Plus fort que le diable
Un grand merci à Rimini Editions pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Plus fort que le diable » de John Huston.
« Le temps ? Qu’est-ce que le temps ? Le suisses le fabriquent. Les français le passent. Les italiens le tuent. Comme les américains pour qui l’argent n’existent pas. Tu sais ce que je pense ? Le temps est un escroc. »
Une petite ville portuaire du sud de l’Italie est le lieu de passage et de rencontre d’un quartette international de petits truands et d’un couple d’aventuriers fauchés. Tous se font passer pour ce qu’ils ne sont pas et tous recherchent la fortune, ce qui les mènent à bord d’un vieux cargo sur la piste d’un gisement d’uranium en Afrique…
« Ce n’est pas que cet homme n’a pas de paroles, c’est qu’il oublie l’avoir donnée. Le charme et la fiabilité vont rarement de pair ! »
Fils du célèbre comédie Walter Huston, le jeune John Huston fait ses premiers pas dans l’industrie cinématographique dès le début des années 30 en qualité de scénariste. Il travaille ainsi sur plusieurs gros succès de cette décennie, comme « Le double assassinat de la rue Morgue » (Robert Florey, 1932), « Le mystérieux Docteur Clitterhouse » (Anatole Litvak, 1938), « L’insoumise » (William Wyler, 1938) ou encore « Sergent York » (Howard Hawks, 1941). C’est d’ailleurs cette même année qu’il fait ses débuts de réalisateur avec l’excellent « Faucon maltais ». Si le film marque le début d’une fructueuse collaboration avec Humphrey Bogart, il marque surtout le début d’une prolifique carrière, placée sous le signe de la diversité, le réalisateur s’illustrant aussi bien dans le film noir (« Quand la ville dort »), le western (« Le vent de la plaine »), le polar (« Le piège », « La lettre du Kremlin ») ou encore le drame (« Reflets dans un œil d’or », « Les désaxés »). Mais plus que tout, le nom de John Huston restera intimement lié aux grandes fresques d’aventures épiques et exotiques : « Le trésor de la Sierra Madre » (1948), « L’odyssée de l’African Queen » (1951, pour lequel Bogart remportera l’Oscar du meilleur acteur), « Dieu seul le sait » (1957) ou encore l’immense « L’homme qui voulut être roi » (1975). Réalisé en 1953, « Plus fort que le diable » est une adaptation du roman du même nom de James Helvick. A noter que Huston coécrit le scénario du film avec l’écrivain Truman Capote dont il s’agit ici de la première incursion dans le monde du cinéma. Pour la petite histoire, Humphrey Bogart eut un accident de voiture assez grave hors plateau pendant le tournage, se cassant notamment de nombreuses dents. Handicapé par cet incident qui diminua sa faculté de déclamer ses dialogues clairement, sa voix fut alors doublée par le tout jeune Peter Sellers. Il s’agit également de la dernière collaboration entre le mythique acteur et le réalisateur.
« J’ai besoin de cet argent. Et le verdict des médecins est formel : sans argent, je suis maussade, apathique et mon teint jaunit ! »
« Plus fort que le diable » est un film étonnant en ce qu’il n’est jamais ce qu’on croit qu’il va être. Une sorte de jeu de pistes tortueux, qui prendrait en permanence des chemins de traverses pour nous emmener là où on ne l’attend jamais. Le film débute pourtant comme un film d’aventures assez classique et presque caricatural, avec son petit port italien un peu paumé où un groupe de gangsters étrangers attendent de s’embarquer pour l’Afrique où un gros coup juteux semble les attendre à bras ouverts. Huston y distille alors très vite les thématiques et les obsessions qui lui sont chères et que l’on retrouve dans nombre de ses films, comme son goût prononcé pour les antihéros et les perdants magnifiques, son attrait pour la mer, les bateaux ou encore pour l’Afrique, Terre d’aventures et de tous les possibles. Et puis l’intrigue s’emballe et se complexifie jusqu’à en devenir opaque (l’assassinat d’un fonctionnaire à Londres semble et le retard de la venue d’un intermédiaire exacerbent les tensions entre les membres du groupe). Et tandis que la confusion règne, le scénario glisse assez vite vers la comédie, qui va prendre le pas sur le reste du film et sur l’intrigue : les gangsters (composés d’un admirable quatuor d’acteurs comprenant Robert Morley, Peter Lorre, Marco Tulli et Ivor Barnard) se révèlent être particulièrement gauches et finalement plus bêtes que méchants ; le pigeon de service se révèlera moins idiot et couard qu’il en avait l’air et un improbable chassé-croisé amoureux (audacieux en ces temps de censure et de Code Hayes) viendra pimenter le tout. Reprenant ainsi la théorie du « MacGuffin » chère à Hitchcock, il va sans dire que le spectateur ne verra rien des fameuses terres riches du Kenya. Il faut dire qu’entre temps, les personnages seront entrainés dans un parcours improbable, semé d’embûches (le naufrage d’un navire miteux commandé par un capitaine alcoolique et irresponsable) et de situations totalement absurdes (une inoubliable descente en voiture vers le port) à la hauteur de leur médiocrité, et qui les amènera, immanquablement, à échouer de façon minable et systématique chacune de leur entreprise. On l’aura compris, Huston et Capote s’offrent ici une délicieuse récréation en forme de farce à l’humour noir particulièrement mordant, peuplée de personnages totalement loufoques (la palme revenant certainement à une Jennifer Jones parfaite dans un rôle à contre-emploi de gentille blonde écervelée) et truffée de dialogues savoureux. Il en ressort un film totalement délirant et joyeux, absolument inclassable. Quant à John Huston il y révèle un goût insoupçonné pour l’humour absurde et la duperie, auquel il redonnera corps dix ans plus tard avec l’étonnant « Le dernier de la liste ». « Plus fort que le diable » n’est ainsi probablement pas l’une des œuvres majeures de sa filmographie, mais demeure sans aucun doute l’un de ses films les plus légers et les plus curieux.
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