La dernière chasse
« Tuer, cest naturel. LArmée nous la appris : plus on tue, meilleur on est »
En 1883, dans des paysages grandioses du Dakota, deux anciens compagnons font équipe dans une campagne de chasse aux bisons. Charley, au tempérament cruel, sadique et raciste s'oppose à Sandy, plus humain et sensible, qui tente sans cesse de calmer les instincts meurtriers de son associé. Tandis que l'un prend de plus en plus conscience que tuer des animaux équivaut à conduire les Indiens à la famine, l'autre massacre sans pitié une de leur famille en gardant pour lui la seule survivante. Cette dernière qui hait Charley se rapproche petit à petit de Sandy qui lui témoigne attention et tendresse. Dès lors, la rivalité des deux hommes ne fait que s'envenimer...
« Chasser le bison, cest largent facile et la mauvaise conscience. La mauvaise conscience je lai déjà, alors autant prendre largent »
Réalisé en 1956 par limmense Richard Brooks, cette « Dernière chasse » est un western atypique. Atypique tout dabord dans la carrière du réalisateur, puisque le nom de ce dernier restera surtout attaché à quelques chefs duvre du registre dramatique, tels que « La chatte sur un toit brulant » (1958), « Elmer Gantry, le charlatan » (1961), ou encore « Graine de violence » (1955). Atypique, le film lest également par son sujet, puisquil traite clairement du génocide commis par les américains contre les amérindiens. On reconnaît bien là la verve provocatrice et la lucidité dappréciation des notions déthique et de justice du réalisateur, qui sattachera souvent à dénoncer les dérives sociales, comme il le fit avec la religion dans le sulfureux « Elmer Gantry ». Car mine de rien, dans lAmérique des années 50, le sujet est encore clairement tabou, et la société se laisse encore bercer par des westerns mettant en avant les bons vieux héros de louest, viril, violent et souvent assez fachos, incarnés bien souvent par John Wayne, Gary Cooper, ou Randolph Scott. Lors de sa sortie le film fit leffet dune bombe, et fut clairement boudé par les spectateurs. Le sujet polémique poussera même bon nombre de pays à ne pas le sortir du tout. Pour lanecdote, les scènes de massacres de bisons ont été réalisées sans trucages, léquipe du film ayant eu lautorisation de filmer des tireurs délie de larmée américaine dans une opération de diminution des troupeaux. Enfin, si Brooks réalisa peu de western (trois en tout), il réalisera tout de même dix ans plus tard un autre chef duvre du genre, avec « Les professionnels ».
« Fut un temps où lArmée nous encourageait : tuer un bison, cétait comme tuer un indien. On en était réduit à ça pour en venir à bout »
Si aujourdhui la cause amérindienne et son massacre par les colons américains est abordée de manière décomplexée et fréquente par le cinéma (on pense notamment au sublime « Danse avec les loups » de Costner), lâge dor des studios et du western « classique » naura pas laissé beaucoup de place pour ce sujet « tabou ». Tout juste pourra-t-on citer « La flèche brisée » de Delmer Daves (1950), qui abordait déjà ce thème de la responsabilité des « blancs » dans lextermination des indiens. Mais il serait réducteur de limiter le film de Brooks à cette unique dénonciation tant celui-ci est beaucoup plus complexe et profond. Car sil montre clairement comment le pouvoir politique américain sest impliqué pour venir à bout des indiens (prime aux chasseurs pour chaque bison abattu - ces derniers constituant la nourriture et la fourrure indispensables aux populations indiennes, et regroupement de ces derniers dans des réserves où on les laissait mourir de froid et de faim), il nous montre également une réalité encore plus sombre. Tout dabord dun point de vue identitaire, avec ce personnage de jeune métis indien, prêt à participer à lextermination dans lespoir de gagner la même considération que les blancs en dépit du racisme et des brimades quil subit. Pire que cela, outre le fait que tuer les troupeaux de bisons revenait à les priver de nourriture, le film nous montre également que cela participait également à la volonté de supprimer la culture indienne, le bison étant également considéré comme une divinité. Il y a une grande violence qui ressort de cette volonté étatique déradiquer les indiens non seulement physiquement mais aussi culturellement. Ensuite dun point de vu social, en opposant deux hommes, un chasseur qui agit par nécessité et avec des remords suite à la destruction de son troupeau et de ce fait à sa ruine, et un autre qui le fait par plaisir, étalant sans scrupules la haine quil éprouve pour les indiens. Cest dailleurs sur la rivalité et la confrontation entre ces deux hommes que le western est judicieusement bâti. Pour autant, on pourra reprocher à Brooks certaines compromissions ou facilités, notamment dans le traitement de son personnage de « gentil » chasseur, finalement beaucoup trop ambigu dans ses actes pour pouvoir être défendable (il chasse tout de même des dizaines de bisons pour largent, se rachetant une conduite en respectant les coutumes indiennes en refusant dabattre le bison blanc sacré, et en prenant la défense dune jeune indienne recueillie suite au massacre de sa tribu). En outre, il ne va pas clairement au bout de sa dénonciation, comme le prouve par exemple le traitement du personnage de la jeune indienne, retenue malgré elle telle un objet, mais dont le réalisateur précise quelle nest pas violée malgré le désir du méchant chasseur, histoire de rester malgré tout politiquement correct. Enfin, les images de massacre de bisons finissent par imposer un sentiment oppressant de mal-être et de dégoût, qui bien que certainement voulu par le réalisateur, rendent le visionnage de ce film quelque peu difficile.
« - Vous prenez notre nourriture, et en plus vous détruisez nos croyances
- Tuer, cest la preuve quon est vivant »
Côté mise en scène, Brooks livre ici un western de facture très classique, en Technicolor, avec ses grands espaces et sa nature hostile. Tout juste reconnaîtra-t-on au réalisateur une certaine forme doriginalité dans sa manière limiter laction et les gunfights au stricte minimum, privilégiant de ce fait laspect psychologique et moral. Côté interprètes, même si il sagit de quelque chose de commun pour lépoque, on ne peut que soffusquer de voir un western prenant fait et cause pour la nation indienne, imposer une actrice « blanche » (en loccurrence Debra Paget, qui plus est, na rien d « indien » dans son physique) pour interpréter le personnage de la jeune femme indienne. Au delà de ça, on retiendra surtout le face à face entre deux acteurs de légende qui nont pour autant pas forcément été spécialistes du western, en loccurrence Stewart Granger et Robert Taylor. Si le premier livre une prestation impeccable, jouant parfaitement de lambiguité de son personnage, le second est plus décevant, en raison de son jeu assez caricatural. En outre, le hasard faisant bien les choses, on remarquera avec une pointe dironie que Robert Taylor, acteur connu pour ses positions réactionnaires et qui se sera illustré quelques mois auparavant en étant lun des principaux délateurs dHollywood auprès de la Commission McCarthy, hérite ici du personnage du bon facho bien primaire. Un rôle qui du coup lui va à ravir ! De là à y voir une revanche de la conscience sur la bêtise... A noter enfin la savoureuse prestation de Lloyd Nolan, qui avec son second rôle de vieil alcoolique sage (façon Walter Brennan), volerait presque la vedette à ses collègues. Au final, même sil a un peu vieilli, ce western nen demeure pas moins noble pour son message et sa dénonciation dun sujet jusqualors « tabou ». Film âpre et oppressant, cette « Dernière chasse » est importante car ouvrant la voie à des westerns plus politiques que divertissants, qui se multiplieront progressivement jusque dans les années 70. Une raison suffisante pour prendre le temps de regarder ce western.
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