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13 Nov

Mon meilleur ennemi

Publié par platinoch  - Catégories :  #Documentaires

« - Regrettez-vous certains actes de votre vie ?

   - J’ai peut-être commis quelques erreurs, mais un homme doit rester fidèle à sa ligne de conduite »

 

Wild Bunch DistributionOn croyait bien connaître Klaus Barbie, infâme criminel de guerre nazi nommé « le boucher de Lyon » pour y avoir sévit durant l’occupation, et qui a été jugé à Lyon dans un procès retentissant dans les années 80 avant de mourir en prison. A son sinistre palmarès, on retiendra l’arrestation, la tortue et l’assassinat du Chef de la Résistance, Jean Moulin, ainsi que la déportation de 44 enfants juifs et de leurs éducateurs du pensionnat d’Izieu. Mais entre ses crimes de guerre et son procès tardif, peu de gens connaissent réellement ce qu’a été la vie de Barbie. Un destin hors normes d’un bourreau fanatique sans répit, impliqué dans de nombreux évènements importants et  symptomatiques de l’après-guerre et de la guerre froide. Un bourreau qui a échappé durant longtemps à ses juges grâce au soutien complice des occidentaux qui ont acheté ses services et ses réseaux pour lutter contre la menace communiste…

 

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« Il avait cette capacité à la cruauté et à la violence, cette volonté de dominer les autres »

 

Wild Bunch DistributionKevin MacDonald, réalisateur écossais, s’était fait remarqué l’année dernière grâce à son « Dernier roi d’Ecosse », portrait semi-fictif du dictateur ougandais Idi Amin Dada. Film qui sera auréolé de l’Oscar du meilleur acteur pour Forrest Whitaker. Ce que l’on sait peut-être moins, c’est qu’avant de se lancer dans son premier long de fiction, MacDonald s’est construit une solide réputation de réalisateur de documentaire, carrière qu’il a débuté voilà près de quinze ans. Outre le récit semi-fictif de « La mort suspendue » (2004), on lui doit surtout « Un jour en septembre », documentaire réalisé en 1999 sur la prise d’otages aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, et pour lequel il avait reçu l’Oscar du meilleur documentaire en 2000. Avec de telles réalisations à son crédit, pas étonnant de retrouvé MacDonald aux commandes d’un documentaire sur un personnage aussi sombre de l’Histoire. D’abord lancé sur un projet de documentaire sur l’avocat Jacques Vergès (qui ne verra pas le jour en raison des difficultés de MacDonald à cerner et interviewer cet homme qu’il dit « manipulateur », le projet sera repris avec succès par Barbet Schroeder qui en tirera le documentaire sorti il y a quelques mois « L’avocat de la terreur »), MacDonald s’intéressera aux affaires défendue par ce dernier et (re)découvrira ainsi l’incroyable passé de Barbie, ce qui lui donnera envie de lui consacrer un film. A noter que Klaus Barbie avait déjà fait l’objet d’un film documentaire, « Hotel terminus : Klaus Barbie, sa vie et son temps », réalisé par Marcel Ophüls en 1988.

 

« Barbie nous est encore utile. Quand il ne nous le sera plus, on le donnera aux français »

 

