Sayonara
« - Katsumi ? Cest quoi ce bled ? Cest pas un bled, cest le nom de la fille que je vais épouser »
1953, Guerre de Corée. Fraichement diplômé de la prestigieuse académie de West Point, le Major Gruver sest forgé une réputation de héros de guerre grâce à ses redoutables combats et à ses précieuses victoires aériennes. Fondu dans le moule militaire, avec ce que cela comprend de morale, dobéissance et de zèle, il se prépare une grande carrière dans larmée, à la hauteur de celle de son général de père. Pourtant, alors quil souhaite rester au front, il est muté à larrière, au Japon, sur les ordres du Général Webster, dont il doit épouser la fille, Eileen. Des plans déjà tout tracés en apparence. Pourtant, il est accompagné par son aide de camp, Kelly, qui doit profiter de ce retour au Japon pour y épouser une autochtone, malgré les consignes strictes de larmée, qui désapprouve clairement ces unions mixtes et qui tente de sy opposer par tous les moyens. Critiquant ouvertement Kelly pour son choix quil narrive pas à comprendre, Gruver tente vainement de dissuader ce dernier. Jusquau jour où il croise la belle Hana-Ogi, icône de la prestigieuse académie de théâtre locale, dont il tombe immédiatement amoureux
« Les hommes les plus malheureux que je connaisse sont ceux quon a forcé à faire quelque chose contre leur gré »
Metteur en scène reconnu à Broadway, Joshua Logan aura mené une carrière beaucoup plus discrète et inégale en tant que réalisateur de cinéma, et ce en dépit de ses trois nominations aux Oscars dans la catégorie Meilleur réalisateur. Réalisateur dà peine une petite dizaine de films, on citera dans sa filmographie deux films avec Marylin Monroe, « Picnic » en 1955 et « Bus Stop » en 1957, « Fanny » en 1961 avec Leslie Caron et Maurice Chevalier, ou encore « La kermesse de louest » en 1969, son dernier film, un improbable western musical porté par Eastwood et Lee Marvin. Daté de 1957, « Sayonara » est adapté dune nouvelle de James Michener. Pour la petite histoire, le rôle principal fut dabord proposé à Rock Hudson puis à William Holden, qui le déclinèrent pour jouer respectivement dans « Pour qui sonne le glas » et « Le pont de la rivière Kwaï ». Côté féminin, Audrey Hepburn se vit proposer le rôle de Hana-Ogi mais le refusa pour la simple raison quelle savait quelle ne pourrait être crédible dans le rôle dune asiatique. Nommé 10 fois aux Oscars 1957 (dont meilleur réalisateur et meilleur acteur pour Brando), il repartit avec quatre statuettes, dont celle de meilleur acteur dans un second rôle pour Red Buttons, et Meilleure actrice pour un second rôle pour Miyoshi Umeki, qui devint à cette occasion la première actrice asiatique à obtenir un Oscar.
« Je nai jamais aimé damour. Mais jen ai souvent rêvé. Je naimerai plus damour dans lavenir. Mais je vous aimerai vous, Lloyd, si cest ce que vous désirez »
Un jeune officier prometteur à laube dune grande carrière dans la plus pure tradition militaire, et par ailleurs héros de la guerre de Corée est muté à larrière, au Japon, sur les ordres dun Général dont il doit épouser la fille. A cheval entre la fougue insouciante des soldats de « Tant quil y aura des hommes », de lexotisme des « 55 jours de Pékin », et dune romance rendue impossible par le choc des cultures façon « Mrs Butterfly », « Sayonara » est une grande fresque orientaliste mêlant grands sentiments et exotisme hollywoodien. Mais le propos se fait souvent moins lisse, plus corrosif et contestataire que dautres films du genre. Car il traite de sujets forts, souvent encore tabous à lépoque comme le choc des cultures ou le racisme. Sauf que pour une fois, lAmérique na pas le bon rôle et nen sort pas grandi. Certes, les Japonais ny aiment pas les américains, blessés par cette force doccupation qui leur rappelle leur capitulation (et leur déshonneur) récente et qui de surcroit « volent leurs femmes ». Mais les Américains ne sont pas présentés ici comme étant irréprochables : ne respectant rien (à limage dun Brando allant affirmer à la star nationale du traditionnel et séculaire théâtre Kabuki quil « manquait une Marylin sexy » pour quil puisse sintéresser à la pièce !), se conduisant en cowboys grossiers et racistes qui vont jusquà pratiquer une forme de ségrégation raciale dans le pays quils occupent pourtant (les japonais ne sont pas admis à lhôtel des officiers américains, les barmans sont traités comme de la merde). Plus que tout, sans avoir lair de rien, le film ose sattaquer frontalement aux valeurs alors fondamentales et intouchables de lAmérique : son armée et lestablishment quelle représente. Cette armée toute puissante qui nhésite pas à envoyer sa jeunesse au sacrifice mais qui refuse, à grands coups de morale puritaine et raciste, de voir cette même jeunesse se mélanger et épouser « des femmes indigènes ». Hypocrite jusquau bout, le système mis en place allait jusquà accepter bon gré mal gré en dernier recours un mariage au Consulat, mais refusant derrière de délivrer des permis de séjours aux compagnes nipponnes. Alors quimporte si on a du mal à croire au coup de foudre entre Gruver et Hana-Ogi. Au fur et à mesure, le spectateur découvre la vaste étendue de lhypocrisie du système, en même temps que Brando, dabord figé sur ses positions conservatrices, qui va se montrer de plus en plus compréhensif puis acquis à la cause au fil de lévolution de son histoire personnelle et de sa romance avec Hana-Ogi. Pour magnifier lensemble, les décors orientalistes un peu clichés mis en valeur par le Technicolor donnent une dimension assez enchanteresse à lensemble, que seule lextrême longueur du film (près de 2h30) pourrait pénaliser. Quant au casting, avec en tête les géniaux Marlon Brando, James Garner et Red Buttons, il est à la fois impeccable et impérial. En dépit des affres du temps, « Sayonara » demeure une belle histoire. Et un grand film.
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