Conversation(s) avec une femme
Le Cinéma a ceci de formidable qu'il nous surprend en permanence. On entre au hasard d'une salle en pensant voir un petit film anodin pour ne pas dire un navet, et on ressort en ayant l'impression d'avoir vu un très bon film, où le réalisateur se livre émotionellement, et de surcroit en prenant le parti d'un format assez risqué (pour ne pas dire "casse-gueule"!), loin des films lisses, uniformisés et aseptysés, dont nos salles regorgent. Car ce "Conversation(s) avec une femme", sans être ni un ovni, ni une révolution cinématographique, n'en reste pas moins un film très personnel, émouvant, et culoté.
"Dix années à courrir, le coeur battant, après ces femmes qui te ressemblaient mais qui n'étaient pas toi"
D'un point de vue scénaristique, le film apparait au premier abord comme assez classique. Le récit commence dans une salle de mariage new-yorkaise, à l'ambiance guindée et assez austère, durant laquelle un homme, seul, observe une femme, à priori seule aussi, avant de l'aborder. Jusqu'ici rien de révolutionnaire. La conversation qui s'en suit en revanche se fait sur un mode de séduction assez poussé et charmant, et surtout révèle au fur et à mesure un passé commun aux deux protagonistes qui ne sont, de toute évidence, en aucun cas des inconnus l'un pour l'autre. Elle se poursuit le temps d'une nuit, de débats en ébats amoureux, et le passé commun, monté en une sorte de toile mystèrieuse, ne se dévoile finalement clairement qu'à la fin où l'on apprend que ces deux-là ont été follement amoureux et mariés lorsqu'ils étaient tout jeune, avant une séparation douloureuse et abrupte dix ans plus tôt. Dix ans durant lesquels ils n'ont pas eu de contacts. Dix années de frustration, qui exacerbent leurs retrouvailles.
Le génie de ce scénario réside dans la qualité des dialogues, toujours impeccables, et qui font mouche systématiquement, et dans le côté très réel des sentiments exprimés. Ainsi, les personnages passent du jeu de séduction le plus pur, et le plus rieur, au jeu de destruction le plus mesquin, à savoir lequel blessera l'autre en premier et le plus fort, expression la plus basique de la frustration et des regrets.
"Ne fais pas ton malin, j'ai horreur que tu fasses ton malin"
L'autre atout de ce film, c'est sa mise en scène, très personnelle. Hans Canosa a choisi, avec culot, un certain nombre de partis pris, qui auraient pu plomber sérieusement son premier film. Car celui-ci est avant tout construit comme une pièce de théâtre, avec deux uniques personnages, à huis-clos, qui dialoguent pendant une heure et demie. Mais la qualité du scénario et de l'interprétation lui permettent d'atteindre ses buts sans soucis. Cette construction est renforcée par le procédé du "split screen", divisant en permanence l'écran en deux parties, afin de nous montrer systématiquement la réaction des deux personnages. Il s'en sert aussi de temps en temps pour exposer des flash-backs sur la vie du couple. Ce procédé, qui a l'avantage de renforcer la séparation physique du couple, est utilisé ici à bon escient, même s'il est un peu fatigant pour les yeux et pour la bonne appréciation du film.
Ce film révèle aussi deux comédiens extraordinaires, qui sont pour beaucoup dans la beauté de ce film. Il y a tout d'abord Helena Bonham-Carter, magnifique manipulatrice et séductrice, qui mène totalement ce jeu de séduction. Et puis il y a la révélation, Aaron Eckhart, jusqu'ici inconnu au bataillon, et qui arrive incroyablement, en un instant, à passer du séducteur charmeur à l'amoureux désabusé et pudique.
"Si tu dois partir, n'emporte que ces mots: je t'aime"
Bilan des courses: si ce film pouvait à priori ressembler par son scénario à d'autres réalisations telles que "Before Sunset" voire "Eternal Sunshine of the spotless mind", Hans Canosa arrive, par ses choix, à faire un film très personnel et très attachant. En s'appuyant sur un scénario et des dialogues au plus près de la réalité des sentiments humains, il se démarque de ces prédécesseurs. En posant simplement la question - sans y répondre - de savoir si l'amour est éternel et s'il peut reprendre après s'être arrêter, il propose une variation très émouvante, à laquelle chacun est libre de répondre. Un excellent film.
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