Super size me
« Soignez le client, et les affaires marcheront »
Le journaliste Morgan Spurlock nous propose une enquête sur le business de la mal bouffe et du fast-food aux Etats-Unis. Partant du constat de laugmentation galopante du nombre dobèses dans la population américaine et sappuyant sur le procès verbal dun procès intenté et perdu par des obèses contre McDonalds selon lequel on ne peut pas prouver le lien entre le fast-food et le surpoids du fait que les plaignants ny aient pas mangé tous les jours, Spurlock nous propose dillustrer son enquête en relevant le défi de se nourrir exclusivement dans la célèbre enseigne au M jaune pendant un mois, matin, midi, et soir. Suivi par des spécialistes, des médecins et des diététiciens, il souhaite ainsi voir les résultats réels de la surconsommation de fast-food sur lorganisme
« Tout est plus gros aux USA : on a les plus grosses voitures, les plus grosses maisons, les plus grosses sociétés, et les plus gros gros »
Inconnu jusquici au bataillon, Morgan Spurlock a réussit à se faire un nom dès son premier film documentaire. Diplômé en cinéma à lUniversité de New York, Spurlock est loin dêtre un novice. En bon touche-à-tout, il sest fait les dents depuis son diplôme sur tout un tas de projet et à différents postes. On le retrouve ainsi en assistant de production sur le tournage de « Léon » de Besson, en concepteur-réalisateur de clips et de pubs pour la télé, et en producteur. Iconoclaste, il monte même une pièce de théâtre à New York. Remportant un succès surprise, celle-ci sest vue plusieurs fois primée. « Super size me » est ainsi son premier film. Un documentaire dont lidée est née dun procès intenté par des personnes obèses contre la firme McDonalds, et qui a valu à son réalisateur et investigateur toute une série de récompenses, à commencer par le Prix du meilleur documentaire au Festival de Sundance en 2004, ainsi quune nomination pour le meilleur documentaire aux Oscars 2005.
« LAmérique est McDonaldisée. Elle est franchisée. »
Sujet on ne peut plus dactualité, tant ici quoutre-Atlantique, la mal bouffe méritait bien quon lui consacre un documentaire en format ciné. Vous en rêviez ? Morgan Spurlock la fait ! Alors bien sûr, certains trouveront toujours des reproches à faire à ce pari stupide consistant à manger pendant un mois exclusivement dans une même chaîne de fast-food. Pour autant, derrière cette démarche primaire, il ne fera que sabaisser au niveau des juges qui auront refusé de reconnaître la culpabilité de lenseigne au M jaune dans un procès intenté contre elle par deux adolescentes sur-consommatrices et obèses. Mais plus encore, ce pari sert de fil rouge à une enquête journalistique plus profonde, intelligente, et ludique. Car non content de démontrer une évidence connue de tous (le lien entre lobésité et la surconsommation de fast-food), Spurlock sattache à montrer aux yeux de tous lemprise des géants de lagroalimentaire sur la société américaine, qui jouent à fond la carte du profit et de la rentabilité au détriment de la politique de santé publique. Ainsi, innondant le peuple par les publicités, les dessins animés à léfigie du clown, et les programmes de fidélisation des plus jeunes (jouets et aires de jeux), les chaînes de fast-food ne se content plus dinciter à la consommation de leurs produits, mais pratiquent le matraquage intensif. Remettant ainsi en jeu des notions comme le libre-arbitre ou la responsabilité individuelle. Certaines scènes sont à ce titre édifiantes et dun cynisme assez drôle, comme cette scène où des enfants ne reconnaissent pas le Président des USA mais reconnaissent parfaitement les personnages des logos des enseignes de fast-food. De même avec ces américaines incapables de réciter la déclaration dindépendance mais récitant dune traite les slogans publicitaires accrocheurs de ces même enseignes. Et si cétait cela le modèle de société régressif et décadent dont nous alarmaient les pires films danticipation ?
« Cest officiel, mon corps me déteste »
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Sur la forme, il est évident que Spurlock reprend les bases narratives du documentaire posées par Michael Moore (enquête sérieuse, mais avec une mise en scène assez drôle pour toucher le plus grand nombre). Le parti pris dune réalisation très « télé réalité » va complètement dans le sens dune dérive de la société quil condamne. Le soin apporté à la bande musicale, bien punchy est aussi à souligner. Après, bien évidemment, il soigne le fond et son enquête. Mais il sait aussi pimenter sa démonstration avec des exemples et des témoignages accrocheurs, apportant ainsi une bonne dose dhumour propre à maintenir une attention optimale des spectateurs. Outre son défi personnel de gavage, on retiendra par exemple le témoignage dun texan se nourrissant exclusivement de Big Mac depuis près de 30 ans, ou de celui dun candidat à la gastroplastie (opération de chirurgie visant à réduire la taille de lestomac) buvant une trentaine de litres de soda par semaine. De même, les exemples factuels sur les tailles des gobelets ou des portions de frites restent particulièrement impressionnants. Grâce à ce recul, cet aspect ludique et cet humour avec lequel il traite son sujet, Spurlock donne une certaine hauteur à sa démonstration, qui, au-delà du simple sujet de la malbouffe ou du fast-food, dresse un inquiétant portrait sociologique de lAmérique. Un modèle dautant plus inquiétant quil tend à se propager dans la plupart des pays riches. Si le signal dalarme est évidemment salutaire (son film aurait contribué à la suppression par la direction de McDo de la plus grande taille de menu, le fameux « Super size »), on doit aussi garder à lesprit un certain recul salutaire quant à lobjectivité de Spurlock (son couple est clairement branché végétarien, sa femme est limite militante). Reste que la démonstration est assez probante et inquiétante. Et quon doit reconnaître au réalisateur un énorme talent puisquil signe un documentaire non seulement intelligent et passionnant, mais aussi très divertissant. Une vraie réussite.
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