait déjà fait lobjet dun court, primé à Sundance, et déjà réalisé par Fleck, également co-scénariste du film. Impressions.
« Tu connais un petit détail de ma vie. Un détail ne fait pas lhomme »
Lhistoire :
New York. Dan est professeur de collège dans un quartier défavorisé. Passionné par son métier et par ses élèves, il simplique fortement dans son travail et tente de faire passer avec conviction un certain nombre didées et de concepts à ses élèves. Il simplique également en entraînant léquipe de basket féminines. Critiqué par ses supérieurs très conservateurs, Dan est pourtant respecté par ses élèves. Mais en dehors du collège, Dan vit une toute autre réalité : écrivain raté, personnage solitaire, il est surtout rongé par une dépendance au crack. Alors que ses proches avancent (son ex petite amie a réussi à décrocher et va se marier, son frère est également heureux en ménage), Dan sisole de plus en plus. Un jour, une de ses jeunes élèves le surprend en train de se shooter. Cette dernière, partagée entre labsence dune mère accumulant les heures de travail pour faire vivre la famille, un frère en prison et des caïds du quartier qui veulent lenrôler dans leurs combines, vit également sur une pente plus que glissante. Une drôle de relation va naître progressivement entre les deux
« Il y a des changements quon contrôle et dautres pas »
Pour sa première réalisation, Fleck nous livre un film très maîtrisé, sappuyant sur un scénario très fort. Malgré le côté glauque de lhistoire (lunivers sordide de la drogue et des shoots) renforcé par des décors et des couleurs toujours sombres et tristes, le scénario ne sombre jamais dans le misérabilisme ou la sensiblerie guimauve à laméricaine, mais porte toujours un regard emprunt de beaucoup dhumanité sur ses personnages. Si le « Half Nelson » est une prise de catch servant à immobiliser ladversaire, cest ici une jolie métaphore sur la situation de deux personnages qui narrivent pas à se défaire de leurs problèmes et de leur condition. Il nest point question ici de rédemption comme Hollywood adore nous en vendre au kilo. Au contraire. Ici on nous parle de changements, de forces contradictoires qui se livrent un combat sans merci et qui finissent par faire bouger les choses. Un changement que prône Dan tous les jours devant ses élèves et quil narrive pas à amorcer pour lui-même. Fleck nous dresse ici un portrait sensible dun jeune homme embarqué inéluctablement dans une folie autodestructrice à laquelle il pense être trop tard pour sopposer, et qui trouve pourtant lénergie et la passion pour tenter de sortir ses élèves de leur conditions, en particulier la jeune Drey quil voit glisser inexorablement sur la mauvaise pente où lentraîne le caïd du quartier. La relation forte entre ces deux personnages cabossés, toute en non-dits, est dune incroyable force émotionnelle.
« Enseigner est la seule chose qui mempêche de devenir fou »
Au niveau de la mise en scène, on soulignera la grande sobriété du travail de Fleck, privilégiant un style épuré et intimiste. On notera également la formidable bande son qui accompagne le film. La scène où Drey se retrouve embraqué à vendre malgré elle du crack à son prof est à ce titre magnifiquement portée par la musique. Ce qui en fait probablement la scène la plus bouleversante de tout le film. Un film qui ne serait peut-être pas de cette qualité sans la remarquable prestation de ses deux acteurs principaux. Ryan Gosling confirme décidément quil est (et de loin) lacteur nord-américain le plus doué de sa génération. Il ne joue pas Dan, il est Dan. Tout en sobriété et dégageant des émotions incroyables jusque dans ses silences et ses regards, il nous livre une prestation extraordinaire, la subtilité de son jeu me faisant parfois penser à celui du grand Montgomery Clift. On ne pourra que se féliciter de voir un tel acteur accepter de jouer dans de tels films à petits budgets. A ses côtés, la jeune Shareeka Epps crève littéralement lécran. Dans un rôle difficile de gamine renfermée, toute en rage contenue, elle brille par sa sobriété et sa justesse, et fait jeu égal avec Ryan Gosling.
« Les secondes chances sont rares, il faut saisir loccasion »
Pour son premier long, Fleck signe un film très abouti et dune grande maturité sur un sujet pourtant difficile et sordide. Avec une grande sobriété et un scénario dune rare justesse et dune rare humanité, il nous dresse un portrait sensible de deux cabossés de la vie, qui vont développer une relation forte, se protégeant mutuellement tout en étant incapable de se protéger eux-mêmes. On retiendra surtout lextraordinaire prestation des deux interprètes principaux. Un film décidément surprenant, probablement une des meilleures surprises de lannée. A voir assurément.
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