C'est dur d'être aimé par des cons
« « Scream » quand cest vu par des cons, ça pose problème. Cest pareil pour les caricatures »
Pour avoir reproduit les douze caricatures danoises ayant déclenché la colère des musulmans aux quatre coins du monde, Philippe Val, le patron de Charlie Hebdo, journal satirique français, est assigné en justice. Un procès hors norme que Daniel Leconte suit en temps réel. Pour décrypter, avec les acteurs clés, les enjeux politiques internationaux, médiatiques et idéologiques. Avec, en images : avocats, témoins, médias, conférences de rédaction, manifestations de soutien. Avec aussi les prises de positions des intellectuels et des hommes politiques, les réactions de l'accusation et des pays musulmans. Une réflexion sur l'Islam, sur la presse, sur l'état de l'opinion dans la société française mais aussi une tentative de réponse aux défis lancés par l'intégrisme à toutes les démocraties.
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« Lenjeu est énorme : il sagit de stigmatiser les dangers de lislamisme sans heurter les croyants »
Journaliste et réalisateur de plusieurs documentaires, Daniel Leconte sétait manifesté très tôt sur laffaire des caricatures, signant une tribune de soutient dans Libération intitulée « Merci Charlie ». Une prise de position qui valait à son auteur de se faire contacter par Philippe Val, rédacteur en chef de Charlie Hebdo qui lui demanda sil accepterait de témoigner au tribunal en faveur du journal satyrique. De là est venue lidée au journaliste de faire un documentaire sur cette affaire, finalement universelle puisque sinscrivant pleinement dans le climat de confrontation et dincompréhension opposant monde Islamique et monde Occidental. Le film a été présenté en séance spéciale lors du Festival de Cannes 2008, en présence du réalisateur/documentariste américain Michael Moore.
« Avec ces gens : si tu parles tu meurs, si tu te tais tu meurs. Alors parle et meurs. »
Tel était le titre ultra provocateur du numéro de Charlie Hebdo consacré aux caricatures de Mahomet qui ont défrayées la chronique. Des caricatures également relayées par France-Soir et lExpress. Pourtant cest bel et bien lhebdomadaire satyrique qui se retrouvera seul sur le bac des accusés après les plaintes conjointes de diverses associations musulmanes. Et si le procès a tant défrayé la chronique, cest avant tout parce quil touchait à des notions essentielles de notre République et des valeurs quelle défend et représente. En premier lieu desquelles la liberté dexpression. « On peut rire de tout mais pas avec tout le monde » disait Desproges. Voilà qui résume bien le problème. Car jouant sur la seule limite « contraignante » de la liberté dexpression lincitation à la haine raciale ou religieuse ce procès nétait pas simplement intenté à un simple journal satyrique mais à la République et à la société elles-mêmes, posant la question de la compatibilité entre Religion dune part et valeurs républicaines de lautre. Une question dautant plus sensible et fondamentale quelle tendait à remettre en cause le principe de laïcité, parmi les fondamentaux de notre Constitution. Mais la grande réussite de ce reportage, cest de réussir à rendre ce documentaire vivant et ludique. Tout dabord en nous montrant les dessous politiques très complexes de laffaire (selon le film, le Recteur de la Mosquée de Paris était « téléguidé » par létat Algérien, avec la bénédiction du gouvernement français de lépoque qui voulait à ce titre éviter tout débordement civil). On assiste alors à un chassé croisé de personnages plus ou moins célèbres venant témoigner en faveur ou non de Charlie. Des personnages tantôt cocasses (le professeur duniversité dont le témoignage profite à la partie adverse), tantôt antipathiques (le vieux prêtre facho, lavocat des plaignants qui se permet un commentaire très déplacé et sexiste contre une journaliste de Charlie), tantôt émouvants (Elizabeth Badinter, le journaliste algérien menacé de mort), le tout bercé par les confrontations danonymes des deux camps qui sinvectivent dans la salle des pas perdus. On se prend même à rire en entendant le récit de la plaidoierie finale de la défense, anciens numéros provocateurs de Charlie Hebdo à lappui, demandant aux plaignants sils voulaient être aussi (mal)traités que les autres religions ont pu lêtre dans ce journal. Dans tous les cas, on reconnaitra un grand mérite à ce film, celui de rappeler en osant traiter dun sujet sensible et encore un peu tabou quil faudra toujours être vigilant face aux montées des extrémismes, qui menaceront toujours les principes de notre Démocratie, qui ne seront jamais totalement « acquis » et quil faudra toujours défendre. On regrettera juste que les beaux principes défendus par Charlie Hebdo aient été contredits depuis par laffaire Siné. Il nen demeure pas moins que ce film est essentiel.
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