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17 May

Un américain bien tranquille

Publié par platinoch  - Catégories :  #Films noirs-Policiers-Thrillers

« Il la tenait bien comme il faut, sans trop la serrer, comme on doit faire avec la petite amie d’un autre homme »

 

Bien que signé par l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire Hollywoodienne, à savoir Joseph L. Manckiewicz, cet « Américain bien tranquille » ne figure pourtant pas parmi ses films les plus connus du grand public. Il faut dire aussi qu’avec des chefs d’œuvre comme « Eve », « On murmure dans la ville », « Soudain l’été dernier », et surtout « Cléopâtre », la barre est placée très haute. Néanmoins, « Un américain bien tranquille » reste un très bon film.

 

Inspiré du roman homonyme de Graham Greene, ce film, daté de 1958, nous plonge dans les affres de la guerre d’Indochine, au cours de laquelle un ressortissant américain est retrouvé assassiné un soir de nouvel an chinois. Interrogé parce qu’étant considéré comme proche de lui, un journaliste anglais en poste à Saigon se remémore ce jeune humanitaire américain avec lequel il s’était lié avant que celui-ci ne tombe ouvertement amoureux de sa maîtresse indochinoise.

A partir de cette trame sentimentale, Manckiewicz nous plonge dans un monde colonial, avec ses communautés, ses groupes religieux ou ethniques, ses groupes paramilitaires ou politiques qui forment des armées indépendantes ou fomentent des attentats pour peser politiquement sur le conflit, et ses complots qui visent à désorganiser une société au bord de la rupture. Et au milieu de cela, les étrangers (journalistes, affairistes ou diplomates) qui assistent en bons spectateurs à ce jeu de massacre.

 

«          -     Tu écris un papier sur la bataille du nord ?

-         Non, sur une bataille plus ancienne : mon mariage »

 

Pour son film, Manckiewicz choisit de respecter la forme narrative du livre de Graham Greene, à savoir de commencer l’histoire à partir de la découverte du corps du jeune américain et à son identification par le journaliste anglais, pour repartir ensuite en un long flash-back, succession de souvenirs des relations d’abord amicales puis houleuses entre la victime et lui-même. Même si la forme reste classique, l’intrigue est forte et prenante, et bien portée par la voix grave de Michael Redgrave, qui donne une belle intensité à cette histoire.

 

Mais ce qui fait la vraie force de cette histoire et de ce film, c’est de voir comment le personnage du journaliste anglais va se laisser convaincre par un groupe lié aux indépendantistes communistes du rôle double de l’américain, dont l’importation de plastique américain ne servirait qu’à participer à une série d’attentats très sanglants dont Redgrave est lui-même spectateur. Il se laisse convaincre d’autant plus que même s’il ne peut pas épouser la jeune Phuong, sa femme légitime restée en Angleterre lui refusant le divorce, il se refuse à la voir partir, et ce d’autant plus avec un homme plus jeune et plus séduisant que lui, et qui pourrait en plus lui apporter une réelle sécurité. Et croyant véritablement avoir affaire à un assassin, il finit même par livrer le jeune américain aux indépendantistes, qui seront ses futurs bourreaux.

 

Par ce retournement de situation, Manckiewicz se paye même le luxe d’entraîner ses spectateurs sur de nombreuses fausses pistes, les incitant à porter eux-mêmes des jugements hâtifs sur les personnages. Le petit message arrive à la fin par l’intermédiaire de l’enquêteur français qui le dit crûment au journaliste britannique « ils vont ont pris pour un couillon ». Ce message est une forme de pied de nez du réalisateur à ses spectateurs qu’il a réussi à mener en bateau pendant près de deux heures.

 

« Qu’est-ce qui vous a pris de jouer au héros ? Nous ne tournons pas un film de guerre. Et en plus, vous n’épouserez pas l’héroïne ! »

 

Outre son l’intérêt de l’histoire et du jeu constant dans lequel Manckiewicz entraîne ses spectateurs, ce film est aussi l’occasion d’un face à face passionnant entre deux très grands acteurs qui n’ont pas eu la reconnaissance qu’ils méritaient. D’un côté, Michael Redgrave, qui a joué dans des grands films tels que « Le deuil sied à Electre » ou « Une femme disparaît », et de l’autre Audie Murphy, acteur atypique puisque débarqué à Hollywood pour son physique avantageux et pour sa renommée due au fait qu’il fut le soldat le plus décoré de la seconde guerre mondiale (on notera au passage l’ironie du passage où il sauve la vie de Redgrave de nuit dans les marais et où celui-ci lui dit « qu’est-ce qui vous a pris de jouer au héros ? »). Grand abonné des westerns de série B, Murphy souffrira tout au long de sa carrière d’un manque de reconnaissance et de légitimité du monde du cinéma américain.

Ce film est également intéressant à titre historique puisqu’il donne une bonne vision à mon sens de ce qu’était la vie dans un pays d’Asie encore colonisé et qui était en proie à une guerre violente pour gagner son indépendance. En outre, rares sont les films réalisés par des pays extérieurs au conflit : il offre un point de vue original sur un conflit et une époque dont notre pays était partie prenante, ce qui a influencé fortement la sensibilité des réalisateurs et des films nationaux traitant de cette page de l’Histoire (« Dien Bien Phu », « Indochine », ou même « l’amant »).

 

Au final, il reste un film qui a défaut d’être un chef d’œuvre n’en demeure pas moins un très bon film, mêlant pas mal de genres tels que le polar ou la romance. Signé par un grand réalisateur dont on reconnaît aisément la patte (beaucoup de dialogues finement ciselés), il offre un film à rebondissements dont les ficelles ne se dénouent qu’à la fin. On regrettera juste quelques longueurs qui plombent un peu le rythme du film. Un film à voir en tous cas. A noter pour finir que le film à fait l’objet d’un remake en 2003, porté par Michael Caine et Brendan Fraser.



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O
Je trouve trés sympa le principe de commenter un vieux film, d'autant qu'il n'est pas trés connu... Vos reflexions tant à propos du scénario que du jeu des acteurs ou celui du réalisateur sont pertinentes. A une époque où la production pléthorique est telle que seule la surenchère d'effets (sonores, spéciaux, de vulgarités, d'annonce...) permet d'être remarqué, elles doivent nous rappeler qu'un film est un équilibre entre une histoire , une construction narrative, et des acteurs...
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B
Voilà encore une magnifique critique qui donne envie de voir ou redécouvrir un film qui n'est pas à l'affiche. D'autant plus qu'elle est de loin la mieux évrite, dans un style sûr et aisé, très agréable à lire. Je vais donc de ce pas me mater ce film. Merci !
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Le site sans prétention d'un cinéphile atteint de cinéphagie, qui rend compte autant que possible des films qu'il a vu!