Jenny
Un grand merci à Gaumont pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le DVD du film « Jenny » de Marcel Carné.

« ça te dérange si je te ressemble »
Une jeune fille, Danielle, française exilée à Londres, voit ses fiançailles brusquement rompues. Elle retourne à Paris chez sa mère, Jenny, tout en ignorant que celle-ci tient une maison de rendez-vous camouflée en boîte de nuit de luxe. Jenny entretient également un jeune amant, Lucien, qui s’éprend secrètement de Danielle.
« Vous ne me connaissez pas. Il se trouve que j’ai beaucoup d’argent et qu’il m’arrive d’en donner. J’aime la beauté. »

Il y a dans la vie des rencontres décisives. De celles qui donnent un élan inespéré à une carrière. Le jeune Marcel Carné aurait ainsi pu ne rester qu'un simple passionné de cinéma et poursuivre sa carrière de critique pour la presse écrite. En quelque sorte rester croyant sans être pratiquant. Mais sa rencontre avec l'actrice Françoise Rosay, dont il deviendra rapidement le protégé, changera la donne. C'est elle qui le présentera à son mari, Jacques Feyder, célèbre réalisateur qui l'embauchera comme assistant sur plusieurs de ses films et lui apprendra les ficelles du métier. Mais en dépit d'un premier court-métrage documentaire en 1929 (« Nogent, El Dorado du dimanche »), il faut attendre 1936 pour le voir réaliser avec « Jenny » son premier long-métrage de fiction. Pour l'adaptation du roman de Pierre Rocher, il fait notamment appel à un jeune scénariste en vogue issu du surréalisme, Jacques Prévert, avec lequel il signera au cours des années suivantes quelques-unes des plus belles œuvres du réalisme poétique et, plus largement, du cinéma français.
« Vous n’aimez pas Jenny. Vous n’aimez que l’argent. Ce n’est pas de votre faute : vous avez les poches pleines et le cœur vide. On ne peut pas tout avoir. »

« Jenny » dresse ainsi le portrait ambivalent d'une femme libre et en sans doute en avance sur les mœurs de son époque. Fameuse entraineuse du milieu interlope des nuits parisiennes, elle côtoie les riches hommes du monde qui viennent s'encanailler. Une profession forcément honteuse aux yeux de la société d'autant qu'elle s'est amourachée d'un marlou qui pourrait être son fils et qu'elle entretien grassement. Mais derrière sa façade d'irrespectabilité, Jenny est surtout une mère courage et aimante, qui se sacrifie depuis toujours pour éviter à sa fille de devoir vivre la même vie qu'elle et qui saura s'effacer pour le bonheur de sa fille lorsque cette dernière découvrira avec honte le métier de sa mère. Carné et Prévert y posent là les jalons de leurs chefs d'œuvre à venir (« Le quai des brumes », « Hôtel du nord », « Les enfants du paradis ») et de ce qui sera le réalisme poétique : des personnages de marginaux qui valent mieux que ce qu'on veut bien croire, le poids du jugement de la société, une certaine idée de la fatalité selon laquelle on n'échappe pas à son destin. Il y réunit aussi un impressionnant parterre d'acteurs (Albert Préjean, Charles Vanel) dont certains deviendront ses fidèles (Jean-Louis Barrault, mais aussi Joseph Kosma qui apparait dans un petit rôle et qui signera les musiques de ses films). Dommage juste que le scénario, un peu faible, manque de souffle lyrique. Ce « Jenny » est donc à prendre pour ce qu'il est : une expérimentation pas désagréable mais un peu brouillonne.

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Le DVD : Le film est présenté en version restaurée et proposée en version originale française (2.0) ainsi qu’en audiodescription. Des sous-titres français pour malentendants et anglais sont également disponibles.
Côté bonus, le film est accompagné de « Marcel Carné, la chance du débutant » (25 min.) : Documentaire inédit avec les participations de Philippe Morisson, journaliste, et de Didier Griselain, auteur de Françoise Rosay : une grande dame du cinéma français, et de « Françoise Rosay et le cinéma » (25 min.) dans lequel Didier Griselain évoque la carrière de l’actrice.
Edité par Gaumont, « Jenny » est disponible en DVD ainsi qu’en blu-ray depuis le 10 octobre 2018.
Le site Internet de Gaumont est ici. Sa page Facebook est ici.
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