Harakiri
Un grand merci à Cinetrafic et à Carlotta qui, dans le cadre de la 7e opération « un DVD contre une critique », m’ont permis de chroniquer le film « Harakiri » de Masaki Kobayashi.
« L’orgueil des gens d’épée serait-il devenu un vain mot dans ce monde affaibli ? »
Au XVIIe siècle, le Japon n'est plus en guerre et le pays est dirigé avec fermeté. Hanshirô Tsugumo, un rônin (samouraï errant) sans travail parmi tant d'autres, décide de frapper à la porte du puissant clan des Ii.
Reçu par Kageyu Saitô, l'intendant du clan, il lui demande la permission d'accomplir le suicide par harakiri dans la résidence. Tentant de l'en dissuader, Saitô commence alors à lui raconter l'histoire de Motome Chijiwa, un ancien rônin qui souhaitait accomplir, lui aussi, le même rituel.
« Cette chose que vous appelez l’honneur du samouraï n’est rien d’autre qu’une façade ! »
Le Chambara – comprendre le film de sabre et de samouraï – fut le genre phare du cinéma japonais jusque dans les années 70. A l’international, il fut popularisé dès les années 50 par Akira Kurosawa (« Rashomon », « Les sept samouraïs », « La forteresse cachée »). Moins connu que ce dernier, Masaki Kobayashi (qui signa également « La condition de l’homme » et « Kwaidan »), fut pourtant l’un des plus grands réalisateurs du genre. Une renommée qu’il doit en grande partie au succès de « Harakiri », réalisé en 1962. Adapté d’un roman de Yasuhiko Takigushi (dont l’adaptation scénaristique est signée du légendaire Shinobu Hashimoto, à qui l’on doit les scénarii des plus grands films de Kurosawa tels « Les sept mercenaires », « Rashomon », « Le château de l’araignée » ou « Les salauds dorment en paix »), « Harakiri » a été récompensé du Prix du Jury lors du Festival de Cannes 1963. A noter que le film a fait l’objet d’un remake (« Harakiri : mort d’un samouraï ») signé l’an passé par Takeshi Miike. Retour sur un film culte.
« Il avait peut-être perdu la tête mais je ne lui en veux pas. Le samouraï est aussi un être humain. Et il est des cas où le sentiment humain l’emporte sur tout. Le cœur d’un homme est un abime de misère »
Pour le cinéphile de base, le chambara se résumait en grande partie aux films de Kurosawa qui y insufflait un héroïsme exacerbé. Kobayashi, lui, préfére y insuffler son humanisme. Le samouraï n’en parait pas moins brave. Il nous rappelle simplement qu’il est - avant tout - un homme, avec ses doutes et ses faiblesses. Construit à la manière de « Rashomon », sur la base d’un récit à la narration éclatée entre passé et présent, « Harakiri » nous fait le récit tragique et désenchanté d’un ancien samouraï devenu malgré lui un rônin, et dont le sacrifice prend des tournures de vengeance. Si la forme, étonnamment lente et bavarde pour un film de sabre, pourra surprendre plus d’un spectateur, force est de constater que Kobayashi soigne l’esthétisme de son film à l’extrême (avec un sens du cadre et une photographie d’une beauté incroyable). Jusque dans les deux moments de bravoure du film (la scène du sabre en bois et celle de l’affrontement final). Mais la grande force du film de Kobayashi réside avant tout dans sa critique du « Bushido » (le code d’honneur des samouraïs) et du système féodal de l’ère Edo, tous deux particulièrement cruels et inhumains. A l’image de la pratique même du « Harakiri » - ou plus exactement « Seppuku » - forme de suicide rituel par éventration au sabre réservée aux samouraïs, censée leur garantir une mort digne et respectable. Ou de la volonté délibérée de taire et de faire disparaître toute trace du sacrifice du héros du journal de bord du clan. Et donc de l’histoire. Ce qui donne encore plus de puissance symbolique au dernier plan du film. Avec « Harakiri », Kobayashi signe donc un film magistral, aussi intelligent (la remise en cause de la tradition, chose rare dans un pays réputé pour le respect de ses traditions séculaires) que sophistiqué. Un pur chef d’œuvre.
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