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18 Oct

L'âge des ténèbres

Publié par platinoch  - Catégories :  #Comédies

« Je me suis retrouvé à 41 ans dans cette maison hypothéquée, à vivre une vie anonyme et sans intérêt. J’ai voulu comprendre le cheminement de cet échec et pourquoi je me suis retrouvé ici »

 

Studio CanalMontréal. Jean-Marc Leblanc, la quarantaine dépressive, a une vie bien rangée : fonctionnaire, il épousé une femme dynamique, troisième meilleure vendeuse foncière du pays, qu’il ne fait que croiser dans le grand pavillon de banlieue qu’ils ont acheté et qu’ils partagent avec leurs deux filles, en pleine crise d’adolescence. Derrière cette vie en apparence normale, la vérité est toute autre : Jean-Marc et son épouse ne s’aiment plus, il n’arrive plus à communiquer avec ses filles, et son travail qui ne l’a jamais passionné, ne lui offre pas le minimum d’aventure et de reconnaissance qu’il souhaiterait avoir. De cette existence frustrée, Jean-Marc préfère se réfugier dans ses fantasmes et ses rêveries, des mondes dont il est toujours le héros, tantôt preux chevalier, tantôt homme de pouvoir et célèbre. Jusqu’au jour où il décide de changer de vie. Mais la réalité qui l’attend est encore plus cruelle et sinistre qu’il n’aurait pu le penser…

 

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« C’est un grand classique le fantasme de la douche. Regarde : on voit mes fesses, on devine un sein de profil…C’est parfait pour la censure américaine ! »

 

Marc Labreche. Studio Canal Troisième et dernier volet du triptyque consacré à l’évolution décadente de nos sociétés déshumanisées par le québécois Denys Arcand, « L’âge des ténèbres » fait suite au « Déclin de l’empire américain » (1986) et aux « Invasions barbares » (2003), film un tantinet surestimé et multiprimé (Oscar du meilleur film étranger, César du meilleur film et du meilleur réalisateur, Prix du scénario et de l’interprétation féminine au Festival de Cannes). Cette trilogie qui porte un regard critique, acide et cynique sur nos sociétés aura imposer Denys Arcand comme la figure de proue du cinéma québécois sur la scène internationale. « L’âge des ténèbres », qui n’aura pas bénéficié, contrairement aux deux précédents volets, d’une critique élogieuse, a été présenté en clôture du dernier Festival de Cannes.

«   - J’ai pas fait l’amour depuis un an et demi

   - Tu vas attraper un cancer de la prostate ! L’appareil de reproduction masculin est programmé pour éjaculer tous les trois jours. Vingt ans de mariage monogame sont à la prostate ce que deux paquets de cigarettes par jour sont pour les poumons »

 

Marc Labreche. Studio CanalIl y a des fois où je ne comprends pas les critiques de la presse spécialisée : ils avaient encensé il y a quatre ans « Les invasions barbares », film assez surestimé à la tonalité particulièrement pédante, et ont plutôt descendu cette fois « L’âge des ténèbres », volet qui me semble le plus réussi et le plus accessible de la trilogie. Loin des intellos prétentieux citant à tout va les grands penseurs dans les « Invasions barbares », Arcand se penche ici sur l’homme socialement moyen et sur sa condition. Il nous livre d’ailleurs un regard critique à l’encontre d’une société décadente, en perte de valeurs et de repères, où il n’est plus possible de s’épanouir réellement : entre des jobs peu valorisant (consistant à écouter les problèmes des gens sans pouvoir les aider), une société austère et déshumanisée (le bâtiment de l’administration gouvernementale semble tout droit sortie de la grisaille du « Brazil » de Gilliam, les gens se perdent dans le train-train des transports en commun à n’en plus finir, porte des masques sanitaires et des écouteurs pour s’isoler, coupant court à toute communication), en perte de libertés (la pause cigarette doit se faire en cachette sous peine de graves sanctions, l’emploi de certains mots devient passible de conseil de discipline), sans amour (les personnes âgées meurent seules dans des mouroirs, les rencontres se font lors de séances de speed dating, guidées par les apparences et l’argent), où la position sociale nouvelle de la femme a bousculé les valeurs traditionnelles, les hommes se sentant ainsi moins hommes, étant désormais obligés de vivre par procuration (notamment dans des reconstitutions moyenâgeuses que les participants prennent trop au sérieux). Message apocalyptique sérieux, reflet réel de notre société ou prophétie anticipative ? Un peu des trois, probablement. Mais Arcand nous le livre avec tellement de recul et d’humour, que les pires situations s’en trouvent souvent désamorcées. Et c’est une des qualités premières de ce film.

