Fragile(s)
« Il faut lever un genou après lautre sinon on boit la tasse »
La mode du cinéma français semble être au film choral. Après les récents « Ma place au soleil » ou encore « Jattends quelquun », qui nont pas connu les succès escomptés comptes tenu de leur casting, cest donc au tour de Martin Valente de se risquer à ce genre périlleux. Périlleux, car ce genre de film ne repose que sur un fragile équilibre entre sobriété des comédiens et subtilité du scénario. Pour son second long métrage, après « les amateurs » (2004), il soffre même le luxe dun casting des plus prestigieux et alléchants pour un film français depuis pas mal de mois, puisquon y retrouve entre autre Daroussin, Gamblin ou encore Berléand. Retour sur un résultat fragile.
« Hier soir ? Je suis remonté dans ma chambre après dîner. Jai une vie trépidante »
Lhistoire :
Six personnages qui nont rien à voir entre eux pour la plupart vont se retrouver lier directement ou indirectement selon les cas par un fil ténu, un lien improbable qui va unir, entre Paris et Lisbonne, ses solitudes que rien naurait du réunir. Parmi eux, il y a Vince, linspecteur de police qui planche sur un traffic de drogue entre Paris et Lisbonne, et dont la femme est plongée dans un coma longue durée. Il y a aussi Paul, metteur en scène dont le dernier film est un naufrage, et qui part contre son gré le présenter à Lisbonne pour un festival de film français. Il part en laissant sa femme Hélène avec son petit-fils, alors que celle-ci na pas linstinct maternelle, quelle ne supporte pas lidée dêtre grand-mère ni de vieillir, et quelle a peur des enfants. On y retrouve également Yves, pharmacien de province, joyeux comme une porte de prison, et qui narrive pas à se débarrasser dun énigmatique chien qui le suit en permanence. Enfin on y retrouve également Nina, jeune musicienne junkie qui vit séparée de son fils, et Sara, jeune femme qui vient de se faire licencier et qui suit sa colocataire Isa pour un week-end à Lisbonne.
« - Jaurais voulu que mon film marche. Pas pour moi, je men fiche, mais pour ma femme.
- Je lai trouvé très beau votre film, je serais fière, moi »
Le vrai problème du film choral, cest quil tient de la vraie mauvaise idée. Dun côté il y a lenvie de faire un film ambitieux, avec plein dacteurs différents, en jouant sur la difficulté des destins croisés, et en planchant sur des thèmes comme le hasard, le destin, et la solitude. Et puis de lautre côté, il y a le fait quun tel film ne peut reposer que sur un scénario très bien construit, sans lequel un tel film ne ressemble à rien. Et en toute honnêteté, le film de Valente ne remplit pas totalement le cahier des charges. La faute à un scénario pas assez travaillé, pas assez constant. En effet, celui-ci laisse une place trop énorme au hasard (en loccurrence, cest pire que du hasard pour quune telle improbabilité de voir tous ces personnages réunis à différents degrés se réalise), ainsi quà une avalanche de bons sentiments, qui aboutit forcément à un happy-end des plus malvenus.
Pourtant, Valente avait essayé de trouver un ton assez sympathique à son film, mêlant à la fois mélancolie et humour avec une certaine pointe de légèreté (ce qui nest quand même pas si facile quand on part de sujets aussi grave que laddiction à la drogue ou le coma définitif de sa compagne, reconnaissons-le !). Et ce ton marche pendant toute la première moitié du film, essentiellement durant tous les passages consacrés au duo Berléand/Martins. Mais pour le reste, les sujets, trop graves, sont souvent traités de manière caricaturale, et tombent systématiquement à côté .
« Plus je pleure, plus mes lentilles me font mal et plus mes lentilles me font mal et plus je pleure »
Cette idée de construction scénaristique basée sur des duos était pourtant pertinente (Berléand/Martins, Gamblin/Cellier, Darroussin/Gillain), et cette articulation offrait des perspectives intéressantes. Malheureusement, elles ne sont jamais bien exploitées, la faute à un scénario qui tombe dans tous les pièges du genre, comme la réunion de tous les personnages dans une sorte dhappy end universel, frisant avec écurement langélisme. De même, Valente narrive pas à donner une tonalité générale harmonieuse à lensemble, le film hésitant en permanence entre comédie douce-amère (avec des situations vraiment drôles), mélancolie, et drame. Ainsi, il y a une réelle inégalité dans lexploitation scénaristique des duos : si le duo Berléand/Martins sen sort le mieux, notamment grâce à un sujet plus léger et des situations plus caustiques, les deux autres duos sombrent vite dans le drame stéréotypé, et lavalanche de bons sentiments mièvres, la palme revenant au très caricatural et excessif tandem Darroussin/Gillain.
« - On décide de gagner.
- Ou de ne pas jouer »
La qualité des interprètes est inégale là encore. Si Gamblin et plus encore Berléand se démarquent clairement du lot par leur justesse (normal pour des habitués de ce genre de film), sachant passer en un rien de temps du drame à la drôlerie, les autres ne sen sortent pas aussi bien, notamment les deux jeunes interprètes féminines que sont Sara Martins et Elodie Yung. Pour le reste, sils sont loin dêtre mauvais, on regrette de retrouver pour la énième fois Darroussin dans un rôle de mec renfermé, bourru, et finalement au grand cur. Même chose pour une Marie Gillain que nos cinéastes peinent à imaginer autrement quen poupée à la fois hargneuse, cassée et fragile. A souligner le plaisir de retrouver la toujours très juste Caroline Cellier, qui sest faite un peu trop rare ces dernières années au cinéma.
Pour conclure, on peut dire que ce film, « Fragile(s) », porte bien son nom. Sil part dune bonne intention et dune idée pas nouvelle mais forcément intéressante à exploiter pour un cinéaste, il pèche par manque doriginalité et par un scénario jamais abouti et correctement exploité, qui tombe dans tous les pièges dimprobables happy ends et davalanche de bons sentiments. En outre, un des principaux problèmes de ce film est de ne jamais trouvé une unité de ton. Sans être un ratage complet, le film nest pas pour autant une uvre majeure. A peine mieux écrite et réalisé quun téléfilm un peu ambitieux, il peut tout à fait attendre un passage télé ou la sortie du dvd.
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