Julia
« Le vent caresse mon visage comme aucun homme ne le fera jamais »
Californie. Julia, la quarantaine, est enfermée dans une spirale qui tend à lentraîner vers le fond inexorablement. Entre lalcool à haute dose, les hommes dun soir qui ne la respectent pas, et une succession de petits boulots trouvés par son agent de probité, elle senfonce inlassablement. Une nuit dexcès où elle finit par sendormir sur le trottoir, elle est ramassée par une jeune femme qui suit avec elle les réunions des alcooliques anonymes. Cette dernière, Helena, lui raconte sa vie et lui parle de son jeune fils quelle na pas le droit de voir et qui vit chez son richissime beau-père. Vivant très mal cette séparation, elle propose à Julia de laider à kidnapper lenfant et à leur faire passer la frontière mexicaine moyennant une forte somme dargent. Dabord réticente, Julia accepte finalement loffre. Mais Helena ayant menti sur les sommes dargent en sa possession, le projet de rapt tombe à leau. Ne pouvant se résoudre à laisser passer une telle opportunité de gagner assez pour refaire sa vie ailleurs, Julia décide daccomplir seule cet enlèvement, afin de soutirer une large somme au richissime grand-père. Si lenlèvement de lenfant est en soit un succès, le plan savère beaucoup plus compliqué que prévu, en raison dune succession dévènements inattendus et de sa relation difficile avec lenfant
« Ne crois pas que tu as ce pouvoir imaginaire sur les hommes : tu es juste une alcoolique suicidaire et incontrôlable »
Dix années sont passées depuis la révélation tonitruante de son premier film multiprimé, « La vie rêvée des anges » (1998), et on avait totalement perdu la trace du réalisateur Erick Zonca, dont la carrière semblait pourtant des plus prometteuses. Car à lexception du très confidentiel « Le petit voleur » (2000), lhomme sétait surtout fait remarqué par son extrême discrétion, réalisant tout juste quelques spots publicitaires « alimentaires ». Cest donc de manière assez surprenante que ce dernier réapparaît aujourdhui pour son troisième long métrage aux commandes dune production franco-américaine. Un film tourné en langue anglaise pour un projet de longue haleine, inspiré par une photo dHelmut Newton, dont lécriture aura nécessité cinq longues années. Si lactrice Julianne Moore fut longtemps associée au projet, cest finalement Tilda Swindon, récemment oscarisée pour « Michael Clayton », qui aura hérité du rôle. Objet de curiosité, encensé par lensemble de la critique, « Julia » a été présenté en sélection officielle, en compétition, lors du dernier Festival de Berlin.
« Aujourdhui tu perds et je gagne »
Comme toujours quand la critique est unanimement enthousiaste et dithyrambique, on ressort toujours un petit peu déçu de la projection. Et sans vouloir altérer les qualités évidentes et réelles de ce « Julia », il nest cependant pas parfait. Film (très) noir, totalement désenchanté, « Julia » lorgne à lévidence du côté du « Gloria » (1980) de Cassavets. Parfaitement écrit, très cohérent avec son personnage borderline et son aspect de road movie initiatique prenant la forme dune quête de rédemption, le film souffre cependant dun réel problème de rythme. Sa durée rédhibitoire (2h20 !) est dautant plus préjudiciable que toute la première partie, qui sétend sur une bonne heure, nest pas très palpitante, avec cette longue présentation de ce personnage de parfaite looser, de ses vices alcoolisés et de ses hommes dune nuit. Et puis dun seul coup le film semballe d une belle énergie, avec le rapt de lenfant et le road movie qui sensuit. Entre sa relation difficile avec lenfant et la spirale noire comme la nuit dans laquelle Julia se retrouve prise au piège (notamment au Mexique), Zonca crée une superbe ambiance moite et glauque, dun réalisme hallucinant et dune tension palpable et dévorante, quHitchcock naurait pas reniée. Mais plus que tout, la grande force de ce film, cest le magnifique portrait de femme complexe que Zonca nous propose. « Julia », femme alcoolique et désabusée en quête de rédemption, passant à la du dédain absolu à un sentiment quasi maternel, puis par des phases de peur dévorante et des phases de courage irréfléchi, est en soi une magnifique héroïne des temps modernes. Capable du pire (meurtre, rapt denfant quelle malmène quand même pas mal), Zonca arrive intelligemment à lui donner malgré tout une terrible humanité, une bouleversante humilité face à la vie et aux événements, la rendant par là suffisamment attachante pour quon éprouve de lempathie à son égard.
« Tu es un danger pour un enfant parce que tu es danger pour toi-même »
Outre la qualité de son écriture, Zonca brille également par le talent de sa mise en scène. A la fois très classique dans sa manière de filmer les grands espaces américains, il sait également faire preuve dune belle ingéniosité pour filmer au plus près son héroïne, capter ses mouvements et ses sentiments, tant dans ses travers que dans ses moments dhéroïsme, donnant un incroyable réalisme à son film tout en amplifiant la tension de son histoire. De même, sa caméra fait preuve dune jolie pudeur lorsquil filme Julia jusque dans ces moments de vulnérabilité. Sans jamais la juger ni encore moi la condamner, il na de cesse que de la sublimer. A noter également la belle photographie et la belle musique du film. Mais « Julia » ne serait rien sans son interprète, Tilda Swindon. Cantonnée jusquici à des rôles secondaires souvent un peu fade, elle trouve ici un personnage à sa démesure. Ne reculant devant rien, passant en un battement de cils de la femme dure à la femme fragile, son interprétation flamboyante de ce personnage haut en couleurs est tout simplement magistrale. Une interprétation qui mériterait dêtre récompensée lors des prochaines cérémonies des Césars et des Oscars. Peu de défauts au final pour « Julia », qui marque le magistral retour dErick Zonca. Mis à part quelques longueurs dans la première partie du film et une fin un peu trop abrupte, ce film noir doublé dun formidable portrait de femme est très réussi. A condition toutefois dentrer dans cet univers désenchanté et dune noirceur implacable.
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