Ce que mes yeux ont vu
« Cette femme a toujours été représentée de dos. Personne ne sait qui sest. Pourtant le point de fuite est centrée sur elle, tout se construit autour delle »
Paris. Lucie, jeune thésarde en histoire de lart, prépare un mémoire sur les femmes dans les uvres du peintre Watteau. Au fil de ses recherches, elle est de plus en plus intriguée par la présence dans nombre des uvres du peintre dune femme de dos dont on ne voit jamais le visage. Persuadée davoir mis le doigt sur un mystère de la vie du maître, elle se plonge dans les uvres et la vie du peintre, à la recherche de lidentité de cette femme et de limportance quelle a eu pour Watteau. Une quête obsédante et destructrice dautant plus que son directeur de thèse, spécialiste du peintre, refuse de lencourager dans ses recherches, par rancur davoir lui-même échoué. Seul Vincent, un jeune sourd et muet mystérieux, lui apporte un peu de réconfort
« Si je vous comprends bien, vous êtes en train de nous dire que Watteau était un voyeur. Une sorte de Hannibal Lecter de la fête galante »
Le choix de développer une intrigue de film autour de lunivers de la peinture, de lart et de ses mystères est souvent audacieux et compliqué. Certains films récents en ont dailleurs fait les frais. On se souviendra ainsi de linfâme « Da Vinci Code » (Howard 2005), du raté « Les fantômes de Goya » (Forman 2007), ou du peu convaincant « La jeune fille à la perle » (Webber 2003). En cela, « Ce que mes yeux ont vu » avait tout du défi casse-gueule. Et ce dautant plus quil sintéressait au peintre Antoine Watteau (1684 1721), personnage assez mystérieux puisquon sait peu de choses sur sa vie, et dont luvre reste assez peu connue du grand public. Sujet délicat donc pour Laurent De Bartillat qui signe ici son premier long. Le sujet ne lui est pourtant pas étranger puisque ce dernier a été fait des études dhistoire de lart. Dans un soucis évident de réalisme, le film a nécessité plus de six mois de préparation pour tout ce qui concerne les recherches sur le peintre. Des spécialistes du maître, des historiens, mais aussi des spécialistes techniques (restaurateurs, peintres, graphistes) ont ainsi participé à la préparation. A noter que le film a été présenté en compétition officielle au dernier Festival de Rome.
« Lil de lâne, cest lil du peintre, parce que lâne voit tout et que personne ne le voit »
Sujet difficile, on pouvait craindre le pire de ce qui sannonçait comme le « Da Vinci code » à la française. Car autant le dire, pas facile à priori de passionner le spectateur par la recherche de lidentité dun mystérieux personnages dans les tableaux dun peintre certes majeur, mais dont luvre reste peu connue. Et pourtant, malgré quelques imperfections excusables, De Bartillat réussit là même où Ron Howard sest littéralement planté. Avec une mise en scène sans esbroufe, classique mais maîtrisée, le réalisateur nous plonge dans cette recherche fictionnelle sur la vie sentimentale du peintre. A travers ses uvres, parfaitement mises en valeur par la caméra, il nous replonge dans le Paris du début du 18ème siècle et dans les mystères de la codification du langage pictural. Si lenquête peut paraître sensationnelle (encore que, on pourrait tout à fait trouver crédible ces explications sur lidentité de la femme de dos), la force du scénario est aussi de dresser un parallèle entre lenquête sur luvre elle-même, et la quête identitaire, plus personnelle, menée par Lucie. En effet, cette dernière étant timide, réservée, et menant une vie dascète, cette quête lui permet de saffirmer face à une sur ou à un professeur peu encourageants, et à trouver sa place dans la vie. Reste un personnage de sourd et muet énigmatique, dont la présence reste la seule véritable interrogation. Certes, il permet par hasard de faire avancer lenquête, mais son mutisme et son rôle en soi restent plus quénigmatiques.
« Vous commenciez à voir et vous êtes redevenue aveugle »
Loin des artifices de mises en scène ou des effets spéciaux clinquants qui comblaient le vide du « Da Vinci code », le choix de De Bertillat dopter pour une mise en scène classique mais maîtrisée est tout à fait judicieux. De ce fait, lessentiel du film est réalisé sur la base de plan très resserrés autour de lhéroïne, renforçant la sensation denfermement psychologique et le caractère obsessionnel de cette quête. Une sensation renforcée également pas le contraste entre les tons pastels des uvres de Watteau, et la luminosité terne qui domine le film. Mais lintérêt du film repose aussi sur la jolie performance de son actrice principale, SylvieTestud. Présente dans toutes les scènes, elle impose son naturel et un touchant manque de confiance en elle qui donne de la chair à son personnage. Face à elle, Jean-Pierre Marielle (déjà présent dans le « Da Vinci Code ») se montre bon sans crever lécran comme il le fait dans le récent « Faut que ça danse ! ». Reste James Thierrée, petit-fils de Charlie Chaplin, qui livre une touchante performance bien quon ne comprenne pas trop lintérêt de son personnage.
« Vous vous laissez submerger par vos émotions. Exprimez-les dans votre vie, pas dans votre travail »
Bonne surprise finalement que ce « Ce que mes yeux ont vu », premier long signé Laurent De Bertillat. Sur le difficile sujet de lenquête menée sur la vie dun peintre à travers ses uvres, il réussit son pari en entraînant en douceur les spectateurs dans lunivers du peintre Watteau. Cohérente et pertinente, sa quête se suit avec intérêt jusquà son émouvant dénouement, et trouve un joli reflet dans la quête existentielle menée par lhéroïne. Sans être un chef duvre, « Ce que mes yeux ont vu » est un premier film très maîtrisé, qui sort du lot par son originalité. Une des bonnes surprises françaises de cette fin dannée.
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