Deux jours à tuer
« Quest-ce qui me prend ? Il me prend que jen ai ras-le-bol de ces réunions qui ne débouchent sur rien. Je reste calme mais je ne comprends pas pourquoi dès que quelquun dit quelque chose de censé il passe pour un fou »
Antoine Méliot, la quarantaine, a tout pour être heureux : une épouse charmante qui laime, deux enfants adorables, une grande maison, un métier aussi intéressant que lucratif. Pourtant, un jour, il décide soudainement de tout saboter en un week-end. Et il népargnera personne : ni sa famille, ni ses amis, ni son travail. Que sest-il passé dans la vie de cet homme pour quil change aussi brusquement de comportement et renonce à sa vie parfaite ?
« Je me fais chier ici. Une femme charmante, des enfants adorables, un métier qui rapporte gros. Rien qui dépasse. Tout memmerde, jappelle ça une vie de cons ! »
Cinéaste discret (12 films seulement en plus de quarante ans de carrière), Jean Becker sest néanmoins montré beaucoup plus productif au cours de la dernière décennie. Cependant, il sest distingué en se faisant le chantre des thèmes vieillots et ringards (le roi des interminables parties de pêche et de campagne, ainsi que des poncifs sur les vraies valeurs de la vie, c'est lui!), et des émotions tire-larmes et bon marché. Rappelons ainsi quil est coupable des « Enfants du marais » (1999), de « Un crime au paradis » (2001), « Effroyables jardins » (2003), ou encore de linénarable « Dialogue avec mon jardinier » (2007) où il nous vantait la joie des plaisirs sains et simples dun cul-terreux amateur de potager et dart figuratif, par opposition à un urbain pédant et élitiste. Un vrai poète! Que du bonheur ! On en viendrait presque à oublier qu'il fut également réalisateur de drames plus sombres et efficaces, comme "L'été meurtrier" (1983). Pour son nouveau film, « Deux jours à tuer », Becker adapte le roman éponyme de François DEpenoux, paru en 2001. Un tournage partagé entre France et Irlande, qui lui donne également loccasion de retrouver le comédien Pierre Vaneck, son beau-frère à la ville.
« Cest pas de baiser dont jai besoin, cest de me sentir vivant »
Ayant signé quelques-uns des plus gros navets pour papys frileux lors de ces dernières années, les films de Jean Becker nont rien à priori pour susciter une quelconque excitation par avance et foutent même un peu la trouille au moment dentrer dans la salle. Comme si on craignait par avance de sengager pour une interminable sieste. Il faut dire quavec des films soporifiques comme « Les enfants du marais » (quelle aventure !) ou « Dialogue avec mon jardinier », le cinéaste avait fait létalage de son goût prononcé pour le vieillot, les valeurs désuètes et passéistes, et le bon vieux parfum de la naphtaline. Rien dexcitant donc à lidée de voir son dernier « Deux jours à tuer ». Et pourtant, ce dernier savère être une bonne surprise. Certes, ce « Deux jours à tuer » est loin dêtre parfait, le réalisateur ne pouvant sempêcher quelques incartades dans son registre fétiche et un poil ringard (scènes de pêche, manière un peu détourné de montrer que les vraies valeurs sont à la campagne). Mais dans lensemble, son scénario, beaucoup moins lisse et surtout beaucoup plus vachard quà laccoutumée, donne lieu à un admirable drame psychologique sur un homme qui refuse aussi brusquement que mystérieusement de faire leffort de sociabilité. Dérangeant et inconfortable, le film se paye néanmoins le luxe de nous offrir quelques jouissives parties de massacre durant lesquelles le héros se permet de tirer à boulet rouge sur ses proches famille comme amis nétant plus capable de lhypocrisie du quotidien et osant leur dire leur quatre vérités et leur reprocher leur mode de vie futile (mode de vie qui était jusque là également le sien). De cette troublante fuite en avant, on retiendra également quelques jolis moments particulièrement émouvants, comme lorsque le héros annonce son départ à ses enfants puis à sa femme, ou encore lorsquil règle ses comptes avec son père. Dommage dès lors que Becker nous sorte une fin mélodramatique un peu lourdingue et tire-larmes, dont le côté abrupte dessert quelque peu un film plutôt transgressif quil avait rondement mené jusque là.
« Eh oui le chien, cest encore toi le plus beau ici. Je suis désolé de te laisser avec tous ces cons ! »
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Outre un scénario intelligent et fort, la réussite de ce « Deux jours à tuer » réside essentiellement dans linterprétation de ses comédiens. A commencer par un Albert Dupontel magistral, qui une nouvelle fois nous bluffe par son interprétation habitée. De quoi en faire un candidat sérieux pour les Césars. A ses côtés, la douce et troublante Marie-Josée Croze simpose naturellement et puissamment et ce malgré une présence à lécran à la durée limitée. Enfin, on retrouve avec joie le revenant Pierre Vaneck, assez touchant dans un rôle particulièrement ingrat. Et si sa mise en scène na en soit rien dexceptionnel, Becker a néanmoins fait des choix judicieux, tant dans la durée de son film - plutôt court et sans temps morts que dans le côté dépouillé de lensemble qui renforce le côté paumé du héros et le mal-être ambiant. Et puis il y a la fulgurance de cette magnifique chanson de Reggiani, « Le temps qui reste », qui vient clore magnifiquement le film. Reste la sensation quon a failli assister à très grand film, un peu amoindri par quelques imperfections et surtout par une fin un peu dépourvue de la subtilité qui caractérise le reste du film. Néanmoins, « Deux jours à tuer » demeure un très bon film, chose aussi inattendue quinespérée de la part dun Jean Becker qui signe là son film le plus fréquentable depuis un long moment.
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