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13 Jun

Black snake moan

Publié par platinoch  - Catégories :  #Films musicaux

« Dieu t’as mise sur mon chemin, je vais te sauver de ta débauche »

 

Dans la série des ovnis cinématographiques sortis sur nos écrans ces derniers mois, je vous présente le dernier venu, « Black snake moan ». Réalisé par Craig Brewer, dont c’est la deuxième réalisation après le déjà musical « Hustle & Flow » (Oscar de la meilleur chanson en 2006), ce film impose de nouveau sa marque de fabrique, avec une action située dans le vieux sud américain et une place importante laissée à la musique, en l’occurrence ici le blues. D’ailleurs, le titre du film fait référence à un morceau de Blind Lemon Jefferson. Pur produit du cinéma indépendant américain, ce film est d’ailleurs en soit une forme de vibrant hommage à la musique blues. Annoncé comme un projet indépendant et subversif, nul doute que je devais aller le voir. Impressions.

 

« Le meilleur remède contre le cafard, c’est encore une bonne chatte ! »

 

L’histoire :

 

Quelque part dans le Tennessee profond, deux destins que tout oppose. D’un côté, il y a elle, Rae, jeune femme perdue et déboussolée, dont le petit ami part à la guerre. Nymphomane et à moitié droguée, complètement à côté de ses pompes, elle a la méchante réputation d’être une fille plus que facile, ayant offert ses charmes à la plupart des mâles du coin. De l’autre côté, il y a Lazarus, la bonne cinquantaine, vieux joueur de blues, qui vit de sa petite exploitation agricole, et qui vient de se faire larguer par sa femme. Visiblement anéanti par ce coup du sort, il semble n’avoir plus goût à rien et vit de plus en plus reclus. Mais voilà, un soir, Rae fait une mauvaise rencontre, et elle est laissée pour morte sur le bas côté de la route. Jusqu’à ce que Lazarus ne la trouve et décide de s’occuper d’elle.

 

« Sirop pour la toux ou boite de capotes ? »

 

Il faut tout d’abord se méfier des apparences. Le film pourrait paraître super trash, de par son synopsis, son affiche, naviguant entre une poupée nymphomane qui écarte les jambes à tout bout de champ d’un côté, et un vieil acariâtre aigri et moralisateur de l’autre, les deux étant relier par une chaîne qui laissait présager la pire des relations dominant/dominé ou SM imaginable. Mais voilà, Brewer n’est pas un cinéaste comme les autres, et l’intérêt de son film réside dans le fait qu’il fait croire à ses spectateurs en permanence qu’il prend une direction scénaristique pour mieux l’abandonner le quart d’heure suivant. Du coup, on passe par toute une série de scènes des plus dérangeantes les unes que les autres, comme celle où Rae se retrouve enchaînée et à huis-clos à moitié nue, sans connaître les intentions de son geôlier, ou encore une autre où Lazarus semble s’apprêter à lui faire la morale à grands coups de Bible. Sans oublier la scène où Timberlake s’introduit chez Lazarus armé de son revolver. Dans tous les cas, ces scènes n’aboutissent jamais (et tant mieux pour nous !) là où on pourrait le croire.

 

Car ce film ne se veut absolument pas moralisateur. Et c’est la première de ses vertus. Ce film est avant tout une sorte d’hommage au Blues, et n’est d’ailleurs finalement ni plus ni moins qu’une chanson de Blues filmée. Car à travers ces personnages, c’est toute une forme de mélancolie mêlée de rage qui ressort, exactement comme dans la musique Blues. Le Blues apparaît d’ailleurs comme une sorte de thérapie, pour exprimer ses maux, et pour guérir l’âme. Elle sert à rassurer, à apaiser, à libérer sa colère, mais aussi à oublier ses soucis et à exprimer sa sensualité, comme le montre cette scène de concert dans le bar. Car à défaut de guérir totalement nos deux héros, le Blues leur permet malgré tout de trouver un certain apaisement nécessaire pour leur permettre d’avancer. Comme si le Blues exorcisait contre le mauvais œil, le serpent noir qui était en possession de nos héros. Il y a là-dedans comme une recherche de rédemption par la musique.

