Ragtime
Un grand merci à Arte Editions pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le DVD du film « Ragtime » de Milos Forman.

« Je sais si bien lire la musique que les blancs pensent que j’ai un truc ! »
Au début du XXe siècle, un homme noir devient pianiste de jazz. Il gagne ainsi correctement sa vie et aspire à fonder une famille. Mais peu de temps avant son mariage, il est victime d’une injustice de la part d’hommes blancs qui n’acceptent pas de le voir rouler au volant de sa voiture neuve. Tout le monde autour de lui l’incite à ne pas envenimer la situation. Mais il ne peut accepter de voir ses droits bafoués et nourrit une profonde aspiration à voir reconnaître ses droits. Après la mort de sa fiancée, un engrenage s’enclenche…
« Vous avez tort jusqu’au fond de votre âme : la vengeance n’engendre que la vengeance »

Figure de proue de la Nouvelle vague du cinéma tchécoslovaque, Milos Forman se fait remarquer dans les grands festivals internationaux au cours des années 60. Mais à l'instar de nombreux artistes et intellectuels de son pays, sa participation au Printemps de Prague en 1968 lui vaut d'être menacé par le régime en place qui procède alors de grandes purges. Contraint à prendre le chemin de l'exil, il partira pour les États-Unis où son premier film, « Taking off » (1971), fut un échec commercial important. Mais Michael Douglas lui remet le pied à l'étrier en lui confiant quatre ans plus tard le soin de diriger l'adaptation du roman de Ken Kesey« Vol au-dessus d'un nid de coucou », dans lequel son père Kirk Douglas triompha sur les planches quelques années plus tôt. Mettant ainsi toute son énergie et son âme dans ce film qu'il voit comme une parabole de son expérience personnelle avec les autorités communistes, Forman signe là un immense succès critique et publique qui lui permet de décrocher l'Oscar du Meilleur réalisateur. Un trophée qu'il gagnera une seconde fois dix ans plus tard pour son fastueux biopic lyrique « Amadeus ». Entre les deux films, qui constituent à n'en point douter les deux points culminants de sa carrière, il réalisera l'adaptation cinématographique de la comédie musicale à succès « Hair » (1979) avant de se lancer dans l'ambitieuse adaptation du roman « Ragtime » de E. L. Doctorow, lui-même librement inspiré du roman « Michael Kohlhaas » de Heinrich Von Kleist.
« La seule chose que veut cet homme c’est se faire entendre. Aller au procès. S’il meurt dans l’explosion, toute revendication meurt avec lui »

Comme dans le célèbre roman allemand, « Ragtime » est ainsi l’histoire d’un combat jusqu’au-boutiste d’un homme ayant subi une injustice pour faire valoir ses droits dans une société qui ne lui en reconnait, en pratique, aucun. Mais transposée dans l’Amérique du tout début du vingtième siècle, le personnage n’est plus un marchand de chevaux mais un fantasque pianiste noir. Fort d’un scénario particulièrement dense et complexe, le film est ainsi l’occasion d’une grande fresque qui évoque cette Amérique de la Belle-époque, en pleine modernisation, marquée par l'industrialisation (les premières automobiles), les arts (émergence du cinéma et du jazz), l'évolution des mœurs (l’affaire du meurtre de Stanford White, largement évoquée dans « La fille sur la balançoire ») et par une importante immigration venue principalement d'Europe. L’occasion pour Forman, cinéaste immigré, de dresser un portrait magistral et sans concessions de l'Amérique telle qu'il la voit, avec sa mythologie (le nouveau monde, terre de liberté et de tous les possibles, où la fortune sourit aux plus travailleurs et aux plus téméraires) et ses nombreuses contradictions (son racisme profond, sa violence, ses injustices, son puritanisme...). Il y a aussi – forcément – un peu de lui-même dans ce personnage d’immigré miséreux d’Europe de l’est qui s’élève dans la société par le biais de l’industrie cinématographique, encore balbutiante. D’ailleurs, le film est aussi sur la forme un vibrant hommage au cinéma américain et à ses pionniers (il sort d’ailleurs pour l’occasion plusieurs légendaires acteurs de l’âge d’or de leurs retraites, tels James Cagney, Pat O’Brien ou encore Bessie Love). Un film brillant et d’une vraie puissance, qui constitue d’une certaine manière le premier volet d’une trilogie que Forman consacrera à la société américaine et à ses mœurs et qui comprendra plus tard « Larry Flint » et « Man on the moon ».

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Le DVD : Le film est présenté en version restaurée et proposé en version originale américaine (5.1) et française (1.0). Des sous-titres français sont également disponibles.
Un second DVD, consacré aux bonus, contient les suppléments suivants : « Forman Versus Chytilova » : portrait de Milos Forman, réalisé pendant le tournage de Ragtime, par Vera Chytilova (1981, 84 min, VOST), « Remembering Ragtime » : interviews de Milos Forman, Brad Dourif, Michael Hausman (prod. exex.) et Patrizia vonBrandenstein (dir. art.) (2004, 19 min., VOST), « American Tapestry » : interview de Milos Forman (2000, 15 min., VOST) ainsi que des Séquence coupée (10 min., VOST) et une Bande-annonce. Cette très belle et exhaustive édition est complétée par un livret de 32 pages.
Edité par Arte Editions, « Ragtime » est disponible en édition double DVD ainsi que double blu-ray depuis le 20 mars 2019.
Le site Internet de Arte Editions est ici. Sa page Facebook est ici.
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