L'Apollonide - Souvenirs de la maison close
« Les hommes ne regardent jamais assez à l’intérieur du sexe des femmes »
À l'aube du XXème siècle, dans une maison close à Paris, une prostituée a le visage marqué d'une cicatrice qui lui dessine un sourire tragique.
Autour de la femme qui rit, la vie des autres filles s’organise, leurs rivalités, leurs craintes, leurs joies, leurs douleurs...
Du monde extérieur, on ne sait rien. La maison est close.
« On est ici dans une maison close. La liberté c’est dehors. Pas ici. »
Tous les chemins mènent au cinéma. Pour preuve le parcours atypique de Bertrand Bonello : venu de la musique classique, ce musicien professionnel (qui travailla notamment avec De Palmas et Françoise Hardy) délaissa peu à peu ses partitions pour les troquer contre une caméra au cours des années 90. Une quinzaine d’années plus tard, le voilà devenu un cinéaste reconnu et complexe, dont l’œuvre est marquée par un questionnement sur les mystères du désir, de la sexualité et de son industrie. Après nous avoir conduit dans le milieu des films pornographiques (« Le pornographe »), dresser le portrait d’un transsexuel (« Tiresia ») et être parti en quête d’hédonisme (« De la guerre »), il nous invite à « L’Apollonide », une maison close parisienne de la fin du 19e siècle.
« Si nous ne brûlons pas, comment éclairer la nuit ? »
Objet de fascination et de fantasmes tout au long du 19e siècle, la maison close inspira de nombreux artistes de l’époque, qu’ils soient écrivains (Baudelaire, Maupassant) ou peintres (Toulouse-Lautrec, Picasso, Degas, Ingres). A sa manière, Bonello fait revivre entre les murs de l’Apollonide une certaine époque, une certaine ambiance fantasmée faite de lascivité et de sensualité, dans des décors surannés tout en tentures, en velours et en soie. Tel un tableau. Ce n’est ainsi pas un hasard si les clients qu’il imagine dans cette maison sont pour la plupart des réalisateurs (Xavier Beauvois, Jacques Nolot, Louis-Do de Lencquesaing). Mais très vite, l’apparence ouatée et hors du temps des lieux se transforme. Le lupanar que nous présente Bonello est définitivement dépourvu de luxe, de calme et de volupté. En nous peignant leur quotidien telle une chronique (lavages après rapports, maladies, clients sans scrupules aux fantasmes tordus), l’Apollonide devient un lieu étouffant et glauque. Une prison de laquelle ne peuvent s’échapper des filles qui n’ont de joie que le nom. Un lieu où la chair est froide, totalement dépourvue de sensualité, et constamment traversée par des éclairs de mort. On pourra toujours reprocher à Bonello une vision trop parcellaire ou idyllique de la situation (parfaite entente entre les filles, mère maquerelle plutôt sympa et compréhensive, absence totale de référence aux maffias qui faisaient prospérer ce commerce, vision trop parcellaire des violences faites aux femmes…). Mais l’essentiel du film est ailleurs, quelque part entre un esthétisme raffiné poussé à l’extrême et une ambiance ambivalente, à la fois aérienne et pesante comme une chape de plomb, qui marque l’esprit encore longtemps après le générique de fin.
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