Tabou
Un grand merci à Cinetrafic et à Shellac un pour m’avoir permis de chroniquer, dans le cadre de l’opération « Dvdtrafic », « Tabou » de Miguel Gomes.
« Aussi loin que tu cours, autant le temps passe, de ton cœur tu ne pourras fuir »
Une vieille dame au fort tempérament, sa femme de ménage Cap-Verdienne et sa voisine dévouée à de bonnes causes partagent le même étage d’un immeuble à Lisbonne.
Lorsque la première est sur le point de mourir, elle demande à ce qu’on prévienne un mystérieux homme. Celui-ci arrive trop tard.
Mais finit par raconter aux deux autres femmes un épisode de son passé : une histoire d’amour et de crime dans une Afrique de film d’aventures.
« Je savais que de prendre Aurora pour amante était une folie que je regretterais certainement plus tard. Mais quand j’étais dans ses bras, le futur me paraissait être un concept absurde »
Il est des films à part. Différents des autres. Qui, par leur originalité, leur folie, leur grâce, vous touchent au plus profond de vous sans que vous puissiez vraiment expliquer pourquoi. « Tabou » est de ceux-là. Pourtant, « Tabou » est un film qui se mérite. Découpé en deux parties distinctes (« Paradis » et « Paradis perdu »), le film s’ouvre sur trois premiers quarts d’heure totalement déroutants. Un chassé-croisé de trois femmes, a priori sans véritable enjeu dramatique, qui nous interroge sur le chemin que le réalisateur veut nous faire prendre. Et puis le récit s’accélère. L’une d’entre elles, très malade, demande à ce qu’on mène à son chevet un mystérieux inconnu. Trop tard. Pour elle du moins. Car l’homme, pourtant plutôt taiseux, va livrer aux deux autres femmes le récit de sa rencontre avec la défunte cinquante ans plus tôt. Une parenthèse se referme. La réalité s’éteint. Pour mieux revoir défiler le passé. S’ouvre alors la seconde partie, qui prend pour théâtre le Mozambique colonial portugais. Là, le vieil homme nous conte sa rencontre avec la belle Aurora et la passion qu’ils partagèrent en dépit du mariage et de la grossesse de celle-ci. En état de grâce, le réalisateur portugais nous transporte dans une Afrique à l’exotisme fantasmé. Ses partis pris de mise en scène – qu’il s’agisse de son magnifique noir et blanc, de sa musique délicieusement désuète, son absence de dialogue, remplacé par le récit du narrateur en voix off – subliment alors magnifiquement son récit, tour à tour langoureux, nostalgique et mélancolique. Le tout jusqu’au climax du film, une sublime et déchirante scène de séparation dans un village de brousse, après une tentative désespérée de fuite en avant, étouffée sous des chants africains. Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce film hors normes, et notamment sur la cinéphilie du réalisateur et sur ses références assumées et astucieuses. Mais cela serait trop long. Le plus important réside ailleurs. Dans cette passion échevelée, contrariée par le destin, qui aura réussi à nous émouvoir follement et qui habitera le spectateur encore longtemps après son visionnage. De mémoire de cinéphile, il y avait bien longtemps que ça n’était pas arrivé. Un film rare. Donc précieux.
Le dvd : Edité par Shellac, le film est proposé en VO et VOST. L’édition est belle et particulièrement soignée. Les deux dvd du coffrets proposent plus d’une heure de bonus, dont on retiendra essentiellement les deux courts métrages du réalisateur, « Inventaire de Noel » et « 31 ». Cette riche édition est complétée par un livre qui compile notamment le scénario de la partie africaine du film, une interview du réalisateur ainsi que des notes de tournage. Une bien belle édition, à la hauteur du film.
Le dvd est disponible dans les bacs depuis le 7 mai 2013.
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