Les femmes de l'ombre
« Tu vas crever comme une putain à qui la vie na pas laissé le choix. Cest ça que tu veux ? »
Mai 1944. Engagée dans la Résistance, Louise fuit à Londres après lassassinat de son mari au cours dune action de sabotage ayant mal tournée. Là-bas, elle retrouve Pierre, son frère quelle croyait disparu et rangé du côté des collabos. Celui-ci lui propose dintégrer son réseau de service secret, uniquement composé de français, mais placé sous les ordres de Churchill. Sans être réellement formée, elle est engagée pour recruter des femmes qui participeront avec elle à une mission imminente, visant à exfiltrer un espion anglais, géologue de son état, qui faisait des relevés sur les plages normandes en vue du Débarquement. Grièvement blessé, et sous une fausse identité, ce dernier se trouve dans un hôpital normand où il est surveillé et protégé par une infirmière résistante. Mais les choses se compliquent lorsque que le Colonel Heindrich, ponte des services secrets de la SS, qui cherche à récolter un maximum dinformations sur le Débarquement, le retrouve. Si lopération, musclée, est un succès, Pierre est néanmoins capturé par les allemands. Dès lors, la mission change, et les cinq jeunes femmes doivent partir pour Paris, retrouver Pierre et tuer Heindrich
« Si vous êtes arrêtées, la consigne cest de tenir 48 heures. Parler trop tôt, cest sacrifier des camarades »
Ayant sorti nanars sur nanars, films « populaires » sans grande ambition et totalement creux, la sortie du nouveau film de Jean-Paul Salomé, « Les femmes de lombre », saccompagne forcément dun lot de critiques assassines et dune bonne dose dappréhension. Il faut dire que le bonhomme est responsable, pour ne pas dire coupable, de quelques-unes des plus grosses bouses sorties sur nos écrans ces 10 dernières années. « Restons groupés » (1998), « Belphégor » (2001), ou encore « Arsène Lupin » (2004), sont ainsi à mettre à son crédit. Forcément, son projet sur la seconde guerre mondiale, rendant hommage aux combattantes françaises de lombre oubliées par lHistoire, avait de quoi laisser perplexe. Et ce bien que le sujet lui tenait à cur. Un sujet qui lui est venu par hasard, au détour dun portrait dune résistante française paru dans le Times. Celle-ci, Lise Villameur, faisait partie dune groupe dune cinquantaine de françaises et de français, officiant comme espions pour le compte des Services Secrets (SOE) crées par Churchill. Avec laide de lhistorien Olivier Wieviorka, Jean-Paul Salomé sest donc consacré pleinement à ce projet, souhaitant rendre hommage à ces femmes combattantes, qui, comme il nous le rappelle, nont pas toujours eu la reconnaissance à laquelle les hommes ont eu droit. Pour la petite histoire, cest Laura Smet qui avait été choisie pour interpréter le personnage de Suzy. Malheureusement, en proie à une dépression, elle du renoncer en cours de tournage, le rôle revenant donc finalement à Marie Gillain.
« Jamais vous auriez fait un coup comme ça à des hommes »
Sujet historique grave et méconnu, intentions louables : « Les femmes de lombre » donnait matière à faire un grand film de guerre, une grande fresque historique, dramatique et émouvante, à condition de la traiter avec un maximum de retenue et de sobriété. Deux qualités qui font cruellement défaut à Jean-Paul Salomé. Il faut dire que ce dernier tombe systématiquement dans tous les pièges en accumulant tout ce quil ne fallait pas faire : personnages mal dessinés et caricaturaux (Suzy, Gaëlle) rendant ces portraits de femmes particulièrement ternes, situations clichées et improbables (détournement de lattention des soldats par un spectacle de strip-tease pour libérer un prisonnier à leur barbe, fusillade dans le métro au milieu des civils), mélo guimauve (relation entre Suzy et Heindrich) et franchement tire-larmes (la relation entre Louise et son frère), le film tourne très vite au mauvais téléfilm, un peu cheap et franchement creux. Le traitement de lhistoire est également critiquable : Salomé sinspire ici clairement de la trame des « Sept mercenaires » (Sturges 1960) et des « Douze salopards » (Aldrich 1967), avec la présentation dune situation dramatique, dun oppresseur à éliminer, du recrutement des personnalités adéquates (forcément très opposées, spécialisées dans des domaines très différents, et à la fin logiquement très complémentaires et liées), et de leur sacrifice successif pour le bien de la mission. Une telle construction est parfaitement adaptée pour un western ou un film de guerre, mais beaucoup moins pour un film historique. Leffet est donc inverse et donne lieu à des scènes hallucinantes de clichés et dimprobabilité (Pierre connaît tout des plans du Débarquement alors quil est plus que douteux que les alliés aient pris le risque denvoyer des hommes trop bien informés en zone adverse de peur quils livrent des infos primordiales à lennemi ; par ailleurs nos héroïnes travaillent avec un collabo quelles avaient dans un premier temps capturé et quelles néliminent jamais et qui ne les dénonce jamais ; le coup du piège tendu par lune delle qui est en fait lancien amour du colonel est franchement risible, apportant une touche de romanesque à deux balles). Un tel sujet aurait mérité un traitement bien différent, plus sobre, dramatique, et respectueux, comme pouvait lêtre le chef duvre de Melville, « Larmée des ombres ».
« La pitié, tu ne connais vraiment pas. Essaie dêtre plus humaine pour une fois »
Le film ne brille pas non plus par sa réalisation. Si le choix de tourner le film en décors réels semble justifié et judicieux, apportant une sorte de véracité au sujet, la photographie du film et ses mouvements de caméras, franchement académiques, et pas assez amples, trop studieux et calibrés, lui confèrent un regrettable aspect visuel digne dun téléfilm. Souffrant du même mal, le récent « Un secret » de Miller semble mettre en avant un problème récurrent touchant les films français récents traitant de cette période. Les acteurs ne sont pas non plus transcendants, livrant dans lensemble une performance là aussi assez moyenne. Sophie Marceau, toujours égale à elle-même, en fait des caisses dans un rôle où la retenue était de mise. Pire, elle semble vraiment croire dur comme fer à son personnage, pourtant constamment dans lexcès et le faux. A ses côtés, Marie Gillain est étonnement transparente (il faut dire que son rôle est on ne peut plus caricatural), et Déborah François bien pâle (donneuse de leçon qui craque dentrée devant linterrogatoire, sa quête de rédemption associée à son côté cul-béni en fait également un personnage particulièrement mal écrit et mal traité). La pire performance est à mettre au crédit de Julien Boisselier. Véritable énigme cinématographique française (pas du tout cinégénique, jeu stéréotypé), il manque cruellement de charisme pour tenir comme il se doit ce rôle de dur à cuir. La bonne surprise vient, comme toujours, de Julie Depardieu, qui brille par sa justesse dans un nouveau (et énième) rôle de grande gueule gouailleuse au grand cur. Lautre bonne surprise vient de Moritz Bleibtreu. Le comédien allemand, vu dans « Les particules élémentaires » et dans « Le concile de pierre », habite de manière très juste cet officier nazi, tiraillé entre sa violence, son obsession pour la traque de linformation, et la recherche de son ancien amour. Tout juste assez pour rendre ce film regardable et distrayant. Les héroïnes de lombre, quelque peu oubliées par lHistoire, méritait quand même un hommage un peu plus poignant et fidèle à leur sacrifice. Mais bon, comme on dit, cest lintention qui compte
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