Les seigneurs de la mer
« Lanimal que nous craignons le plus au monde est aussi celui dont nous avons le plus besoin. Les requins maintiennent léquilibre sous-marin. Ils sont les architectes qui façonnent le monde »
Depuis son enfance, Rob Stewart se passionne pour les requins. Devenu adulte, il se spécialise en devenant photographe sous-marin et biologiste. Une double activité qui lui permet de sapprocher au plus près et le plus souvent possible des requins. Un animal pourtant mal vu, qui traîne derrière lui une réputation erroné de bête féroce et mangeuse dhomme, définitivement bien ancrée dans limaginaire populaire. Pas étonnant du coup que le monde ferme les yeux sur les massacres perpétré à lencontre des requins dans le cadre du florissant commerce de contrebande de ses ailerons. Un commerce qui menace léquilibre biologique de la planète et les conditions de survie de toute lHumanité
« Lhomme aura toujours besoin de monstres à détester »
Photographe animalier des fonds marins de formation, le canadien Rob Stewart sétait jusquici illustré dans ce domaine en publiant de nombreuses photos pour des médias aussi prestigieux que Geo, BBC, ou encore Discovery Channel. Passionné par les requins de longue date, il rêvait depuis longtemps de réaliser un documentaire sur eux, avec le handicap de navoir aucune expérience en terme de réalisation de film. Finalement, cest le hasard dune rencontre avec lécologiste militant Paul Watson qui amorcera le déclic. Profitant dune expédition avec Watson et son association Sea Shepherd, soutenue par Greenpeace, Stewart sest donc lancé dans son ambitieux pari de sensibiliser le public au problème du shark-finning, cette pèche sauvage, clandestine, et barbare, visant à attraper les requins pour les mutiler en leur coupant les ailerons avant de les relâcher agonisant dans la mer. Et ceci à des basses fins commerciales puisque laileron de requin est un met très prisé en Chine où il se vent à prix dor. De quoi, pour certains, justifier le massacre à très grande échelle des requins, menaçant désormais lespèce et lécosystème. Un projet de longue haleine qui aura nécessité cinq années de tournage, sétalant entre les 22 et 27 ans du réalisateur. A noter que le film a été primé à de nombreuses reprises lors des différents festivals où il a été présenté, recevant notamment le Prix Planète Thalassa du Festival de limage sous-marine.
« Pour la première fois de son histoire, le requin est devenu une proie »
Le genre du documentaire naturaliste sest largement développé ces dernières années, avec un nombre de films sortis sur nos écrans en augmentation, et de jolis succès publics à la clé (« La marche de lempereur », « La planète blanche », « Un jour sur Terre »). Avec ses « Seigneurs de la mer », Rob Stewart va un peu plus loin, sortant du simple exercice de documentaire écolo contemplatif, pour proposer au contraire un documentaire militant à la Michael Moore. Et lentreprise semble assez vite fonctionner, puisquon apprend tout dabord plein de choses, dabord sur limage négative et erronée du requin dans linconscient collectif, mais aussi de son importance à léchelle planétaire puisquen mangeant quantité de poissons planctophage, il régule la densité de plancton dans les océans, lun des gros producteurs doxygène de la planète. Une introduction parfaite pour nous sensibiliser à une catastrophe écologique majeure : le shark-finning, une pratique barbare, visant à couper les ailerons des requins (met très prisé et très coûteux en Chine) avant de les rejeter agonisants et mutilés dans le fond de locéan où ils se retrouvent condamnés. Une pratique barbare, purement commerciale, responsable dun massacre à grande échelle coutant la vie à plus de 150 millions de requins chaque année, et illustrée par des nombreuses images limite insoutenables. De quoi mettre en péril la stabilité de lécosystème sous-marin et du nôtre par la même occasion. Si la violence de la démonstration et des images fait passer le message efficacement, Stewart atteint cependant les limites de lexercice un peu trop vite. Tout dabord, en menant un travail journalistique à lhonnêteté intellectuelle douteuse (absence dun certain nombre dinformations scientifiques telles que lestimation de la population mondiale de requins, comparaison avec dautres types de massacres dangereux pour les écosystèmes comme celui des baleines, ou encore les témoignages dinconnus qui ne sont pas présentés, comme ce probable négociant chinois, juste présent pour dire des aberrations censés représenter le point de vue chinois du problème). Dans la même lignée on pourra également lui reprocher docculter tout un tas dautres sujets liés, comme par exemple les raisons qui poussent les états pauvres et leurs pêcheurs à se compromettre dans ce trafic. De même, si on est assez vite acquis à la cause, on a du mal à adhérer totalement aux moyens des militants du Sea Shepherd, notamment lorsquils utilisent la force pour soumettre un chalutier de braconniers. Sans être légalement dépositaire dune quelconque autorité, ils interviennent tels des cow-boys avant de fuir lorsquun navire plus gros et plus armé vient défendre le chalutier. Un manque de recul dans la manière de faire et de présenter les faits, qui dessert pas mal la cause défendue, pourtant juste.
« Il ne sagit pas seulement de sauver les requins, mais de se sauver nous-mêmes »
Côté réalisation, le film, assez court, trouve un rythme de croisière assez efficace, même si le propos est parfois répétitif. La volonté de soigner en permanence lesthétisme visuel du film est un peu à double-tranchant : les images sublimes des fonds marins ont ainsi un côté trop lisse et un peu carte postale qui sied finalement assez mal au documentaire dinvestigation. Mais plus que tout, on reprochera le narcissisme de Rob Stewart, pour le coup assez déplacé. Entre les plans inutiles de son séjour à lhôpital pour sa jambe et ceux de son infiltration clandestine au Costa Rica, le garçon se détourne trop souvent de son sujet et ce à des fins qui finissent également par le desservir. Reste alors un documentaire qui laisse un avis partagé, entre un sujet passionnant et traitement décevant. Néanmoins, à défaut de rendre sympathique le requin, il à lavantage de nous ouvrir les yeux sur un massacre méconnu, barbare, atroce et irresponsable, dont lHumanité ne ressort pas grandie. Rien que pour cela, ce film mérite bien trois étoiles.
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