Wild Bunch DistributionVoilà un documentaire passionnant dont on ne ressort ni indemne ni indifférent. Cette histoire stupéfiante, très bien documentée, se lit sous deux axes. Le premier dresse le portrait terrifiant d’un homme barbare, violent et totalement acquis à une idéologie criminelle. Ainsi, les quarante années qui ont séparé la fin de la seconde guerre mondiale de son arrestation ont vu Barbie mener une vie rocambolesque digne des romans d’espionnage les plus farfelus, passant de chef de réseau de contre-espionnage à la solde des occidentaux, à conseiller spécial des dictateurs issus de la junte militaire bolivienne. Une junte qu’il soutiendra et replacera au pouvoir (en renversant un éphémère gouvernement démocratique) avec l’aide de paramilitaires nazis pour tenter d’instaurer un IV Reich en Bolivie avant d’être finalement lâché par les américains. De ce portrait on retiendra l’image effroyable de cet homme, père de famille et époux model d’un côté, et incarnation même du mal de l’autre, capable sans scrupules de la pire barbarie au nom d’un idéal raciste et violent auquel il croira jusqu’à la fin. On retiendra également le cynisme écœurant de cet homme au sourire glaçant, qui joue au chat et à la souris avec les autorités et les médias, se revendiquant tantôt Klaus Barbie tantôt Klaus Altman simple citoyen bolivien, revendiquant à demi-mot et avec fierté les pires crimes, et répétant que ceux-ci étaient excusables car ayant été perpétrés pendant la guerre, ou encore allant se receuillir incognito sur la tombe de Moulin lors d'une visite à Paris en 1970. Le deuxième axe de lecture de ce film est tout aussi passionnant, mettant en avance l’implication des gouvernements occidentaux, notamment américains, dans le soutien apporté aux criminels de guerre nazis qu’ils ont couvert et protégé en échange de leurs réseaux d’informateurs et d’espions contre la menace soviétique. Un système à deux vitesses où les américains et leurs alliés ont pu se vanter dans un premier temps d’avoir triomphé de la barbarie, et finalement aussitôt pactiser avec ceux qu’ils ont combattu et représentaient quelques mois plus tôt la barbarie. Une critique moralement acerbe d’un monde malade et corrompu, des relations internationales et de la politique occidentale, qui trouve un écho d’autant plus fort que l’Histoire semble se répéter, rappelant par là qu’avant de combattre le réseau Al-Qaeda, les américains avaient largement soutenu (politiquement, militairement et financièrement) les talibans dans leur combat contre les soviétiques.

 

« -     Pensez-vous que l’Europe, l’Occident, le monde doivent oublier vos crimes ?

-         Oui. Il y a eu tellement de crimes à travers le monde depuis…

-         Les français, eux, semblent n’avoir pas oublié.

-         Moi j’ai oublié. Si eux ne veulent pas oublier, c’est leur problème »

 

Klaus Barbie. Wild Bunch DistributionOutre le méticuleux travail journalistique et documentaire de MacDonald, on ne pourra que saluer sa réalisation soignée. Montée comme un thriller nerveux, le film enchaîne les images d’archives (dont beaucoup sont inédites), entrecoupées de témoignages marquants et toujours pertinents d’historiens, de personnalités politiques, ou de personnes ayant connu Barbie, tous d’horizons ou d’avis différents sur le personnage. Si certains d’entre eux, partageant la même idéologie, font froid dans le dos, on sera d’autant plus bouleversé par le témoignage des victimes de Barbie (comme cette vieille dame partie avec Beate Klarsfeld en Bolivie pour tenter d’obtenir l’extradition de Barbie, et dont les deux petites filles font parties des victimes d’Izieu). Ajoutons à cela l’excellence du choix d’André Dussolier comme narrateur. Ce dernier, d’une sobriété absolue, renforce cette impression agréable d’objectivité dans le travail documentaire, qui ne fait qu’amplifier l’horreur du personnage.

 

« Quand j’ai commis ces actes, c’était la guerre. Et la guerre, c’est fini »

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Klaus Barbie. Wild Bunch Distribution Personnalité hors normes, Mal incarné, ayant traversé les 40 années de l’après-guerre en jouant un rôle actif et en participant à de nombreux évènements marquants de la Guerre Froide (comme l’élimination de Che Guevara), Klaus Barbie restera comme un des personnages les plus terrifiants du 20ème siècle. Appuyé par un travail journalistique et documentaire étayé et impressionnant, Kevin MacDonald signe un documentaire passionnant sur le « boucher de Lyon ». Mais plus que ça, avec une pertinence et une intelligence d’une grande subtilité, il démontre comment les pays occidentaux ont laissé proliférer le mal et la barbarie en pactisant et en protégeant ses sinistres personnages (comme ils feront plus tard avec Ben Laden), porteurs d’intérêts à courts termes. Un film essentiel, passionnant, à voir absolument.



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B
Pas de doute. Il faut aller le voir. On en sais jamais assez. On ne doit jamais oublier, qu'aujourd'hui encore, des Barbie sévicent quotidiennement à travers le monde. Beaucoup d'entre nous n'attendent, ou pas, simple quidam, le moment propice pour laisser libre court à la barbarie. Sur sa femme, ses enfants, ou à plus grande échelle...
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