Le dernier des géants
« - Ma fin est proche et dire que vous me disiez que jétais fort comme un buf
- Je ne vous ai pas dit quils étaient éternels
1901. Précédé de sa réputation de justicier infaillible dans les duels au pistolet, John Bernard Books arrive à Carson City dans le Nevada. Tandis que plusieurs de ses vieux ennemis entendent bien lui faire payer une dette ancienne, Books oublie la menace pour consulter son ami, le Dr. Hostetler. Diagnostic : Books est atteint dun cancer en phase terminale. Mais son arrivée perturbe quelque peu la petite ville : ses vieux ennemis semblent bien décidés à lui faire payer le prix de ses actes, le Marshall craint tout débordement de violence pouvant mettre en péril la fragile croissance de la cité, et sa logeuse lui reproche son manque de moral. Vénéré par le fils de celle-ci, Books se refuse au désespoir, à la résignation. Quitte à mourir, autant mourir les bottes aux pieds et le colt arraché à son fourreau.
« - Je vais mourir
- Vous voulez rire ?
- Je nai pas assez dhumour pour ça »
Essentiellement connu pour ses réalisations de films daction portés par Clint Eastwood (« Linspecteur Harry », « Lévadé dAlcatraz ») et pour ses polars sombres (« ça commence à Vera Cruz », « Police sur la ville »), Don Siegel a également réalisé de nombreux western durant lapogée de ce genre cinématographique, parmi lesquels « Les rodeurs de la plaine » ou « Sierra Torride ». « Le dernier des géants », réalisé en 1976, est son dernier western. Plus symboliquement, il sagit surtout du dernier film interprété par le mythique John Wayne, qui, atteint dune longue maladie, devait décéder moins de trois ans plus tard. De manière plus générale, ce film est également considéré comme le dernier grand western classique dans la continuité de ceux des années 40 et 50. En effet, ceux qui seront réalisés par la suite, à savoir les « Silverado », « Mort ou vif », ou autres « Young guns », nauront plus grand chose à voir avec les films de la grande époque.
« Ma règle de vie est simple : je veux quon me respecte. Je ne tolère pas les insultes et je ne supporte pas quon pose les mains sur moi. Cest un principe que japplique aux autres et je suis en droit de lexiger deux »
« Quand la légende dépasse la réalité, écrivez la légende » disait un personnage au détour de « Lhomme qui tua Liberty Valance ». Mais si les légendes sont immortelles, il nen va pas de même pour ceux qui les écrivent. Film éminemment nostalgique, « Le dernier des géants » confronte une ancienne légende de louest, en loccurrence le justicier JB Books, à la maladie, à la mort et à la fin de lère de louest sauvage rattrapé par le progrès et la modernité. En plaçant laction en 1901, avec comme lindique le journal local la mort de la Reine Victoria, Don Siegel annonce la fin dune époque faite dhommes rudes, de fusillades et de duels au révolver, et détendues sauvages à perte de vue. Une époque dans laquelle le vieux Books, rattrapé par la maladie, na plus sa place. Ceux qui admiraient ses exploits autrefois voient désormais en lui le vestige dune époque révolue et le symbole dune violence qui pourrait compromettre la tranquillité, la marche vers le progrès et la prospérité de la petite ville. Dautres enfin aimeraient profiter de son déclin pour labattre plus facilement et gagner ainsi en notoriété. Une hostilité générale qui explique lamertume de ce vieux héros qui sait sa fin proche et qui ne souhaite quune chose, comme un dernier pied de nez au destin, à savoir mourir comme il a vécu, larme à la main. Mais plus que tout, « Le dernier des géants » est un vibrant hommage à un genre le western et à son plus fier représentant : John Wayne. Malade, se sachant lui aussi atteint dun grave cancer, le « Duke » voit en ce film un moyen de soigner sa sortie, de boucler la boucle de la plus élégante des façons, en jouant dans un dernier film aux allures incroyablement biographiques. Car derrière le personnage du vieux JB Books, cest bel et bien à John Wayne, incarnation du héros populaire brave et droit, que Siegle rend un émouvant et admiratif hommage, comme en témoigne les images douvertures du film, censées retracer les exploits du héros, et composées dun florilège dextraits des grands western dans lesquels le Duke a joué. Au-delà de lacteur, le film rend également hommage au genre du western, symbole du cinéma populaire et de lâge dor des studios des années 40 et 50, dont la fin des années 70 annoncent le crépuscule.
