Ceux qui restent
« Tout ira bien, ne vous inquiétez pas »
Région Parisienne. Chaque jour, Bertrand, la cinquantaine, vient à Paris pour voir sa femme hospitalisée atteinte dun cancer en stade terminal. Un jour il rencontre Lorraine, dont le conjoint est lui aussi hospitalisé pour un cancer. De fil en aiguille, les deux sympathisent, elle, posant des questions assez directes sur la manière de gérer la situation et de vivre avec la culpabilité de continuer de vivre, lui prenant la situation avec calme et prenant les problèmes à bras le corps, et tombant peu à peu sous le charme de cette femme extravertie cachant son mal-être derrière un flot ininterrompu de paroles. De rencontres à lhôpital de plus en plus fréquentes et de moins en moins fortuites, dune relation trouble mêlant sentiments et amitié, Bertrand et Lorraine vont saider lun lautre à supporter une situation terriblement douloureuse et cruelle.
« Je me demande sil y a pas un truc de transfert avec son cancérologue comme avec son psy. Dabord on le déteste et après on ladore »
Film attendu car porté par une critique unanimement enthousiaste, « Ceux qui restent » est le premier passage derrière la caméra de la comédienne Anne Le Ny, aperçue auparavant au générique de films tels que « Ma petite entreprise » (Jolivet 1999), « Le goût des autres » (Jaoui 2000), « Se souvenir des belles choses » (Breitman 2002), « La petite Lili » (Miller 2003), ou encore « Mon petit doigt ma dit » (Thomas 2005). « Ceux qui reste » est le film des grandes premières pour Le Ny, puisquen plus des casquettes de réalisatrice et de comédienne, elle cumule également pour la première fois la fonction de scénariste. Sa sortie sinscrit dans une vague de films français qui ont vu sillustrer ces derniers mois une nouvelle génération de réalisatrices passant pour la première fois et avec une jolie habilité derrière la caméra, et avec un goût prononcé pour des sujets difficiles. On pense notamment à Lola Doillon et son « Et toi, tes sur qui ? », à Céline Sciamma et son « Naissance des pieuvres », ou encore plus récemment à Mia Hansen-Love et son très joli « Tout est pardonné ».
« Vous croyez quil y a des gens assez cons pour offrir des nougats à quelquun qui vient de se faire opérer des intestins ? »
Le risque majeur dun sujet aussi sombre, voire aussi glauque, cétait davoir un film larmoyant sombrant trop dans le pathos. Mais la grande force du film dAnne Le Ny, cest justement déviter tout ce côté larmoyant. A aucun moment elle ne cherche à arracher de force la larmichette de rigueur. Au contraire, son scénario joue sur du velours et sur lauthenticité des émotions. Ainsi, on notera le parti pris intéressant et réussi de la réalisatrice de ne pas montrer ni les conjoints malades, ni le personnel soignant (quelques apparitions sans plus), comme si elle voulait nous montrer ses personnages enfermés dans leur solitude et leurs problèmes liés à la maladie. Ce qui rend forcément leur relation plus forte et la communication avec les autres plus dure. Car au fond elle ne montre pas grand chose, ne cherchant jamais la surenchère ou le sensationnel. On voit juste un homme qui se renferme de plus en plus sur lui même, qui narrive plus à communiquer avec sa belle-fille qui narrive pas à faire face à la maladie de sa mère, ni avec sa famille. Peu de choses au final, mais une émotion sincère et bouleversante qui ressort de ces situations ordinaires, où priment la pudeur, les silences, et les non-dits.
« On dit que cest dans les moments difficiles quon retrouve sa vraie nature. Mais là tout ce quil y a en moi de plus mesquin est en train de ressortir »
On pourra cependant reprocher à sa réalisation un petit manque de chair. On aurait aimer voir la relation entre Bertrand et Lorraine filmée de manière plus passionnée peut-être. En revanche le parti pris dune caméra au plus proche des personnages, comme pour mieux rentrer dans leur intimité était de toute évidence une bonne idée. On ne pourra également que louer la direction dacteurs, irréprochable. On retrouve le couple Vincent Lindon et Emmanuelle Devos qui fonctionnait déjà très bien dans lénigmatique « La moustache » (Carrère 2005). Vincent Lindon se bonifie réellement avec le temps, et son interprétation toute en intériorité est dune incroyable émotion. A ses côtés, Emmanuelle Devos en fait peut-être un petit peu trop, mais son rôle de femme fragile qui se construit une façade extravertie et un brin vulgaire amenait forcément à lexcès. On notera également la participation de la réalisatrice dans un petit second rôle.
« Chacun fait ce quil peut comme il peut, personne naura de bon point à larrivée »
Bilan des courses, Anne Le Ny réussit avec la manière son passage derrière la caméra avec ce « Ceux qui reste ». Film poignant et pudique, elle y révèle avant tout un véritable talent de scénariste. Malgré un thème un peu glauque, elle arrive non seulement maintenir ses spectateurs dans le bain du film, mais à émouvoir sans sombrer dans les sentiments faciles. On pourra lui reprocher quelques petites erreurs ou choix discutables dans sa mise en scène, sans que cela naffecte réellement la bonne qualité globale de ce film. Un joli film réussit et poignant.
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