Tant qu'il y aura des hommes
« Vous quittez les Clairons pour linfanterie ? Par amour de la marche ou par dégoût du clairon ? »
Hawaii, 1941. Le soldat Prewitt vient dêtre affecté sur une des bases de lîle. Ancien boxeur, son officier, le capitaine Holmes, veut lui forcer la main pour quil rejoigne léquipe de boxe du régiment pour les aider à gagner le titre interarmées et assurer sa propre promotion. Il nhésite ainsi pas à infliger toute une série de corvées et de brimades au soldat pour venir à bout de son obstination à ne pas rechausser les gants. Prewitt ne peut compter que sur le soutien de son ami Maggio. Ce dernier profite de lune de leur rare permission pour lui faire faire la tournée des clubs. Cest dans lun deux que Prewitt tombe amoureux de Lorene, une entraîneuse. Cest aussi dans lun deux que Maggio va faire la rencontre houleuse du sergent Judson, qui jure davoir sa peau. Tout cela se fait sous le regard plein de compassion du valeureux et juste sergent Warden, qui devient lamant de Karen, lépouse du Capitaine Holmes. Entre brimades et franche camaraderie, intrigues amoureuses et drame, le destin dune garnison qui, à quelques semaines de lattaque de Pearl Harbor, ne se doute pas quelle va être précipitée dans la guerre
« - Mon mari dit que vous êtes un homme précieux. A quoi devez-vous un tel compliment ?
- Je suis né malin »
Il est des chefs duvre qui ont marqué leur époque et lHistoire du Cinéma. Indéniablement, « Tant quil y aura des hommes » est de ceux-là. Ne serait-ce que pour cette légendaire scène de baiser entre Burt Lancaster et Deborah Kerr, allongés dans les vagues. Mais encore, ce serait trop réducteur. Adaptation dun roman de James Jones paru en 1952, « Tant quil y aura des hommes » est réalisé par Fred Zinnemann (à qui lon doit également, entre autres, « Le train sifflera trois fois » en 1952) en 1953. Le film frappera en partie par son propos humaniste, assez critique sur les modes de fonctionnement de larmée, moins de dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale. A noter que « Tant quil y aura des hommes » recevra pas moins de 13 nominations pour les Oscars, en remportant 8 au total, dont ceux du Meilleur Film, Meilleur Réalisateur, Meilleur acteur dans un second rôle pour Sinatra, et Meilleure actrice dans un second rôle pour Donna Reed.
« Warden, il est pas comme les autres. Il te mènera la vie dure, mais il sera toujours loyal »
Film ambitieux, « Tant quil y aura des hommes » surprend par la complexité de son scénario qui, en bon film choral, multiplie les intrigues en développant assez bien les différents personnages. A ce petit jeu, seul peut-être le personnage de Deborah Kerr sera un tantinet sacrifié. Mais lintérêt est ailleurs : dans la solidarité militaire qui existe entre les héros du film. Warden le valeureux est admiratif de lobstination de Prewitt qui vengera son pote Maggio. Voilà un bon moyen narratif de lier indirectement tous les personnages du film. Dautant que le scénario se laisse aller à une vision assez critique de larmée, et qui si elle peut reconstituer une cellule familiale pour certains (amitiés viriles digne de la fratrie, saouleries, et chansons au coin du feu), nen est pas moins souvent injuste et destructrice (les brimades injustes subies par Prewitt, lincompétence de certains gradés comme Holmes ou Judson), ne servant bien souvent quà servir un système de promotion sociale basée sur une certaine injustice (les promus sont ceux qui participent au club de boxe, Karen ne veut pas partir avec Warden tant que celui-ci ne passe pas officier). La vision assez critique qui est faite de larmée (et non des hommes de rang qui la composent, qui sont des héros fidèles et dévoués, prêts à tout endurer) est dautant plus forte quelle tombe moins de dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale et quelques mois seulement après la guerre de Corée. A titre plus historique, « Tant quil y aura des hommes » est également particulièrement intéressant, puisquil est un des rares films à montrer la vie à Hawaii dans les quelques semaines précédant lattaque japonaise, avec une vision assez peu flatteuse du lieu, entre garnisons et bordels. Un contexte quil faut garder à lesprit tout au long du film, dont les scènes tant insouciantes (le fameux baiser sur la plage) que dramatiques (le morceau de clairon entonné pour la mort de Maggio) renforcent la sensation dramatique et mélancolique de savoir que toute cette jeunesse va être précipitée sous peu dans la furie destructrice. Reste quau delà de ça, « Tant quil y aura des hommes » brille par son exemplaire mélange des genres, entre film de guerre (les scènes de lattaque japonaise restent encore aujourdhui assez impressionnantes, avec un mélange dimages fictives et dimages darchives), romances, et critique sociale.
« - Ce qui me plait cest votre confiance en vous. Cest aussi ce qui me déplait.
- Moi ce qui me déplait, cest de voir une aussi jolie femme que vous gâcher sa vie »
Côté réalisation, Zinnemann signe le sans faute, proposant une réalisation des plus classiques mais finalement aussi des plus efficaces, soffrant au passage quelques scènes danthologie, telles le baiser dans les vagues, les solos de clairons de Prewitt, ou encore le dénouement final sur la bateau. Le tout mis en valeur par un noir et blanc particulièrement léché et mélancolique. Mais la vraie force de ce film, cest son casting pléthorique, pour lequel Zinnemann a eu la bonne idée de distribuer les rôles à contre-emploi. Ainsi, Montgomery Clift apporte toute sa sensibilité à cette improbable interprétation de boxeur brisé, tout comme Burt Lancaster apporte sa sexualité animale peu exploitée jusquici à son personnage. Dans les seconds rôles, Deborah Kerr naura elle aussi jamais été aussi sensuelle à lécran que de ce film. Quant à lui, Franck Sinatra (dont les mauvaises langues retiendrons quil na obtenu le rôle prévu à la base pour Eli Wallach que par ses appuis dans la maffia et par son épouse dalors, Ava Gardner, qui aurait fait pression sur les dirigeants du studio), apporte une véritable émotion à son personnage de gentil insouciant.
« On ne ment jamais quand on dit quon est seul »
Film mélancolique et dramatique, profondément humaniste, mettant en avant les qualités de lHomme devant linjustice et parfois lincompétence des institutions, « Tant quil y aura des hommes » fait définitivement partie des chefs duvre de lHistoire du 7ème art. Brassant les genres avec une subtilité extrême, Zinnemann nous dresse ainsi un portrait sensible et dramatique des hommes et des femmes, que le destin va irrémédiablement précipité dans lenfer de la guerre. Outre lintelligence du portrait, le film aura gagné ses galons de film culte grâce à quelques scènes danthologie qui auront marqué durablement lesprit des cinéphiles. Porté en plus par un parterre de stars, un casting quatre étoiles doù ressortent lexcellent quatuor Clift-Lancaster-Kerr-Sinatra, « Tant quil y aura des hommes » restera durablement un modèle du genre (tout le contraire notamment du ratage « Pearl Harbor » de Michael Bay, qui sinspirait pourtant pas mal de ce film), un grand classique à voir et à revoir.
Commenter cet article