« Cette fois jai mon compte, mais bon dieu, jai pris du sacré bon temps »
Atypique, ce western lest également dans sa forme. Son récit, de manière très biblique, se découpe en huit journées, durant lesquels le vieux héros apprend sa maladie et sa fin prochaine, prend ses dernières dispositions, et prépare sa propre apocalypse. Pour se faire, Don Siegel opte volontairement pour un style assez contemplatif, permettant de mettre davantage en valeur la personnalité de notre vieux cowboy, ainsi que sa relation à la mort et aux autres. De ses retrouvailles avec un vieil ami de jeunesse devenu médecin, ou dans la relation filiale quil noue avec le fils de sa logeuse à qui il semble passer le témoin, on retiendra une belle émotion toujours exprimée dans la plus grande pudeur. Mais plus que tout, cest la relation tumultueuse quil entretient avec sa logeuse qui savère la plus touchante, résumant à elle seule toutes celles quil a pu entretenir avec les femmes au cours de sa vie. A la fois misogyne et séducteur, on comprend que celui-ci a été toujours été tour à tour admiré et méprisé. Ne lâche-t-il pas ainsi à Lauren Bacall un révélateur « La colère vous va à merveille, vous devriez vous fâcher plus souvent » ? Il en va de même lors de ses retrouvailles avec «la seule femme quil ai jamais aimé », dont la visite se révèle tristement et purement intéressée. Don Siegel le confronte également à la mort, au travers de nombreux personnages sadressant à lui comme sil était déjà mort et enterré et pour qui son décès nest synonyme que de business. Reste la fin, une fusillade en apothéose, qui apporte le peu daction dont pouvait jusque là manquer le film, et qui offre la plus belle des sorties à notre héros, qui peut désormais entrer pleinement dans la légende. Avec sa mise en scène assez aérienne, plongeant en douceur dans lintimité du héros, Don Siegel signe une réalisation des plus soignée. Une impression confirmée par le grand soin apporté aux décors, magnifiant une dernière fois les vastes étendues naturelles, et reconstituant parfaitement latmosphère particulière des petites villes gagnées par le progrès, le tout parfaitement mis en valeur par une photographie de grande qualité, cherchant à rappeler par les éclairages et les couleurs le charme du Technicolor. Pour son dernier film, le vieillissant John Wayne livre une très grande prestation, où derrière la pudeur et la rudesse du personnage pointent clairement une sensibilité et une émotion particulière. De quoi faire taire ses détracteurs qui lui reprochaient un jeu trop « monolithique ». A ses côtés, on retrouve avec plaisir de nombreux comédiens amis de longues dates du Duke, qui auront la particularité davoir souvent joué avec lui dans de nombreux westerns. Parmi eux, citons Richard Boone, John Carradine, Harry Morgan, ou encore le grand James Stewart, qui restera à jamais son rival dans le génial « Lhomme qui tua Liberty Valance ». On retrouve également Lauren Bacall, qui livre une jolie performance en femme de caractère. Enfin, petit bémol pour le tout jeune Ron Howard encore chevelu, cantonné dans un rôle un poil agaçant et sans envergure. Crépusculaire et nostalgique, Don Siegel signe avec son « Dernier des géants » un western touchant et très réussi. Film hommage à un genre et à un acteur de légende, il permet au mythique John Wayne de tirer sa révérence de la plus belle des manières. Comme le dirait Eddy Mitchell : « La lumière revient déjà, le film est terminé, cétait la dernière séance ». Une page se tourne véritablement avec ce film qui annonce la mort dun genre et dune époque. So long, cowboy
A lire également, la belle critique de ce film sur le blog "La plume et l'image", ici
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