Rue cases-nègres
A loccasion de la troisième édition de lopération Dvdtrafic, lancée à linitiative de Cinétrafic, il ma été donné loccasion de découvrir et de critiquer le dvd de la « Rue Cases-nègres » dEuzhan Palcy.
« La loi leur interdit de nous fouetter mais ne les oblige pas à nous payer comme il faut »
À six mille kilomètres de la métropole qui prépare lExposition coloniale de 1931, la Martinique vit à lheure des vacances dété. Au milieu de la plantation, la rue Cases-Nègres : deux rangées de cases de bois désertées par les adultes partis travailler dans la canne à sucre sous le contrôle des économes et des commandeurs.
Parmi les enfants qui passent leur été à samuser se trouve José, onze ans, orphelin élevé avec fermeté et amour par Man Tine, sa grand-mère. Bientôt, la vie séparera les enfants, au gré de leurs succès ou de leurs échecs scolaires
« Misérable ! Tu voudrais que je tenvoie à la canne comme tous ces nègres sans honneur ? »
Même sil nest pas le plus connu des auteurs de la créolité, Joseph Zobel (1915-2006) a signé avec « La rue cases-nègres », uvre autobiographique publiée au début des années 50, lun des romans les plus populaires et les plus importants de la littérature antillaise du vingtième siècle. En contant le quotidien et la condition des antillais dans les champs de canne au début des années 30, le roman dénonçait surtout le racisme de la France coloniale (voir ici). Ce qui valut au roman dêtre un temps interdit. Mais cest surtout grâce au cinéma que ce récit sera plus largement popularisé. Grâce notamment à la pugnacité dune jeune réalisatrice antillaise complètement novice, Euzhan Palcy (qui réalisera quelques années plus tard « Une saison blanche et sèche » interprété par Marlon Brando), qui parviendra à en réaliser une adaptation pour le cinéma, malgré les réticences et la frilosité des producteurs. Une persévérance qui sest avérée payante puisque le film a été lun des succès de lannée 1983. Et outre son million et demi dentrées au box-office, on retiendra surtout le Lion dargent obtenu à la Mostra de Venise doublé de la Coupe Volpi de la meilleure actrice pour Darling Legitimus. Sans oublier le César de la meilleure première uvre.
« Linstruction est la clé qui ouvre la deuxième porte de notre liberté ! »
A linstar du roman de Zobel, le film de Palcy traite moins de l'enfance qu'il ne témoigne d'une époque pas si lointaine où les Antilles françaises se trouvaient encore sous administration coloniale, et où la condition des noirs était largement précaire pour ne pas dire misérable. Certes, le film est avant tout consacré à lhistoire de José et de sa dévouée grand-mère, prête à tous les sacrifices pour que son petit-fils puisse étudier et ainsi échapper à un destin de misère dans les champs de canne qui semble lui tendre les bras. Une « histoire damour sans je taime », forcément très émouvante, et toujours très digne, même quand la réalisatrice nous montre la réalité miséreuse de la rue cases-nègres. Pour autant, le film ne serait pas aussi fort sans le souci constant de la réalisatrice de vouloir le tirer vers une réflexion plus profonde, plus universelle, sur le racisme et sur ses conséquences sur la société antillaise. Ainsi, même si le récit se passe dans les 30s et que lesclavage a déjà été officiellement aboli depuis de nombreuses décennies, Euzhan Palcy nous montre à quel point les mentalités nont pas évolué. Certes, les noirs nont plus de chaines au pied et ne se font plus fouetter. Mais ils sont toujours méprisés par les blancs qui les exploitent allègrement dans leurs plantations, les maintenant par là même dans une précarité extrême. Mais pire encore, ce racisme qui perdure depuis larrivée des blancs prend parfois des formes plus insidieuses et perverses. A limage de cet exploitant béké qui aime sa compagne noire et son fils métisse mais qui refuse de les reconnaitre officiellement pour maintenir la tradition familiale. Quitte à les faire retourner à la rue après son décès. Même chose avec cette ouvreuse de cinéma, noire de sa personne, qui en vient elle aussi à mépriser les noirs en se rêvant plus proche des blancs. Un constat aussi amer que brutal qui ne débouche cependant jamais sur une quelconque note misérabiliste ni sur aucun déterminisme. Chacun peut donc espérer sen sortir. Grâce à lamour dune part, mais aussi à léducation, seule véritable clé de la liberté. Un beau message toujours dactualité.
Le dvd : Cette nouvelle édition dvd, très soignée, propose le film dans un nouveau master restauré. La qualité image est superbe. Seul petit bémol, la bande sonore est par moment un peu étouffée, ce qui aurait mérité davantage de scènes sous-titrées. Côté bonus, le dvd est très riche. Outre la bande-annonce et une importante galerie de photos, nous est proposé un premier reportage, « Lamour sans je taime », dans lequel la réalisatrice revient durant une trentaine de minute sur la genèse du livre, lhistoire de lauteur Joseph Zobel, ainsi que sur la genèse du film et le soutien de Aimé Césaire et surtout de François Truffaut. Un second reportage, « Euzhan Palcy au Trianon », montre un échange entre la réalisatrice et une classe de collégiens suite à la projection du film, à la suite duquel elle évoque notamment sa carrière et la situation des femmes réalisatrices. Cette très belle édition dvd est accompagnée dun livret reprenant le carnet de bord jusquici inédit tenu par lauteur Joseph Zobel durant laventure de la Mostra de Venise 1983 de laquelle le film repartit primé du Lion dArgent.
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