Les délices de Tokyo
Un grand merci à Blaq Out pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le dvd du film « Les délices de Tokyo » de Naomi Kawase.
« Que c’est bien d’être jeune ! Vous devriez vous permettre de faire ce qui vous plait au moins une fois parce que vous êtes libres ! »
Les dorayakis sont des pâtisseries traditionnelles japonaises qui se composent de deux pancakes fourrés de pâte de haricots rouges confits, « An ». Tokue, une femme de 70 ans, va tenter de convaincre Sentaro, le vendeur de dorayakis, de l’embaucher. Tokue a le secret d’une pâte exquise et la petite échoppe devient un endroit incontournable…
« Même si on s’efforce de vivre de façon irréprochable, il se peut que l’incompréhension de la société nous écrase. Il faut alors savoir faire preuve de sagesse. »
Fraichement diplômée en Photographie, Naomi Kawaze débute sa carrière en enseignant durant quatre années sa discipline de prédilection. Ce n’est qu’au début des années 90 qu’elle se lance dans la réalisation de ses premiers courts-métrages. Mais le tournant de sa carrière a lieu en 1992, lorsque la réalisatrice se spécialise avec succès dans la réalisation de documentaires. Une véritable passion qu’elle n’abandonnera jamais et qui influencera durablement ses films de fiction, toujours marqués par des thèmes sociaux et emprunts de beaucoup de naturalisme et d’humanité. En 1996, elle réalise un premier film de fiction très remarqué, « Suzaku », qui remporte la Caméra d’or au Festival de Cannes. Malgré des budgets souvent contraints (voire même minimes), la réalisatrice parvient cependant à poursuivre une belle carrière, enrichissant sa filmographie de véritables pépites comme « Shara » (2003), « La forêt de Mogari » (2007, Grand Prix du jury à Cannes), « Hanezu » (2011) ou encore « Still the water » (2014). Son nouveau film, « Les délices de Tokyo », est une adaptation du roman « An » (du nom d’une pâte sucrée à base de haricots rouges très populaire au Japon) de Durian Sukegawa, un auteur qu’elle connait bien pour lui avoir confié un petit rôle dans « Hanezu ». Le film a ainsi été présenté au Festival de Cannes dans la catégorie « Un certain regard ».
« Je pense qu’un jour vous serez capable de préparer vos propres Dorayakis d’une façon qui vous ressemble. Vous devez pour cela suivre votre propre chemin. »
Au cinéma, le thème de l’art culinaire a souvent été synonyme de passion, de créativité et de recherche de perfection à la limite du dépassement de soi. Avec « Les délices de Tokyo », Naomi Kawase place résolument l’art culinaire sous le signe de la tradition et de la transmission. A l’image de cette grand-mère qui apprend à son jeune patron la délicate recette ancestrale de la pâte « An ». Un apprentissage autant malicieux que fantaisiste, l’attachante Tokue apprenant à son élève le respect des produits et de la nature en lui expliquant comment être à l’écoute des ingrédients et à respecter les étapes de cette fastidieuse transformation, filmée avec une précision quasi documentaire et une étonnante douceur. Mais surtout, la réalisatrice se sert de la cuisine comme un joli prétexte narratif pour imaginer la rencontre de trois générations de solitude: Tokue, la grand-mère attachante et fantasque passée à côté de sa vie ; Sentaro le pâtissier désabusé trainant derrière lui la culpabilité d’un passé douloureux ; ou encore Wakama, adolescente disgracieuse et délaissée. Des personnages tous malmenés et cabossés par la vie, symboles d’une société japonaise régie par des traditions et des usages particulièrement durs. Avec beaucoup d’intelligence, Naomi Kawase évoque ainsi de sujets aussi difficiles que la ségrégation, les préjugés et le racisme latent au sein de la société japonaise. Des sujets sensibles, qu’elle traite avec empathie et humanité, revenant notamment en filigrane sur la triste condition infligée aux lépreux japonais (internés et isolés de force dans des sanatoriums par les autorités), réalité méconnue et peu glorieuse du Japon contemporain (ladite loi n’a été abolie qu’en 1996, période avant laquelle ces citoyens japonais étaient interdits de circulation sur le territoire). « Les délices de Tokyo » prennent alors des contours de conte philosophique, sorte de réflexion sur le sens de la vie et sur le temps qui passe, à l’image des cycles des saisons et de la nature, qui sert ici de métaphore (les arbres, les haricots et leur histoire, l’écume à évacuer pour en retirer l’amertume…). Les fameux dorayakis apparaissent alors comme un petit réconfort, une petite douceur dans ce monde brutal. Une leçon de vie à même de redonner goût à la vie aux esprits les plus chagrins. Naomi Kawase signe donc là un film délicat en forme de sucrerie savoureuse et à l’émotion intense.
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Le dvd : Le film est présenté en version originale japonaise (5.1 et 2.0) avec des sous-titres français. Côté bonus, le dvd propose un entretien avec la réalisatrice Naomi Kawase ainsi que « Lies », un court-métrage de la réalisatrice (25 min.). Le dvd comporte également un petit livret contenant la recette des fameux Dorayakis, au centre du film.
Edité par Blaq Out, « Les délices de Tokyo » est disponible en dvd et en blu-ray depuis le 24 juin 2016.
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