Exilé
« - Tétais parti. Pourquoi tes revenu ?
- Jen avais marre de voyager. Je voulais me poser. »
Macau, 1998. Deux tueurs à gages fraîchement débarqués de Hong Kong font le pied de grue devant une vieille maison. Ils attendent Wo, autrefois un des leurs, qui les a trahi pour tout recommencer à zéro, offrir à sa femme et son fils une vie normale. Mais débarquent alors deux autres tueurs, bien décidés pour leur part à protéger Wo, lami de toujours. Etant tous amis autrefois, Wo négocie avec ses deux anciens camarades venus pour le tuer, un délais de quelques jours, le temps pour lui de faire un dernier coup pour mettre sa famille à labri. Mais après plusieurs échecs, les cinq hommes se retrouvent dans le même bateau et décident daffronter ensemble le Parrain qui les tient
« - Jai un contrat à finir. Je dois texécuter.
- Et moi je bute celui qui le bute »
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Genre on ne peut plus Hollywoodien à la base, force est de constater que depuis quelques années, le film noir est dominé par des productions asiatiques, parfaitement écrites, et mises en scène avec beaucoup de style. On se souvient ainsi de « Infernal Affairs » de Law et Mak en 2004, qui a eu son remake Hollywoodien par Scorsese, de « Old Boy » de Park Chan-Wok (2004), de « Memories of murder » de Joon-Ho Bong (2004), ou encore de « A bittersweet life » de Kim Jee-Woon (2006). La sortie dun nouveau film du très prolifique Johnnie To (pas moins de 20 films depuis lan 2000), spécialiste local du genre (on lui doit le diptyque « Election 1&2 » (2007), « Breaking news » (2005), « PTU » (2005), ou encore « The mission » (2001)) était donc un événement. Dautant plus que la critique a été unanimement dithyrambique pour ce film.
« Si on est ensemble tu rafles tout, sinon tes mort »
Avec « Exilé », Johnnie To signe probablement le film quil a toujours voulu faire. Entre mélange des genres, références et style à la fois affirmé et décomplexé, il nous propose son film le plus virtuose à ce jour. Sur un scénario désenchanté, il signe un western moderne, urbain, et crépusculaire. Lorgnant ouvertement vers le cinéma de Peckinpah - pour les gunfights incroyables et pour le final rappelant fortement celui de « La horde sauvage » ou encore pour le climat désenchanté de fin dépoque de « Coups de feu dans la sierra » - de Sergio Leone, à qui il emprunte une certaine forme de décalage et dhumour, ou encore de Melville pour le sens de lhonneur de ses héros et la froideur stylisée de lensemble façon « Le Samouraï », il signe un film choral très décalé et très sombre. Si le film réserve de grands moments dhumour et dautodérision introduits avec beaucoup dintelligence (des gunfights chorégraphiés à lextrême, un héros réduit en viande hachée et qui met un temps fou à mourir, un quiproquo énorme chez le médecin clandestin, et des références bien placées comme la photo de groupe ou lhomme à lharmonica tout droit sorti de chez Sergio Leone), il nen est pour autant pas moins grave ni noir. A ce titre, une réelle émotion se dégage de ce film crépusculaire et de ses antihéros désabusés, qui décident de sortir de leur condition par amitié et honneur, quitte à y perdre la vie.
« Je vais chier, je vous en garde un peu ? »
To offre à ce scénario bien huilé un écrin magnifiquement stylisé. Avec une mise en scène maîtrisée et inspirée, il soffre avec une générosité jouissive les gunfights les plus improbables et les plus énormes quon ait vu ces dernières années. Comme pour la tonalité du film, alternant savamment second degré et émotion, il alterne visuellement les scènes dactions pures et les moments plus contemplatifs. Le travail sur le photographie et les couleurs est tout à fait exemplaires, alternant pénombre et couleurs arides propres au western. Tout comme le travail sur la musique, faite de grosses guitares à laméricaine, qui nous plonge clairement dans la même ambiance. Référence au western qui est omniprésente, jusque dans les grands impers de ces personnages, les bouteilles dalcool quils se repassent ou la manière dont ils font reculer les objets grâce à leur revolver. Linterprétation est de manière générale excellente, chaque acteur arrivant à donner de la chair et un caractère bien distinct à son personnage malgré le peu de détails révélés pour chacun deux par le scénario. A ce petit jeu, on soulignera les belles performances dAnthony Wong et de Francis Ng, qui volent quelque peu la vedette à leurs camarades. Notons également que pour ce film choral, To sest entouré de comédiens quil a déjà fait tourné à de nombreuses reprises et qui sont désormais des habitués du cinéaste.
« Une tonne dor, ça pèse combien ? Et une tonne de rêve, ça pèse combien ? Et une tonne damour, ça pèse combien ? »
Pour son premier western, sombre et crépusculaire, uvre originale teintée de références, dhommage à un genre, et de délire de gosse, To signe avec « Exilé » son meilleur film. Osant de manière décomplexée les gunfights les plus excessifs et les plus sanglants, tout en se risquant à insérer des moments beaucoup plus seconds degré, il signe pour autant une uvre forte, électrique, énergique et follement désenchantée. Sur des thèmes chers à lauteur (lhonneur, la violence), il dresse le portrait assez attachant de cinq personnages en fin de cycle, appartenant déjà à un monde révolu. Porté par une mise en scène des plus léchée et stylée qui soit, il nous offre avec son « Exilé » lun des films les plus réussis et les plus beaux de lannée.
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