Black snake moan
« Dieu tas mise sur mon chemin, je vais te sauver de ta débauche »
Dans la série des ovnis cinématographiques sortis sur nos écrans ces derniers mois, je vous présente le dernier venu, « Black snake moan ». Réalisé par Craig Brewer, dont cest la deuxième réalisation après le déjà musical « Hustle & Flow » (Oscar de la meilleur chanson en 2006), ce film impose de nouveau sa marque de fabrique, avec une action située dans le vieux sud américain et une place importante laissée à la musique, en loccurrence ici le blues. Dailleurs, le titre du film fait référence à un morceau de Blind Lemon Jefferson. Pur produit du cinéma indépendant américain, ce film est dailleurs en soit une forme de vibrant hommage à la musique blues. Annoncé comme un projet indépendant et subversif, nul doute que je devais aller le voir. Impressions.
« Le meilleur remède contre le cafard, cest encore une bonne chatte ! »
Lhistoire :
Quelque part dans le Tennessee profond, deux destins que tout oppose. Dun côté, il y a elle, Rae, jeune femme perdue et déboussolée, dont le petit ami part à la guerre. Nymphomane et à moitié droguée, complètement à côté de ses pompes, elle a la méchante réputation dêtre une fille plus que facile, ayant offert ses charmes à la plupart des mâles du coin. De lautre côté, il y a Lazarus, la bonne cinquantaine, vieux joueur de blues, qui vit de sa petite exploitation agricole, et qui vient de se faire larguer par sa femme. Visiblement anéanti par ce coup du sort, il semble navoir plus goût à rien et vit de plus en plus reclus. Mais voilà, un soir, Rae fait une mauvaise rencontre, et elle est laissée pour morte sur le bas côté de la route. Jusquà ce que Lazarus ne la trouve et décide de soccuper delle.
« Sirop pour la toux ou boite de capotes ? »
Il faut tout dabord se méfier des apparences. Le film pourrait paraître super trash, de par son synopsis, son affiche, naviguant entre une poupée nymphomane qui écarte les jambes à tout bout de champ dun côté, et un vieil acariâtre aigri et moralisateur de lautre, les deux étant relier par une chaîne qui laissait présager la pire des relations dominant/dominé ou SM imaginable. Mais voilà, Brewer nest pas un cinéaste comme les autres, et lintérêt de son film réside dans le fait quil fait croire à ses spectateurs en permanence quil prend une direction scénaristique pour mieux labandonner le quart dheure suivant. Du coup, on passe par toute une série de scènes des plus dérangeantes les unes que les autres, comme celle où Rae se retrouve enchaînée et à huis-clos à moitié nue, sans connaître les intentions de son geôlier, ou encore une autre où Lazarus semble sapprêter à lui faire la morale à grands coups de Bible. Sans oublier la scène où Timberlake sintroduit chez Lazarus armé de son revolver. Dans tous les cas, ces scènes naboutissent jamais (et tant mieux pour nous !) là où on pourrait le croire.
Car ce film ne se veut absolument pas moralisateur. Et cest la première de ses vertus. Ce film est avant tout une sorte dhommage au Blues, et nest dailleurs finalement ni plus ni moins quune chanson de Blues filmée. Car à travers ces personnages, cest toute une forme de mélancolie mêlée de rage qui ressort, exactement comme dans la musique Blues. Le Blues apparaît dailleurs comme une sorte de thérapie, pour exprimer ses maux, et pour guérir lâme. Elle sert à rassurer, à apaiser, à libérer sa colère, mais aussi à oublier ses soucis et à exprimer sa sensualité, comme le montre cette scène de concert dans le bar. Car à défaut de guérir totalement nos deux héros, le Blues leur permet malgré tout de trouver un certain apaisement nécessaire pour leur permettre davancer. Comme si le Blues exorcisait contre le mauvais il, le serpent noir qui était en possession de nos héros. Il y a là-dedans comme une recherche de rédemption par la musique.
Le film surprend par le traitement de la relation naissante entre ces deux héros qui nauraient jamais du se croiser, et encore moins se comprendre. La présence de cette chaîne, qui paraît tellement excessive et humiliante, laissait présager du pire, entre jeux malsains, domination, sado-masochisme, ou encore plus simplement le souvenir de lavilissement dune partie de cette population du Vieux sud à une époque pas si éloignée, alors que se présence ne sert quà tisser un lien physique entre les deux héros, leur permettant petit à petit de se comprendre. Il y a dailleurs un petit quelque chose de Tarantino dans ces images fortes, décalées, et dans lhumour totalement improbable qui resurgit de temps en temps de ces situations. Le film adopte également le rythme de la musique, lhistoire ségrenant sur un rythme lancinant et parfois électrique.
« Tu nas droit quà une seule vie, tu dois la vivre comme tu lentends »
Au-delà de cette belle histoire humaniste, et de cet amour pour la musique, ce « Black snake moan » simpose également en film subversif, tant la critique de la société y est présente. Entre lAmérique profonde, délaissée et pouilleuse, une société formatée laissant de côté les plus fragiles et les plus inadaptés à se fondre dans le moule, et cette sacro-sainte morale hypocrite qui pousse les gens à juger plus quà comprendre ou à aider, cest un portrait au vitriol de la société américaine qui nous est proposé. A ce titre, le doigt dhonneur tendu par Rae à ce tracteur à qui elle bloque la route étroite est plus que symbolique.
Si le film est réussit, cest aussi parce quil sappuie sur des acteurs dont la performance reste de haut vol. Samuel L. Jackson retrouve enfin un rôle digne de son rang, où son physique et sa cool attitude lui permettent à merveille de jouer avec subtilité sur toute la gamme des émotions du Blues. Quant à Christina Ricci, cest probablement la révélation de ce film. On la savait talentueuse, mais là elle crève lécran dans ce rôle de petite poupée trashy, cassée, nymphette en culotte possédée par ses propres démons. Dans ce rôle pourtant difficile elle laisse passer une grande sensualité, ainsi quun formidable mélange de fragilité et de force.
Si le rythme un peu lent plombe parfois un peu lensemble, le nouveau film de Craig Brewer nen demeure pas moins une réussite. Avec un sujet aussi ingrat, propre à faire hurler, en vrac, les plus moralistes, les plus pieux, ainsi que les militants du droit des femmes qui à mon avis naimeront pas le coup de lhéroïne enchaînée, il arrive cependant à faire un film dune humanité rare, sur la rédemption et lacceptation de soi et de lautre. Sorte de pavé jeté dans la marre, il lance également à la face de lAmérique un portrait peu flatteur dune société hypocrite et violente. Enfin, il réalise un formidable hommage à une culture, à une musique, le Blues. A défaut dêtre un réel chef duvre, Brewer signe là un très bon film, original, atypique, une vraie curiosité à voir sans hésiter.
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