Le nouveau monde
« Nous ne sommes pas ici pour attaquer et piller. Nous sommes ici pour instaurer une colonie. Prendre un nouveau départ. Nous pouvons bâtir une nouvelle communauté. Le travail et la sueur seront nos vertus. Tout recommencer. Echanger cette fausse existence pour une vraie. »
1607, côtes de Virginie. Trois navires britanniques accostent et décident de fonder une petite ville, Jamestown, sur ces rivages protégés et en apparence opulents qui sera la première colonie du Nouveau Monde. Autour deux, une nature sauvage et hostile sétend à perte de vue, abritant une société autochtone beaucoup plus organisée et complexe quelle ny paraît. Alors que le chef de lexpédition, le Capitaine Newport, repart pour lAngleterre rendre compte de son expédition, il confie momentanément le commandement à un jeune officier, John Smith. Forte tête qui a été mis un temps aux fers pour insubordination, ce dernier ne fait pas lunanimité. Alors que ces derniers refusent de sadapter et préfèrent combattre pour édifier leur Nouveau Monde, Smith, qui est officiellement chargé de prendre contact avec les autochtones à des fins commerciales, va durant quelques semaines tenter de les connaître et de les comprendre. Quelques semaines durant lesquelles il fait notamment la connaissance de la fille du Chef, Pocahontas, une jeune fille intrépide et malicieuse. Entre les deux va naître très rapidement un amour très profond et très pur
« Combien de terres derrière moi ? Combien de mers ? Quelles tempêtes ? Quels dangers ? La bonne fortune a toujours été mon amie »
Personnalité à part dans lunivers cinématographique américain, Terrence Malick est connu pour vivre en dehors des règles et des standards imposés à Hollywood : particulièrement peu prolifique (4 films en 33 ans), ses films sont souvent contemplatives, interrogatives, préférant le lyrisme et la beauté visuelle à laction ou aux dialogues. Des films tout sauf calibrés pour battre des records au box-office. Après « La ballade sauvage » (1974) et « Les moissons du ciel » (1979), il aura fallu vingt ans pour voir une nouvelle uvre de Mallick, en loccurrence le sous-estimé « La ligne rouge », sorti sur les écrans en 1999. Une absence qui aura vite fait de contribuer à la légende de ce réalisateur si particulier. La sortie du « Nouveau monde », son quatrième long, constituait donc un événement en soi. Dautant que le film à pour sujet la légende de Pocahontas, la même qui a inspiré le dessin anime de Disney (1995), et qui fait partie des histoires liées à la fondation des Etats-Unis dAmérique. La vraie Pocahontas aura ainsi connu un destin plus tragique que dans le film Disney, et ce « Nouveau monde » se veut le plus proche possible de la réalité. Un soucis poussé jusquau vice par Malick qui a choisi de tourner son film sur le site même de la colonie de Jamestown ainsi que dapprendre aux figurants indiens, du moins en partie, la langue Algonquin.
« Tous les enfants du Roi étaient beaux. Mais elle, la plus jeune, était tellement belle, que même le Soleil était surpris lorsquelle apparaissait »
A réalisateur à part, projet à part. Tel est ce quon peut se dire en sortant de ce film déroutant. Car le cinéma de Terrence Malick nest pas un cinéma comme les autres. Il sapparente plus à une expérience, sensorielle et lyrique, parfois difficile daccès, et qui peut logiquement en rebuter certains. Néanmoins, il a le mérite de proposer des uvres originales, loin des sentiers battus et des standards Hollywoodiens. Et ce « Nouveau monde » ne déroge pas à la règle. uvre originale, dune grande élégance et dune grande beauté visuelle, elle nen reste pas moins difficile daccès. La faute, peut-être à son rythme très lent et très contemplatif (parti pris difficile à défendre pour un film dépassant allégrement les deux heures), à son histoire, qui prise au premier degré na rien de bien passionnante, ou encore à sa forme très particulière, pauvre en action et où les dialogues se font rares, laissant le champs à une voix off déroutante. Mais voilà. Il serait profondément réducteur de limiter ce film à cette vision primaire des choses. Car « Le nouveau monde » est une uvre infiniment plus profonde, intelligente, et gracieuse quelle ny paraît. Sur le fond tout dabord, Malick nous touche par la simplicité de son propos. Sur une trame profondément mélancolique, où le désespoir des hommes se lie à leur volonté destructrice et à leur mépris envers leurs semblables et le monde qui les entoure. Plus encore, Malick évoque avec sa sensibilité la perte dune certaine innocence, la fin dune époque et dune nature encore vierge par la naissance dune Nation. Ce socle douloureux est un terrain particulièrement favorable qui permet de décupler lémotion qui se dégage des désirs les plus simples et les plus purs, tel lamour impossible et de la plus grande pureté qui lie Smith et Pocahontas, celui, impossible, de Rolfe pour cette même Pocahontas, ou encore ce désir de créer un Nouveau Monde, sorte dEden inaccessible auquel tous aspirent pourtant.
« Promets-moi que tu feras passer ton peuple avant tout le reste. Même avant ton cur. Il nest pas des nôtres »
Mais cest sur le forme que le film de Malick surprend et émeut le plus. Pourtant les partis pris ne sont pas simples à défendre pour un film dont durée dépasse les deux heures. Mais comment ne pas être touché par la grâce et la beauté visuelle qui se dégage du « Nouveau monde » ? Car cest avec la plus grande grâce que Malick filme les grands espaces naturels de Virginie. Une grâce renforcée par un montage audacieux et pertinent, captant avec un raffinement particulier les moindres mouvements de la nature, aussi bien du vent que des arbres. A cette attention particulière portée à la nature qui caractérise luvre de Malick, il faut ajouter le choix du réalisateur de réduire les dialogues au strict minimum, privilégiant au contraire lexpression des sentiments des protagonistes en voix off, ainsi que par la musique. Une épure déroutante, mais qui au final donne au film un véritable souffle lyrique, lui évitant de sombrer dans une sensiblerie bon marché ou dans un excès malvenu. Côté interprétation, le casting, prestigieux, savère très judicieux. Colin Farrell surprend en révélant une facette de son jeu que nous ne connaissions pas jusquici. Tout en intériorité, il révèle une sensibilité en parfaite adéquation avec le scénario de Malick. Mais plus que tout, malgré sa tardive apparition et la brièveté de son rôle, cest Christian Bale qui se révèle le plus impressionnant. La subtilité de son jeu, de ses regards emprunts damour à son sourire mélancolique, il confirme son incroyable prestation de « The Machinist ». Si on ne sétendra pas sur les prestations des bons Christopher Plummer, Ben Chaplin, ou David Thewlis, on saluera la prestation de la révélation QOrianka Kilcher. La jeune adolescente, forte dune belle assurance mêlant gravité, candeur et sensualité, brille tout au long du film et sera une actrice à suivre de près.
« Tu es parti en emportant ma vie. Tu as tué le Dieu en moi »
Loin des productions calibrées et standardisées que le cinéma américain nous impose, Terrence Malice nous propose un voyage loin des sentiers battus avec son « Nouveau monde ». uvre profondément mélancolique, le film propose une relecture de la légende de la fondation de la première colonie américaine et de lhéroïne Pocahontas. Porté par une mise en scène et un montage très personnels et dune grande originalité, le film atteint des grands moments de lyrisme et démotion. A condition pour cela daccepter le voyage proposé par Malick, un voyage qui compte tenu de sa forme si particulière (peu de dialogues et dactions, grande lenteur contemplative doublé dune durée assez longue) sera difficilement accessible à tous les spectateurs.
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