La taverne de l'irlandais
« Si vous pouvez prouver que la moralité de votre père nest pas conforme aux critères de Boston, vous pourrez lui prendre ses parts »
A linstar du Dr Dedham, « Guns » Donovan sest installé sur la petite île polynésienne de Haleakaloa, où, durant la guerre du Pacifique, leur navire sest abîmé. Chaque année, le jour de lanniversaire de Guns, ils sont rejoins par un troisième compère, « Boats » Gilhooley, pour une rituelle bagarre. Ainsi sécoule la vie sur lîle au rythme lent et harmonieux des vagues et du soleil. Jusquau jour où Amelia, la fille que le Dr Dedham a laissé à Boston et quil na jamais vu, débarque en quête de son père, espérant obtenir des preuves de son mode de vie immoral afin de conserver pour elle toute seule lhéritage familial. Mais celui-ci mène une vie exemplaire au sein de la petite communauté, ayant fondé le seul de dispensaire de lîle. Un seul élément seulement pourrait jouer en sa défaveur selon les normes morales de lépoque : ses enfants, métisses, nés de son union avec une locale. Mais le docteur étant absent lors de larrivée de sa fille, son ami Donovan décide de lui faire croire quil est le père des trois enfants, afin de protéger les intérêts de son vieil ami
« Monsieur lirlandais, si tous les pères sont comme vous, je dois rendre grâce au Ciel de navoir jamais connu le mien »
Réalisateur de nombreux westerns (« Lhomme qui tua Liberty Valance », « La prisonnière du désert »), on en oublierait presque que limmense John Ford sillustra également dans des registres plus légers, avec par exemple des films comme « Lhomme tranquille ». Plus ou moins victime des affres du temps et des chefs duvre du réalisateur qui lont quelque peu éclipsé, « La taverne de lirlandais » (réalisé en 1963) fait partie des derniers films réalisés par Ford, un peu oublié aujourdhui. Pourtant, « La taverne de lirlandais » est importante, puisquil sagit de la dernière collaboration entre John Ford et son acteur fétiche, John Wayne. Une collaboration des plus fructueuse, puisque les deux hommes auront participé ensemble à près dune vingtaine de films. Loccasion aussi pour lui de réunir Wayne et Marvin, les deux charismatiques adversaires de « Lhomme qui tua Liberty Valance ». Pour la petite histoire, Ford et Lee Marvin ne sappréciaient pas, ce qui a donné lieu à un certain nombre de situations houleuses, notamment lors des scènes de bagarre, où Ford prenait un malin plaisir à ridiculiser Lee Marvin lorsque celui-ci se retrouvait à terre.
« Mike Donovan est célibataire. Trois enfants et jamais marié. Je ne dis pas quil est le premier à avoir mis la charrue avant les bufs, mais trois charrues sans attelage, cest impardonnable ! »
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Petit film sans prétentions, à la tonalité volontairement très second degré, « La taverne de lirlandais » nous propose une sympathique fresque daventures exotiques, dans les fascinants décors polynésiens. Etonnement proche dans la forme de « Lhomme tranquille » - le film propose un voyage dans des paysages lointains, avec la rencontre dune femme avec laquelle le héros connaîtra tout dabord une relation des plus houleuses en raison de son fort caractère, avant de finir avec elle et de lui administrer une franche fessée cette « Taverne de lirlandais » ne comporte cependant pas (chose rare chez Ford) de critique sociale forte. Tout semble nêtre prétexte quau divertissement et à la bonne humeur, comme ces franches et amicales raclées que se mettent régulièrement les deux personnages principaux, ou encore cette histoire damour entre la visiteuse pimbêche en provenance de Boston, et ce vieux briscard de Wayne. Comme si Ford navait quune idée en tête, une sorte dinvitation au voyage dans ces îles paradisiaques, où il fait meilleur vivre au rythme des vagues et du soleil, que dans des villes guindées comme Boston, où les mines grisonnantes des habitants nont dégales que leur ennui profond et leurs futiles soucis matérialistes. De ce fait les personnages, bien que stéréotypés, dégagent tous quelque chose de comique et/ou de positif, que ce soit lubuesque gouverneur de lîle, gentil noble français séducteur décati et cabotin, ou le prêtre de lîle, dont le seul soucis demeure le toit de la chapelle qui prend leau. Reste que lensemble est traité sur un ton machiste gentiment provocateur. Côté réalisation, ce nest pas non plus le plus grand film de Ford, néanmoins celui-ci est dune grande maîtrise et dune grande fluidité, ne souffrant pas de problème de rythme. Le gros atout visuel du film réside essentiellement dans son magnifique Technicolor, qui magnifie façon Hollywood les paysages polynésiens, leur donnant en prime un charme irréel et suranné. Pour le reste, lincroyable casting fait le reste et donne au film tout son charme, avec en tête le duo John Wayne/Lee Marvin. Si le premier retrouve un rôle caricatural de héros viril et sûr de lui, cest finalement Lee Marvin qui marque les esprits en donnant une étonnante performance pleine dhumour et de second degré (la scène où il joue au petit train vaut son pesant de cacahuètes !). A leurs côtés, on retrouve du lourd au casting : Cesar Romero, parfait en gouverneur cabot et gentleman, Jack Warden, formidable de sobriété, ainsi que le français Marcel Dalio, dont linterprétation du prêtre demeure très savoureuse. Reste enfin les rôles féminins : la méconnue Elizabeth Allen livre ainsi une séduisante performance dans son rôle dhéroïne plus sexy que pimbêche, tandis que Dorothy Lamour marque les esprits le temps de deux scènes chantées. Si « La taverne de lirlandais » nest clairement pas un chef duvre, le film demeure pour autant un agréable divertissement léger et sans prétentions. Bien quayant un peu vieilli, le film est une curiosité, à voir, pour le talent de Ford, et le savoureux casting emmené par Wayne et Marvin.
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