 

Le film surprend par le traitement de la relation naissante entre ces deux héros qui n’auraient jamais du se croiser, et encore moins se comprendre. La présence de cette chaîne, qui paraît tellement excessive et humiliante, laissait présager du pire, entre jeux malsains, domination, sado-masochisme, ou encore plus simplement le souvenir de l’avilissement d’une partie de cette population du Vieux sud à une époque pas si éloignée, alors que se présence ne sert qu’à tisser un lien physique entre les deux héros, leur permettant petit à petit de se comprendre. Il y a d’ailleurs un petit quelque chose de Tarantino dans ces images fortes, décalées, et dans l’humour totalement improbable qui resurgit de temps en temps de ces situations. Le film adopte également le rythme de la musique, l’histoire s’égrenant sur un rythme lancinant et parfois électrique.

 

« Tu n’as droit qu’à une seule vie, tu dois la vivre comme tu l’entends »

 

Au-delà de cette belle histoire humaniste, et de cet amour pour la musique, ce « Black snake moan » s’impose également en film subversif, tant la critique de la société y est présente. Entre l’Amérique profonde, délaissée et pouilleuse, une société formatée laissant de côté les plus fragiles et les plus inadaptés à se fondre dans le moule, et cette sacro-sainte morale hypocrite qui pousse les gens à juger plus qu’à comprendre ou à aider, c’est un portrait au vitriol de la société américaine qui nous est proposé. A ce titre, le doigt d’honneur tendu par Rae à ce tracteur à qui elle bloque la route étroite est plus que symbolique.

 

Si le film est réussit, c’est aussi parce qu’il s’appuie sur des acteurs dont la performance reste de haut vol. Samuel L. Jackson retrouve enfin un rôle digne de son rang, où son physique et sa cool attitude lui permettent à merveille de jouer avec subtilité sur toute la gamme des émotions du Blues. Quant à Christina Ricci, c’est probablement la révélation de ce film. On la savait talentueuse, mais là elle crève l’écran dans ce rôle de petite poupée trashy, cassée, nymphette en culotte possédée par ses propres démons. Dans ce rôle pourtant difficile elle laisse passer une grande sensualité, ainsi qu’un formidable mélange de fragilité et de force.

 

Si le rythme un peu lent plombe parfois un peu l’ensemble, le nouveau film de Craig Brewer n’en demeure pas moins une réussite. Avec un sujet aussi ingrat, propre à faire hurler, en vrac, les plus moralistes, les plus pieux, ainsi que les militants du droit des femmes qui à mon avis n’aimeront pas le coup de l’héroïne enchaînée, il arrive cependant à faire un film d’une humanité rare, sur la rédemption et l’acceptation de soi et de l’autre. Sorte de pavé jeté dans la marre, il lance également à la face de l’Amérique un portrait peu flatteur d’une société hypocrite et violente. Enfin, il réalise un formidable hommage à une culture, à une musique, le Blues. A défaut d’être un réel chef d’œuvre, Brewer signe là un très bon film, original, atypique, une vraie curiosité à voir sans hésiter.



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B
Très belle critique. Pour autant, elle ne me donne pas envie d'aller voir ce film. Un je ne sais quoi de raccoleur, voyeur ? semble planer dans cette histoire, flirtant avec les symboles, comme la chaine, comme la nypho-blondasse sous couvert de blues prétexe à un pseudo message usité. Il en faut pour tous les goûts...
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A
Faut que j'aille le voir celui la. Merci pour la critique ^^
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Le site sans prétention d'un cinéphile atteint de cinéphagie, qui rend compte autant que possible des films qu'il a vu!