A bord du Darjeeling Limited
« Je vous remercie dêtre venu. Vous êtes les personnes les plus importantes pour moi. Ce voyage est loccasion de changer nos vies. On en a bien besoin. »
Trois frères qui ne se sont pas parlés depuis la mort de leur père, décident, à linvitation de lun, de faire un grand voyage en train à travers lInde, afin de retrouver et de renouer les liens qui les unissaient par le passé. Pourtant, leur « quête spirituelle » va dérailler, du fait des trop nombreuses rancurs, des non-dits, et du caractère de chacun, laissant les trois frangins sur le bord de la voie ferrée avec leur montagne de valises. Dans ce pays si différent du leur, si riche en imprévu, chaque rencontre et chaque événement va les pousser à faire un travail intérieur qui leur permettra de se retrouver et de faire la paix entre eux mais aussi avec la vie en général
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« - On ne sait pas où on est. On arrive pas à se localiser. Le train sest perdu
- Impossible : il est sur les rails »
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Petit prodige du cinéma indépendant américain, Wes Anderson a su se construire un univers bien à lui, mélange de créativité dun visuel joyeusement coloré et décalé qui contraste avec les problèmes existentiels et relationnels auxquels ses personnages sont en proie. Après avoir signé quelques films remarqués, comme « La famille Tenenbaum » (2001) ou « La vie aquatique » (2004), il nous revient avec son cinquième long, « A bord du Darjeeling Limited ». Un film qui confirme la fidélité du réalisateur envers une petite famille de comédiens présents jusquici dans la quasi totalité de ses films, comme Jason Schwartzman, Owen Wilson, Bill Murray, ou encore Anjelica Huston. Conformément aux souhaits du réalisateur, le film aura été tourné dans sa très grande majorité en Inde, dans la région du Rajasthan. Refusant de reconstituer en studio lintérieur du train, le tournage aura constitué un défi constant pour léquipe technique, devant aménager les espaces pourtant contigus du train pour y placer caméra, lumière, et tout le matériel sans que cela ne se voit à lécran, tout en tenant compte du fait que lextérieur du train nétait pas modulable en raison des arbres et autres pylônes longeant de près la voie ferrée et empêchant tout aménagement technique extérieur. A noter que le film a été présenté en compétition à la Mostra de Venise 2007.
« - Cest quoi ton problème ?
- Je vais y réfléchir. Promis, je te redis ça la prochaine fois »
Il y a quelque chose de créatif, de coloré, et de généreusement loufoque qui fait quon a une envie folle daimer chaque nouveau film de Wes Anderson. Et pourtant, à chaque fois, on en arrive au même constat mitigé, où pointe une petite déception quant au fait que lon ai pas réussi à pénétrer pleinement dans lunivers du cinéaste. Ce voyage initiatique « A bord du Darjeeling Limited » ne fait hélas pas exception à la règle. Pourtant, entre les personnages cabossés, décalés et profondément attachants, la tonalité particulière du film, alternant séquences franchement humoristiques et séquences beaucoup plus mélancoliques, voire dramatiques, et cette vision chatoyante de lexotisme, entre réalisme (pauvreté, mort) et fantasme (train façon Orient-Express, image dun luxe suranné), tous les éléments semblaient ici réunis pour que lensemble fonctionne. Mais à limage dun préquel parisien « Hôtel Chevalier » - parfaitement inutile bien que joli et sensible (qui montre le personnage de Jack en proie à une histoire damour qui ne marchera pas mais dont il ne peut se résoudre à mettre fin), le film se perd dans des flots délitisme et de nombrilisme, qui laissent une bonne partie des spectateurs en dehors du train, sur le bas coté de la voie ferré. Comme si le but dAnderson était de faire des films « jolis » et branchés, privilégiant les private jokes avec ses potes, sans y convier les spectateurs. Ainsi les séquences les plus absconses senchaînent (la séquence interminable de la voiture paternelle au garage, ou celle des danses en pleine nature précédant limprobable cérémonie du la plume de paon), venant ternir et alourdir un ensemble profondément mélancolique, où quelque scènes font figures de petits bijoux émotionnels (la scène où Owen Wilson retire ses bandages, ou celle de la mort de lenfant dans la rivière). Sans sombrer dans le pathos, le film, qui est de surcroit beaucoup trop long, aurait gagner à voir ces scènes considérablement réduites, pour se recentrer sur lessentiel, à savoir les retrouvailles entre ces trois frères, et la route quils font pour retrouver leur mère.
« - On aurait pu être amis dans la vraie vie ?
- Probablement. On aurait eu sans doute plus de chances »
Wes Anderson nous prouve une fois de plus quil a un sens inouï de la mise en scène. Ses cadrages serrés, ses mouvements de caméra très fluides, sa photographie magnifique, sa manière de mettre en valeur les paysages, sa bande musicale géniale, sont autant déléments qui font que cette mise en scène est léchée, inspirée et stylée. Le travail sur les couleurs, les décors et les costumes sont également loccasion de voir létendu de la créativité dAnderson. Coloré, à la fois moderne et suranné, son train totalement intemporel qui se perd dans le désert en est le parfait exemple. Ses comédiens se montrent également à la hauteur de la tâche, avec une mention particulière pour Jason Schwartzman, tout en intériorité, qui se montre comme étant probablement le plus émouvant. Le nouveau venu de la bande, Adrian Brody, confirme également létendu de son talent, se montrant à la fois précieux dans le registre dramatique, et nous prouvant quil est tout aussi performant et crédible dans les passages plus légers (genre auquel il nest pas coutumier). Sans être mauvais, loin de là, cest finalement Owen Wilson qui brille le moins des trois. Dans les rôles secondaires, Natalie Portman est particulièrement touchante dans le préquel « Hôtel Chevalier », tout comme Anjelica Huston, dune parfaite justesse en mère de famille autoritaire et égoïste. Avec autant de talent, dommage quelle soit aussi rare au cinéma. Mais cette mise en scène de qualité, à laquelle certain reprocheront peut être un certain esthétisme un peu « bobo » (valises griffées, vision parcellaire, et par moment un peu « idyllique » ou « angélique » de la société indienne), ne parvient pas cependant à masquer lopacité et limperméabilité dun scénario qui semble trop souvent ne vouloir sadresser quà ceux qui sont à lécran. Un peu plus de générosité et daltruisme auraient été les bienvenus pour que tout le monde puisse prendre part à ce voyage pas désagréable, mais quand même un peu surestimé et vain.
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