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14 May

Mammuth

Publié par platinoch

« Première journée de retraite et c’est déjà l’anarchie »

Serge Pilardosse vient d'avoir 60 ans. Il travaille depuis l'âge de 16 ans, jamais au chômage, jamais malade. Mais l'heure de la retraite a sonné, et c'est la désillusion : il lui manque des points, certains employeurs ayant oublié de le déclarer !

Poussé par Catherine, sa femme, il enfourche sa vieille moto des années 70, une " Mammuth " qui lui vaut son surnom, et part à la recherche de ses bulletins de salaires. Durant son périple, il retrouve son passé et sa quête de documents administratifs devient bientôt accessoire...

« Ils t’ont offert un puzzle pour ton départ en retraite ? Ça se voit que vous avez su créer des affinités… Ils ne se sont pas foutus de ta gueule en tous cas… »

Animal préhistorique aux proportions hors normes et à la force colossale, le mammouth reste lié à une certaine notion d’inadaptation, sa disparition de la surface du globe à la fin de l’ère glacière marquant le passage de l’ère préhistorique à notre ère. Par analogie, le mammouth donna son nom à une célèbre moto allemande des 60’s : la Munch Mammuth. Montée sur un moteur de voiture, celle-ci fut l’une des motos les plus puissantes du monde, symbole d’une époque sans restrictions sécuritaires ni écologiques. « Mammuth », c’est aussi le surnom de Serge, brave type à la force tranquille, équarisseur fraîchement mis à la retraite qui doit retrouver ses anciens patrons indélicats pour justifier des anuitées qui lui sont dues. 

« Reste toi-même. C’est eux les cons. Ils me font honte. Te laisse pas faire. »

Après trois premiers films aux accents très décalés – pour ne pas dire expérimentaux ! – les réalisateurs grolandais Benoit Delépine et Gustave Kervern nous livrent avec « Mammuth » leur film le plus abouti et le plus accessible à ce jour. Trouvant le juste dosage entre humour loufoque et tendre mélancolie, celui-ci s’impose comme un film brillant, tant sur la forme que sur le fond. Tour à tour tristement drôle (les retrouvailles avec le cousin, le pot de départ en retraite) et drôlement triste (les face à face avec un videur et un ancien patron saisonnier), ce film aux accents de fable sociale livre – comme les précédents exercices des réalisateurs – un constat amer sur notre époque et notre société. A travers ce road movie initiatique, Delépine et Kervern représentent notre société ultralibérale telle une jungle peuplée de prédateurs cruels tous plus affamés les uns que les autres (qu’ils soient hiérarchiquement forts comme les patrons ou faibles comme la fille du motel) et rêvant de se repaitre sur le dos de la bête. Au milieu de tout cela, Depardieu, en symbole d’une classe prolétaire à l’agonie, fait figure d’animal en voie d’extinction. Le tout sans aucune forme de misérabilisme. Par là même, les réalisateurs s’interrogent avec cynisme sur l’uniformisation de nos sociétés qui laissent peu de places (et de chances) aux plus vulnérables (les classes prolétaires, les retraités et les vieux d’une manière générale) et aux gens différents (les autistes et autres handicapés). Malgré son aspect mal dégrossi, Depardieu trouve ici un de ses meilleurs rôles depuis très longtemps, livrant une prestation pleine d’une grâce et d’une légèreté qu’on ne lui soupçonnait pas. A ses côtés, les apparitions fulgurantes d’Isabelle Adjani apportent une touche de poésie et de nostalgie qui contrebalance à merveille l’humour corrosif et débonnaire de Yolande Moreau. Pour autant, chacun pensera du film ce qu’il voudra. L’aimera ou le détestera pour ses excès. Néanmoins, même si la force brute de ce « Mammuth » oblige le film à déborder parfois du cadre, il souffle un vent de liberté qui ne laissera personne indifférent. Et s’il serait de fait exagéré de dire qu’il s’agit d’un authentique chef d’œuvre, force est de constater qu’il y avait bien longtemps qu’on n’avait pas vu un film français aussi émouvant et malin. Rien que ça !

  



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F
Tendre, poétique, émouvant : magnifique ! En effet le chef d'œuvre n'est pas loin...
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B
Très belle critique pour un très beau film. Ovni dans son genre, difficile de ne pas être interpellé par le sujet et sa réalisation. En, fait, il hante longtemps dans l'esprit et le coeur. Joué avec talent et élégance, de pudeur et de poésie.
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Le site sans prétention d'un cinéphile atteint de cinéphagie, qui rend compte autant que possible des films qu'il a vu!