 

« Il faut savoir attendre. La vraie volupté est dans le désir »

 

Emma de Caunes, Diane Kruger, Sylvie Léonard et Caroline Neron. Studio CanalOn pourra reprocher à Arcand une mise en scène un peu trop classique, reposant essentiellement sur une alternance de scènes « réelles » et de rêves, les deux se trouvant souvent volontairement brouillées. De même, l’aspect un peu cheap de l’ensemble, aussi bien des rêves et des fantasmes de Jean-Marc, que des décors en général est déroutant. Certes, cela renforce le côté commun et pathétique du héros, dont les fantasmes se limitent à se taper une actrice de cinéma sous la douche ou une journaliste nymphomane offerte à sa gloire. Mais cela contribue aussi à donner une impression visuelle assez impersonnelle qui met mal à l’aise, et qui est renforcée par le choix d’une photographie à la tonalité volontairement grise. Ces partis pris visuels sont tout à fait défendable, reste qu’ils laissent une étrange impression de mal-être, certainement voulu par Arcand. On s’étonne de ne pas retrouver le même casting choral que dans les deux premiers volets, à l’exception notable de Pierre Curzi, qui fait une petite apparition, la dernière d’une carrière mise entre parenthèses puisque ce dernier vient d’être élu député du Parti Québécois. Du coup, c’est l’occasion pour nous de découvrir un immense comédien, Marc Labrèche, véritable star dans la Belle Province, et qui emporte tout sur son passage, passant avec le plus grand naturel et la plus grande crédibilité des scènes à l’humour le plus absurde, au drame le plus profond. Difficile d’exister à ses côtés. Néanmoins, les seconds rôles sont savoureux, que ce soit les québécois Sylvie Léonard, Didier Lucien, ou Caroline Néron, ou les guests européens Diane Kruger et Emma De Caunes, la prestation d’ensemble est généreuse et tout ce petit monde semble être heureux d’être là. A noter également les courtes apparitions des musiciens Rufus Wainwright et Michel Rivard (ex leader de Beau Dommage), des animateurs Thierry Ardisson et Laurent Baffie, et du comédien Donald Sutherland.

 

« - T’as réussi quoi dans ta vie Jean-Marc Leblanc?

   - Tu sais, c’est pas imaginable, mais je crois que je pourrais te tuer »

 

Diane Kruger et Marc Labreche. Studio CanalAvec « L’âge des ténèbres », Denys Arcand conclue sa trilogie entamée il y a plus de vingt ans, et qui brossait un portrait pessimiste de notre société. Quel bilan tire-t-il de son observation vingt ans plus tard ? Derrière la comédie réussie, il conclue en dressant le portrait sombre et désespéré d’une société sur le déclin, déshumanisée, et en perte de vitesse et de repères, perdue dans des aspirations matérialistes et égoïstes, qui ont pris le dessus sur la sincérité des relations humaines. S’il grossit un peu les traits et exagères certains détails, difficile de nier l’évidence d’une société fonctionnant sur  l’appât du gain, la célébrité facile et éphémère survendue par les médias, faussant les rapports humains et contribuant à limiter toujours plus la communication avec nos semblables. Alors, « L’âge des ténèbres » est-il une anticipation ou un portrait alarmiste de notre époque ? Chacun se fera sa propre opinion. Quoi qu’il arrive Arcand boucle parfaitement la boucle avec ce film, probablement le plus accessible des trois, où chacun trouvera aussi bien de quoi rire que de quoi réfléchir. « L’âge des ténèbres » est une comédie satyrique réussie, qui méritait certainement une meilleure critique et mise en lumière.



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