American gangster
« LAmérique a un problème : tout est devenu trop grand. Plus personne ne trouve son chemin. On ne sait plus où trouver le cur pour planter son couteau »
New York, début des années 70. Bumpy Johnson, le légendaire parrain noir de Harlem, meurt terrassé par une crise cardiaque. Dans son ombre depuis plus de vingt ans, Franck Lucas, qui officiait comme chauffeur, garde du corps et homme de confiance, reprend discrètement la direction des affaires laissées par son mentor. Alors que dans les rues, les petites frappes tentent de simposer pour tenter de se faire la part du lion, Lucas, qui a appris énormément durant ses vingt années dhomme de lombre, fait preuve dun sens aigu des affaires et dun esprit particulièrement rusé. Alors que le trafic de drogue local est clairement établi selon un circuit stricte (drogue coupée, les grandes familles se concurrencent loyalement, sans être inquiétées par une police corrompue qui se sert au passage), Lucas décide de se mettre à son propre compte en contournant tous les circuits actuels afin de devenir le numéro un de la drogue new-yorkaise. Par ses contacts en Thaïlande, et grâce à lappui de quelques militaires américains sur place à qui il graisse la patte, il organise ainsi lapprovisionnement vers New York de lhéroïne la plus pure qui soit quil vend à des prix imbattables. Un trafic quil organise également avec la complicité de ses frères et cousins, seules personnes en qui il a confiance. Mais larrivée de cette nouvelle drogue à bas prix dérègle totalement le marché, et Lucas se fait des ennemis, tant dans les autres familles de la maffia, qui ne peuvent rivaliser et perdent le marché, que dans la police quil refuse de soudoyer. Lhomme est dautant plus insaisissable que de nature discrète, personne ne sait qui il est ni que cest lui qui organise ce vaste réseau de drogue. Mais linspecteur Roberts, flic réputé incorruptible et fraîchement nommé à la tête dune nouvelle équipe de choc de lutte contre le trafic de stupéfiants, décide de mener lenquête afin de démanteler ce réseau qui fait tant de ravages
« Bumpy ne possédait pas son business, même sil le dirigeait. Il appartenait aux blancs. Moi je nappartiens à personne »
Célèbre pour avoir été lun des plus gros parrains des années 70 et surtout le premier véritable grand parrain noir, Franck Lucas restera une figure emblématique des seventies américaines. Une figure liée également à lhistoire du pays, puisque sa chute préfigure un grand nettoyage des institutions dans les années qui suivirent et qui mirent fin à la corruption généralisée qui y régnait. Pas facile dès lors de sattaquer au portrait cinématographique dune telle figure. Lidée de ce projet est né dun article du magazine New-York, retraçant, entretiens avec lintéressé à lappui, la vie du célèbre malfrat new-yorkais. Paru en 2000, les droits de larticle ont aussitôt été acheté par Universal qui confiât lécriture du scénario à Steven Zillian, scénariste à succès (« La liste de Schindler » de Spielberg en 1994, « Mission : Impossible » de De Palma en 1996, « Gangs of New York » de Scorsese 2003) et réalisateur à ses heures (on lui doit entre autres « Préjudice » en 1999 avec Robert Duvall et John Travolta). Après plusieurs versions pas totalement satisfaisantes retravaillées par dautres scénaristes, Zillian signa la dernière et bonne version du scénario. Film de commande doté dun gros budget, la réalisation devait être confiée un temps à Antoine Fuqua (« Training day » en 2002, « Le Roi Arthur » en 2004), avant de revenir à Ridley Scott. Ce dernier adapte donc pour la troisième fois un scénario de Zillian à lécran, après « Hannibal » (2001) et « La chute du faucon noir » (2002). Cest également pour Scott loccasion de revenir à un cinéma denvergure après sa parenthèse « Une grande année » (2007). A noter que pour ce film retraçant une histoire vraie, les vrais Franck Lucas et Richie Roberts ont officié en tant que consultants sur le tournage du film.
