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27 Sep

Chaines conjugales

Publié par platinoch  - Catégories :  #Drames

« Mes chères amies, je ne vous oublierais jamais d’autant plus que je pars avec le mari de l’une d’entre vous »

 

Les AcaciasEtats-Unis, une petite ville huppée de la côte est. Trois couples d’amis se retrouvent régulièrement à dîner ou au bal du club huppé qu’ils fréquentent. On y retrouve le riche Brad qui a rencontré sa femme pendant la guerre où elle était engagée dans la Navy. Il y aussi George et Rita, couple moderne pour l’époque puisque l’épouse ramène plus d’argent à la maison que le mari, simple instituteur mais passionné par son travail et par ses idéaux. On y retrouve également Porter, riche propriétaire de plusieurs grandes surfaces de la région, et sa femme Lora Mae, sa cadette d’une quinzaine d’années. Parmi leurs relations, il y a la riche, classe, et insaisissable Addie Ross, que toutes les femmes craignent car particulièrement séduisante et séductrice. Un jour, alors qu’elles doivent partir toutes les quatre accompagner des enfants lors d’une croisière de charité, Addie Ross, qui s’est décommandée, leur fait parvenir un courrier juste avant l’embarquement leur annonçant son départ précipité de la ville avec le mari de l’une d’entre elle. Mais lequel ?

 

« - Pourquoi parle-t-on toujours d’Addie Ross ?

   - Mes chères, si vous ne parliez pas de moi, vous n’auriez rien à vous dire »

 

Ann Sothern, Linda Darnell et Jeanne Crain. Les AcaciasOn ne présente plus l’immense réalisateur qu’était Joseph L. Mankiewicz. Scénariste d’une finesse et d’une intelligence incroyable, réalisateur virtuose, il aura signé quelques-uns des plus grands chefs d’œuvre de l’âge d’or Hollywoodien. A l’aise dans tous les styles, on lui doit entre autre le sublime « L’aventure de Mme Muir » (1948), « Eve » (1951), « On murmure dans la ville » (1952), « La comtesse aux pieds nus » (1954), « Soudain l’été dernier » (1959), et bien évidemment l’immense « Cléopâtre » (1963). Mais plus que tout, à travers ses œuvres, Mankiewicz aura également apporter une certaine modernité au cinéma. Ce « Chaînes conjugales », son sixième film, est une adaptation (qu’il co-signe avec Vera Caspary) d’un roman de John Klempner. Réalisé en 1949, il lui vaudra la même année les Oscars du meilleur réalisateur et du meilleur scénario.

 

« Vous voyez Déborah, nous formons une grande et heureuse famille »

 

Jeanne Crain, Jeffrey Lynn, Kirk Douglas et Ann Sothern. Les AcaciasS’il est vrai que malgré les récompenses « Chaînes conjugales » n’est pas le plus connu des films de Mankiewicz, il n’en est pas moins un réel chef d’œuvre. Basé sur un scénario extrêmement brillant, passant avec subtilité de la comédie au drame, Mankiewicz se sert de la lettre d’Addie Ross comme prétexte pour autopsier les trois couples via des flash-backs. Chacune à son tour, les héroïnes de ce film vont se remémorer à quel moment elles n’ont pas su faire face ni s’opposer à Addie Ross, cette femme de classe, de bon goût, omniprésente mais qu’on ne voit jamais (on ne peut que l’entendre puisque c’est la narratrice, et apercevoir ses épaules dénudées et sa cigarette derrière un mur lorsqu'elle discute avec Brad), et qui a toujours le don par ses attentions qui arrivent toujours au bon moment de créer le trouble. C’est ainsi elle qui fait livrer du Champagne pour le retour à la vie civile de Brad alors qu’elle n’est pas là, ou encore c’est elle qui offre le disque rare que voulait George pour son anniversaire que sa femme a oublier. Mais plus que tout, ces réminiscences révèlent à chacune les failles de son couple, que ce soit le sentiment d’infériorité et de malaise pour Déborah l’ancienne paysanne face à la vie sociale de son mari, l'arrivisme et le carrierisme de Rita qui écrase et castre de cette façon son mari, ou encore l’incapacité d’exprimer ses sentiments pour Lora Mae qui vient d’une famille pauvre et dont le mari pense qu’elle ne l’a épousé que pour son argent. Dans tous les cas, Mankiewicz nous livre ici une critique sociale de l’Amérique bourgeoise et wasp de l’époque, où prédomine des valeurs comme l’argent, le statut social et l’apparence au détriment de l’amour et de la connaissance de soi et de l’autre.

 

« C’est curieux, les hommes sont toujours d’accord sur Addie Ross et George Washington et rien d’autre »

 

Ann Sothern et Kirk Douglas. Les AcaciasL’Oscar de la mise en scène est largement mérité tant Mankiewicz maîtrise son sujet. On y retrouve deux caractéristiques importantes de son œuvre, à savoir des dialogues particulièrement bien sentis et savoureux, et l’utilisation du flash-back. Procédé scénaristique toujours assez risqué, Mankiewicz l’utilise intelligemment pour mettre en valeur les doutes et les introspections de ses personnages. Si on ajoute à cela la fluidité et la modernité de ses mouvements de caméra, on ne peut qu’être sous le charme de ce film. Sa direction d’acteurs tient également de la perfection, d’autant que derrière, la distribution est riche et qu’elle est on ne peut plus à la hauteur. Tout d’abord dans les rôles principaux, on ne pourra que saluer les excellentes prestations des ses trois interprètes féminines. Que ce soit Jean Crain, parfaite en femme peu sûre d’elle, Ann Sothern en femme castratrice, ou la sublime et vénéneuse Linda Darnell en femme intéressée, elles jouent une partition parfaite et pèsent également beaucoup dans la réussite de ce film. Côté masculin, on retiendra les grosses performances de Kirk Douglas dans un rôle inhabituel d’homme soumis, et Paul Douglas parfait en rustre macho au grand cœur.

 

« -     C’est donc elle Addie Ross. Elle a le port d’une reine.

-         Les reines doivent lui ressembler »

 

Intemporel et d’une grande modernité, « Chaînes conjugales » consacrera pour la première fois le grand Mankiewicz, lui donnant plus de latitudes et de crédits pour réaliser ses films suivants. Critique sociale acide, où le couple ne repose que sur les apparences sociales, le révélateur Addie Ross met en évidence des peurs communes à ces femmes du même milieu : la perte du mari bien sûr, mais derrière aussi la perte d’un confort matériel et d’un statut social, ainsi que la peur de la solitude. Scénario brillant, mise en scène d’une rare fluidité, interprètes sublimes, toutes les conditions sont réunies pour faire de ce  « Chaînes conjugales » un authentique chef d’œuvre. Indispensable.

 



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B
Force est de convenir qu'on se doit d'aller voir ce film au plus vite sous peine de manquer une référence dans sa culture cinématographique !
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Le site sans prétention d'un cinéphile atteint de cinéphagie, qui rend compte autant que possible des films qu'il a vu!