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13 Nov

Séraphine

Publié par platinoch  - Catégories :  #Biopics

« Elle travaillait au couvent quand soudain son ange gardien est apparu et lui a ordonné de se mettre à la peinture »

En 1912, le collectionneur allemand Wilhelm Uhde, premier acheteur de Picasso et découvreur du douanier Rousseau, loue un appartement à Senlis pour écrire et se reposer de sa vie parisienne. Il prend à son service une femme de ménage, Séraphine, 48 ans. Quelque temps plus tard, il remarque chez des notables locaux une petite toile peinte sur bois. Sa stupéfaction est grande d'apprendre que l'auteur n'est autre que Séraphine. S'instaure alors une relation poignante et inattendue entre le marchand d'art d'avant-garde et la femme de ménage visionnaire.

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« Vous n’allez pas passer votre vie à faire le ménage alors que vous avez de l’or dans les mains ! »

Réalisateur méticuleux venu du théâtre, Martin Provost a déjà signé deux longs, « Tortilla y cinema » en 1997 et « Le ventre de Juliette » en 2003. Sa troisième réalisation, la transposition sur grand écran de la vie d’une peintre mineure et oubliée, Séraphine Louis dite « de Senlis » (1864-1942), faisait office de projet atypique dans la production française actuelle. Ce qui ne l’a pas empêchée de se construire une jolie réputation dans les festivals (notamment à AngoulêmeYolande Moreau fut primée) et d’être précédé d’un bouche à oreilles particulièrement positif. Et grande satisfaction pour le réalisateur,  son film aura permis de remettre l’œuvre de Séraphine Louis dans la lumière, permettant qu’une exposition parisienne lui soit de nouveau consacrée, soixante ans après ce qui aura son unique exposition dans la capitale.

« Quand on fait de la peinture, on aime autrement. Je le vois souvent dans ma peinture et je me dis que si je pense encore à lui, peut-être lui pense encore à moi »

Artiste secondaire d’un genre mineur (l’art naïf), l’œuvre de Séraphine Louis, dite « de Senlis », semblait vouée à l’oubli de l’Histoire. C’était sans compter sur Martin Provost qui décidait de lui consacrer un film. Un projet audacieux tant celle-ci demeurait méconnue du grand public. Pourtant, sa vie s’avère étonnement cinématographique. En effet, Séraphine Louis demeure un personnage complexe, un peu double et schizophrène : car si le jour Séraphine demeure une femme « simple » menant une vie laborieuse et dure, la nuit, cette dernière laisse éclater sa fantaisie, son imagination en s’adonnant dans la pénombre de sa petite chambre à sa passion pour la peinture. Une passion obsédante, vitale, à laquelle elle sacrifie tout, de ses maigres gains à sa santé, et qui révèle une face diamétralement différente de cette femme, capable de grâce et de couleurs chatoyantes. Un délire artistique qui se finira dramatiquement avec le basculement de l’artiste dans la folie. La vie de Séraphine Louis est d’autant plus intéressante qu’en témoin privilégié des évènements du début du 20ème siècle, son portrait permet au réalisateur de réaliser un instantané de cette époque charnière, passage d’un 19ème siècle quasi féodal à un 20ème siècle beaucoup plus moderne, qui verra notamment l’avènement du business de l’art, avec ses marchands et ses collectionneurs brassant beaucoup d’argent, décidant des modes, et toujours à l’affût d’un nouveau talent à promouvoir. A ce titre la rencontre entre Séraphine et son mécène allemand est assez cocasse et touchante, tant ses deux personnages si opposés en apparence (elle, la servante , manuelle et « simple » d’esprit, lui le théoricien de l’art, intellectuel et écrivain reconnu) que rien ne prédestinait à se rencontrer, se ressemblent au final (ils sont tous deux très seuls, très vulnérables, rejetés par la société, elle en raison de son statut social et de son autisme, lui en raison de sa nationalité allemande et de son homosexualité). Pour autant, la grande réussite de ce film c’est que son réalisateur ne sombre jamais dans la tentation du misérabilisme alors même que le sujet pouvait s’y prêter. A l’image de l’artiste qu’il traite, il peint sa vie par petites touches impressionnistes, il esquisse une succession de saynètes, très légères et très dépouillées, sans artifices, qui immergent totalement le spectateur dans son récit. Un film maitrisé de bout en bout, porté par la formidable interprétation de Yolande Moreau (en route vers un deuxième César ?) et de Ulrich Tükur. Assurément l’une des belles surprises françaises de l’année.

      



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A
Récompenses en cascadeEh bien voilà, il n'est assurément pas trop tard pour voir ce film, car avec ses 7 Césars dont celui du meilleur film, on va se le disputer dans les plus petites salles. Bravo à Yolande Moreau et... à platinoch, pour avoir pressenti ce second César.
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B
Très belle critique pour un film que j'aurais voulu voir. Faut que je regarde le programme si ce n'est pas trop tard. Et j'en dirais ce que j'en aurais ressenti.
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Le site sans prétention d'un cinéphile atteint de cinéphagie, qui rend compte autant que possible des films qu'il a vu!