« Un nègre ne peut pas réussir là où les italiens et les autres ont échoué ! »
Loin de la science-fiction ou des épopées historiques anciennes, Ridley Scott soffre ici un véritable film de gangsters. Mais loin des nanars où laction se tisse la part belle (du type « Miami Vice » ou « Heat » de Mann), il renoue plutôt avec les films qui sattachent davantage à la description du milieu et des hommes qui le composent (façon « Les affranchis » de Scorsese, « Scarface », ou encore « Il était une fois en Amérique » sans le souffle romanesque et poétique de Léone). A ce titre, force est de constater que le film bénéficie dun scénario très abouti. Ultra documenté tant sur ces personnages qui ont réellement existé que sur les dessous du trafic (lapprovisionnement en drogue mais aussi la corruption de la police), il sattache à dresser les portraits hauts en couleurs de deux personnages que tout oppose et qui se retrouvent pourtant liés lun à lautre dans une intrigue où chacun représente le prédateur pour lautre. Une intrigue qui sépaissit dune charge dramatique dans lascension puis dans la chute programmée et inéluctable de ce parrain si peu ordinaire, ainsi que de lambiance dun thriller dans sa manière dexposer ses personnages à des dangers de plus en plus pressants. Reste que les personnages sont particulièrement bien dessinés, loin de tout manichéisme, le flic modèle et incorruptible savère avoir une vie privée et sentimentale catastrophique, larguée sa femme qui lui retire son fils, et accumulant les coucheries, pendant que le parrain peut fréquentable est tout le contraire, avec une vie privée des plus réussie, avec famille soudée et mariage damour. Mais la vraie force de ce film, cest daller au-delà de la simple confrontation de ces deux personnages hors normes. Car « American gangster » dresse avant tout le portrait dune époque peu reluisante de la société et des institutions américaines. En effet, loin des idéaux de justice et de respect des lois, le scénario pointe du doigt les affres dune période où le pays était embourbé dans ses contradictions, perdu dans le bourbier vietnamien dune part, et rongé par la corruption de lautre, avec ces policiers et autres représentants de la loi qui se servaient allégrement sur tout ce que la ville comptait de trafic, parrains et dealers étant de mèche avec la police. A son niveau, par son scénario brillant, le film retranscrit donc lambiance tendue dune époque trouble qui sera aussi marquée par le racisme ambiant et les grandes marches des droits civiques (à ce titre, le film montre bien à quel point un parrain comme Franck Lucas est une figure identitaire pour la communauté noire de Harlemn, pour qui il représente un modèle d'ascencion sociale et un protecteur local d'une population abandonnée par les pouvoirs publics), les peu reluisants assassinats politiques et autres écoutes du Watergate.
« Abandonner quand on a réussit nest pas un échec »
Sur la forme, Ridley Scott étonne en adoptant un style plus épuré, direct, et sobre, loin de ses mises en scènes plus visuelles, et de ses gros effets habituels. Néanmoins, ses choix savèrent parfaitement judicieux, et contribue à donner cette impression de nervosité au film. Un classicisme dans la forme qui simposait donc. Par ailleurs, bien que de facture assez classique, le montage, alternant les séquences des deux protagonistes, permet de développer intelligemment lhistoire et la personnalité des deux héros, et maintient un niveau dintérêt permanent. En outre, la longue durée du film (2h30) ne se fait jamais ressentir et le film semble passer assez rapidement. Pour le reste, on ne pourra que souligner le joli travail de reconstitution (décors, costumes, accessoires), qui restitue parfaitement lépoque du tout début des années 70. La photographie et léclairage, rappelant par ses teintes tirant un peu dans les ocres les films dépoque (« Meurtre dun bookmaker chinois » ou « French connection »). On appréciera également limpeccable direction dacteur, pour lesquels la sobriété est également de mise. Soffrant un face à face entre deux comédiens parmi les plus importants du moment, Scott se montre en permanence à la hauteur. A sa décharge, il faut dire quil commence à bien connaître Crowe (qui a joué pour lui dans « Une grande année », et surtout dans le phénoménal « Gladiator » pour lequel il a obtenu lOscar du meilleur acteur). Dailleurs, cest bien Russel Crowe qui impressionne le plus, révélant une facette beaucoup plus sobre quon ne lui connaissait pas. A ses côtés, Denzel Washington (les deux hommes ont déjà partagé laffiche de « Programmé pour tuer » en 1996), même sil en fait parfois un peu des caisses, livre une très grande prestation. Les seconds rôles, Josh Brolin en tête, ne sont pas en reste, et contribuent grandement à la belle impression densemble.
« Jai défendu Harlem. Harlem me défendra »
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Plus classique et plus sobre, Ridley Scott nous surprend avec ce polar aux allures de grande fresque maffieuse. Porté par limpressionnant face à face de deux personnages hors norme, la grande force du film réside dans sa capacité à dépasser les simples portraits de personnages, mais aussi à dresser un instantané dune époque, où les valeurs fondamentales de la société américaine était assez généralement bafouées, et lautorité corrompue. Nerveux, racé et passionnant, « American gangster » renoue avec la grande tradition des films de mafia américains, qui semblait un peu avoir disparus. Dirigé de main de maitre, le film bénéficie également de linterprétation magistrale de deux comédiens prodigieux, Russel Crowe et Denzel Washington, au meilleur de leur forme. Un très grand film, qui pourrait bien faire un malheur aux prochains Oscars.
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