Les amours d'Astrée et de Céladon
« Vous avez bien de la hardiesse de soutenir mon regard après lavoir trahi »
5ème siècle après J-C, quelque part en France, dans une forêt enchantée. En dépit du désaccord de leurs familles, Astrée et Céladon saiment innocemment damour pur. Mais, manipulée par un prétendant, Astrée finit par croire que Céladon la trompe. Après lavoir violemment éconduit, ce dernier décide de se jeter dans la rivière par désespoir. Alors que tout le monde le croit mort, ce dernier est repêché par des nymphes qui décident de le soigner. Si lune dentre elle décide de lenfermer contre son gré pour mieux lépouser, une de ses disciples laide à prendre la fuite dans les bois. Mais plutôt que de retourner chez lui, celui-ci préfère vivre son malheur en ermite, respectant ainsi le vu dAstrée de ne plus jamais le voir. Mais guidé par un druide, celui-ci accepte de relever un certain nombre dépreuves et accepte de se faire passer pour une femme pour côtoyer sa belle sans quelle le reconnaisse et sans ainsi briser son vu
« Cest donc avec la plus grande tristesse que je constate que vous ne pleurez même pas celui qui vous aimait plus que lui-même »
Il était une fois lun des plus grands réalisateurs du patrimoine cinématographique français. Eric Rohmer, grand artisan de la Nouvelle Vague et réalisateur duvres majeures comme « Le genou de Claire » (1970), « Lamour laprès-midi » (1972), « Pauline à la plage » (1983), ou encore lexcellent « Conte dété » (1996), a toujours eu un style caractéristique et reconnu marqué par une certaine évanescence visuelle, un goût pour le minimalisme, et des dialogues très littéraires. Pour autant ses films ont rarement fait lunanimité, la faute à un style souvent peu accessible, et à des choix thématiques discutables et abscons. A ce titre, ladaptation cinématographique du roman fleuve (pas moins de 5000 pages !) dHonoré dUrfé, daté du début du 17ème siècle, avec une intrigue située à lépoque des druides et des bergers, pouvait paraître quelque peu déroutante, les rares incursions du metteur en scène dans des adaptations duvre littéraires anciennes ayant donné lieu à des uvres franchement hallucinantes et pas convaincantes du tout. Ceux qui auront vu « Perceval le gallois » (1979), avec Lucchini, me comprendront !
« Céladon, je ne suis point incommodée puisque je vous vois accommodé »
Et malheureusement, la catastrophe attendue se met en place dès les premières secondes du film, et cette scène de fête de village où des jeunes gens en toges dansent maladroitement une carmagnole improbable. Les scènes se succèdent entrecoupées de panneaux écrits et de voix off commentant les scènes façon « Rosemarys baby » (1968 Polanski), rendant lensemble assez désagréable et parfois risible (la palme pour le réveil de Céladon chez les nymphes, avec la voix off « Céladon se demande où il est », et Céladon qui enchaîne « où suis-je ? »), et les jeunes acteurs débitent des dialogues ultra littéraires et dune platitude absolue. Si luvre originale (javoue volontiers ne pas lavoir lue) était certainement dotée dune force dramatique sur la perte désespérée de lAmour et son besoin vital de reconquête (on imagine bien le thème assez poétique et onirique façon « Le roman de la rose »), Rohmer, par sa mise en scène plan plan et par ses dialogues assommants et inintéressants, désamorce tout le potentiel émotionnel de son film et plombe littéralement les spectateurs dans un profond ennui.
« Il me fait penser à ceux qui après avoir trouvé le vin trop bon se plaignent de sen être laissé enivrer »
Et lensemble nest pas rattrapé par laspect visuel du film. Car à la mise en scène sans âme et feignante de Rohmer, il faut ajouter les choix visuels incompréhensibles de lauteur. Soyons clairs, depuis « Perceval le gallois », jamais un film de Rohmer (voire même jamais un film) navait eu une telle laideur visuelle à nous offrir. Sur une photographie seventies, jaunie et dégueulasse, flirtant dans le style entre vieux porno à petits budgets, mauvais sketch des Inconnus (façon "Le chevalier de Pardaillec" on sattend dailleurs à voir Didier Bourdon débarquer en clamant « il y a un traître à la cour, quen penses-tu Abdallâh de Bourgogne ? »), et surtout niaiserie télévisuelle seventies façon Nina Campanez, des personnages en toges évoluent dans un décor minable en déclamant des vers improbables et des chansons faussement lyriques et horripilantes. Véritablement une sorte de trip hallucinogène, calibré pour un public de lecteurs des « Cahiers du Cinéma ».
« Naccusez point cette fille, il faut seulement accuser le mauvais astre sous lequel je suis né »
Comme toujours chez Rohmer, le casting comporte peu de comédiens confirmés et beaucoup dinconnus, ce qui se sent dailleurs dans linégalité des prestations. Les deux acteurs confirmés, Jocelyn Quivrin et surtout Cécile Cassel survolent le film (bien quon se demande ce quils sont venus faire dans ce film). A leurs côtés, le quasi novice Andy Gillet (vu dans lexcellent « Nouvelle chance » dAnne Fontaine), brille par une étonnante évanescence et par son étrange beauté androgyne. Et derrière, le néant. La jeune et néanmoins jolie Stéphanie de Crayencour semble à côté de ses pompes lors de toutes ses déclamations, et se rate ridiculement à chaque scène de pleurs. Mais la palme du naufrage revient sans contexte au comédien interprétant le troubadour fougueux et dragueur impénitent. Ses mimiques et ses intonations mériteraient un bêtisier consacré chez Arthur, si seulement celui-ci connaissait luvre de Rohmer. Entre sourire gêné de pitié, et ennui profond, le dernier Rohmer semble définitivement être une uvre absconse dont les tenants et aboutissants, et dont lintérêt, semblent avoir été quelque peu jeté aux oubliettes. Nos pires craintes se confirment dès les premiers instants du film, et on se dit que définitivement, ce nétait pas une bonne idée dadapter ce roman dHonoré DUrfé au cinéma. uvre baroque et surtout barrée, trip hallucinogène, « Les amours dAstrée et de Céladon » est probablement le film le plus dispensable de Rohmer. Par respect pour ce grand réalisateur, espérons que ce ne sera pas son dernier film et que le prochain sera meilleur. Et toujours par respect pour lui, vous nêtes pas obligé dy aller.
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