Triangle
« Gagner de largent nest pas facile. Tu es aux abois, il est aux abois, je suis aux abois. On est tous aux abois »
Hongkong. Cadre, commerçant ou chauffeur de taxi, Sam, Fai et Mok peinent à joindre les deux bouts. Une situation qui explique quils se retrouvent dans ce bar où les rencontres permettent de se faire recruter pour participer à des coups et des combines. Alors que Sam et Fai semblent se diriger vers un plan particulièrement incertain et foireux, un vieil homme sadresse à eux, en leur proposant de trouver un trésor caché sous le Parlement, et en leur donnant comme preuve de son existence une ancienne pièce dor. Bien que le coup soit risqué, les trois hommes se lancent dans laventure et mettent à jour un coffre refermant une antique robe de cérémonie faite dor. Mais alors quils doivent attendre quelques jours pour pouvoir la vendre, la robe attise les convoitises de gangsters, dun flic véreux qui se trouve être lamant de la femme de Sam, elle-même folle et manipulatrice. Mettant à mal la confiance existante entre les trois hommes, une folle course-poursuite commence
« Je connais un endroit qui peut vous rendre riches. Je vous donne la piste, à vous de la suivre ou pas. »
On connaît le dynamisme du cinéma asiatique et son goût prononcé pour le film noir et le polar. Dans ce domaine, Hongkong, sous la houlette de réalisateurs comme Johnnie To, John Woo, ou encore Andrew Law et Alan Mak, est devenue la spécialiste du genre, produisant ces dernières années quelques chefs duvre cultes comme « Infernal Affairs » (2004), « The mission » (1999), « Election 1&2 » (2005), ou encore « Exilé » (2007). Cette nouvelle production, « Triangle », se démarque de ses prédécesseurs par la forme originale de son projet, inspirée du procédé littéraire du « Cadavre exquis ». Un procédé qui consiste en une division de lécriture en plusieurs segments, chacun des auteurs rédigeant sa partie sans se soucier du travail des autres ni duniformiser le style. Pour cette première transposition de ce procédé au cinéma, le projet a bénéficié de la participation de trois des plus grands et populaires réalisateurs de films noirs hongkongais, en loccurrence (et dans lordre des segments) Tsui Hark, Ringo Lam, et Johnnie To. Les trois hommes, amis de longue date, se sont ainsi chacun octroyé un segment du film à réaliser, le tournage sétant donc déroulé dans un ordre chronologique, et sans que les autres co-réalisateurs ne sachent rien du travail de lautre. A noter que le film a été présenté hors compétition lors du Festival de Cannes 2007.
« Quand on a plus le choix, il faut se résoudre à faire ce quon déteste le plus »
Difficile de critiquer ce film décousu et inégal, dont le principal intérêt réside dans son format original et audacieux. En cela dailleurs, lexercice savère intéressant, dautant plus que les trois réalisateurs aux commandes font parties des plus prestigieux de Hongkong, avec chacun un style bien affirmé. Malheureusement, comme tout exercice expérimental, ce film est loin de convaincre pleinement. La faute en premier lieu à son format : chacun des trois réalisateurs a hérité dun segment de même durée (environ une demie heure chacun), qui pénalise la fluidité et le rythme du film. Un film qui tarde trop à commencer et à nous faire rentrer pleinement dans laction, en raison dune première demie-heure introductive beaucoup trop longue (mais comment faire autrement dans un tel découpage de trois demies heures ?). De même, ce « cadavre exquis » souffre de gros problèmes de raccords et de transitions entre chaque segment, là encore pénalisant lourdement la fluidité de lensemble et obligeant le spectateur à faire un effort pour tenter de rentrer à nouveau à chaque fois dans cette histoire. Une histoire des plus classiques, basé sur un scénario un poil feignant, qui flirte entre action, polar, film noir, et comédie, sans jamais trouver le ton juste ni exceller dans aucun de ces genres. Tout cela est dautant plus dommage que certains films hongkongais, tel le « Exilé » de Johnnie To, ont su tiré leur réussite de ce savant et équilibré mélange des genres. Pour autant, « Triangle » nest pas non plus un navet. Loin de là. Lexercice de style que représente ce film semble avoir été pris comme une cour de recréation par nos trois réalisateurs qui y ont semble-t-il pris beaucoup de plaisir, laissant libre court à leur folie et à certains excès. Du coup, aussi maladroit soit-il, il se dégage de ce « Triangle » une bonne humeur assez communicative. Entre ce personnage féminin totalement azimuté, ces trois héros apparentés Pied-Nickelés, ou encore cet ultime gunfight sentant à plein nez lexcès et lautodérision, le spectacle se suit assez bien et agréablement. Les clins dil aux influences des réalisateurs sont dailleurs nombreux et évidents, comme le « Tu as baisé ma femme ? » qui semble tout droit sorti du « Raging Bull » de Scorsese porté par De Niro, ou encore la scène du métro, qui fait fatalement penser au « Samouraï » de Melville ou à « French Connection ». Lautre point positif vient de linterprétation, qui là aussi, se permet beaucoup de liberté et dexcès. Les comédiens, Simon Yam et Louis Koo en tête, se montrent particulièrement délirants, samusant à jouer des trompeuses apparences de leurs personnages. A noter quils font partie du gratin des acteurs locaux, et que tous ont déjà tourné avec au moins un des trois réalisateurs.
« Quand on mange de la merde, cest jusquau bout. Cest le destin. »
Projet expérimental, maladresses, scénario inégal, il sera donc difficile dadhérer totalement à ce film, malgré les trois grands noms du cinéma hongkongais qui lui sont rattachés. Une pointe de déception dautant plus grande que leurs derniers films, notamment ceux de To, nous ont systématiquement bluffés par leur grande qualité. Néanmoins, on retiendra de ce « Triangle » son aspect atypique et audacieux, dont lhumour, lautodérision, et le gunfight final en font un honnête et agréable divertissement.
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