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06 Dec

Ce que mes yeux ont vu

Publié par platinoch  - Catégories :  #Films noirs-Policiers-Thrillers

« Cette femme a toujours été représentée de dos. Personne ne sait qui s’est. Pourtant le point de fuite est centrée sur elle, tout se construit autour d’elle »

 

Paris. Lucie, jeune thésarde en histoire de l’art, prépare un mémoire sur les femmes dans les œuvres du peintre Watteau. Au fil de ses recherches, elle est de plus en plus intriguée par la présence dans nombre des œuvres du peintre d’une femme de dos dont on ne voit jamais le visage. Persuadée d’avoir mis le doigt sur un mystère de la vie du maître, elle se plonge dans les œuvres et la vie du peintre, à la recherche de l’identité de cette femme et de l’importance qu’elle a eu pour Watteau. Une quête obsédante et destructrice d’autant plus que son directeur de thèse, spécialiste du peintre, refuse de l’encourager dans ses recherches, par rancœur d’avoir lui-même échoué. Seul Vincent, un jeune sourd et muet mystérieux, lui apporte un peu de réconfort…

 

« Si je vous comprends bien, vous êtes en train de nous dire que Watteau était un voyeur. Une sorte de Hannibal Lecter de la fête galante »

 

Le choix de développer une intrigue de film autour de l’univers de la peinture, de l’art et de ses mystères est souvent audacieux et compliqué. Certains films récents en ont d’ailleurs fait les frais. On se souviendra ainsi de l’infâme « Da Vinci Code » (Howard – 2005), du raté « Les fantômes de Goya » (Forman – 2007), ou du peu convaincant « La jeune fille à la perle » (Webber – 2003). En cela, « Ce que mes yeux ont vu » avait tout du défi casse-gueule. Et ce d’autant plus qu’il s’intéressait au peintre Antoine Watteau (1684 – 1721), personnage assez mystérieux puisqu’on sait peu de choses sur sa vie, et dont l’œuvre reste assez peu connue du grand public. Sujet délicat donc pour Laurent De Bartillat qui signe ici son premier long. Le sujet ne lui est pourtant pas étranger puisque ce dernier a été fait des études d’histoire de l’art. Dans un soucis évident de réalisme, le film a nécessité plus de six mois de préparation pour tout ce qui concerne les recherches sur le peintre. Des spécialistes du maître, des historiens, mais aussi des spécialistes techniques (restaurateurs, peintres, graphistes) ont ainsi participé à la préparation. A noter que le film a été présenté en compétition officielle au dernier Festival de Rome.

 

« L’œil de l’âne, c’est l’œil du peintre, parce que l’âne voit tout et que personne ne le voit »

 

Sujet difficile, on pouvait craindre le pire de ce qui s’annonçait comme le « Da Vinci code » à la française. Car autant le dire, pas facile à priori de passionner le spectateur par la recherche de l’identité d’un mystérieux personnages dans les tableaux d’un peintre certes majeur, mais dont l’œuvre reste peu connue. Et pourtant, malgré quelques imperfections excusables, De Bartillat réussit là même où Ron Howard s’est littéralement planté. Avec une mise en scène sans esbroufe, classique mais maîtrisée, le réalisateur nous plonge dans cette recherche fictionnelle sur la vie sentimentale du peintre. A travers ses œuvres, parfaitement mises en valeur par la caméra, il nous replonge dans le Paris du début du 18ème siècle et dans les mystères de la codification du langage pictural. Si l’enquête peut paraître sensationnelle (encore que, on pourrait tout à fait trouver crédible ces explications sur l’identité de la femme de dos), la force du scénario est aussi de dresser un parallèle entre l’enquête sur l’œuvre elle-même, et la quête identitaire, plus personnelle, menée par Lucie. En effet, cette dernière étant timide, réservée, et menant une vie d’ascète, cette quête lui permet de s’affirmer face à une sœur ou à un professeur peu encourageants, et à trouver sa place dans la vie. Reste un personnage de sourd et muet énigmatique, dont la présence reste la seule véritable interrogation. Certes, il permet par hasard de faire avancer l’enquête, mais son mutisme et son rôle en soi restent plus qu’énigmatiques.

 

« Vous commenciez à voir et vous êtes redevenue aveugle »

 

Loin des artifices de mises en scène ou des effets spéciaux clinquants qui comblaient le vide du « Da Vinci code », le choix de De Bertillat d’opter pour une mise en scène classique mais maîtrisée est tout à fait judicieux. De ce fait, l’essentiel du film est réalisé sur la base de plan très resserrés autour de l’héroïne, renforçant la sensation d’enfermement psychologique et le caractère obsessionnel de cette quête. Une sensation renforcée également pas le contraste entre les tons pastels des œuvres de Watteau, et la luminosité terne qui domine le film. Mais l’intérêt du film repose aussi sur la jolie performance de son actrice principale, SylvieTestud. Présente dans toutes les scènes, elle impose son naturel et un touchant manque de confiance en elle qui donne de la chair à son personnage. Face à elle, Jean-Pierre Marielle (déjà présent dans le « Da Vinci Code ») se montre bon sans crever l’écran comme il le fait dans le récent « Faut que ça danse ! ». Reste James Thierrée, petit-fils de Charlie Chaplin, qui livre une touchante performance bien qu’on ne comprenne pas trop l’intérêt de son personnage.

 

« Vous vous laissez submerger par vos émotions. Exprimez-les dans votre vie, pas dans votre travail »

           

Bonne surprise finalement que ce « Ce que mes yeux ont vu », premier long signé Laurent De Bertillat. Sur le difficile sujet de l’enquête menée sur la vie d’un peintre à travers ses œuvres, il réussit son pari en entraînant en douceur les spectateurs dans l’univers du peintre Watteau. Cohérente et pertinente, sa quête se suit avec intérêt jusqu’à son émouvant dénouement, et trouve un joli reflet dans la quête existentielle menée par l’héroïne. Sans être un chef d’œuvre, « Ce que mes yeux ont vu » est un premier film très maîtrisé, qui sort du lot par son originalité. Une des bonnes surprises françaises de cette fin d’année.    

     



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B
Je l'ai vu ! C'est vrai que c'est un bon film tout en finesse qui se laisse voir comme une peinture dont on recherche le sens de l'oeuvre d'une vie. Sandrine Testud joue juste avec beaucoup d'aisance, et Marielle est géant une fois de plus. A voir.
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B
A lalecture de ta critique, j'ai une indicible envie d'aller voir le film. Merci !
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Le site sans prétention d'un cinéphile atteint de cinéphagie, qui rend compte autant que possible des films qu'il a vu!