Hunger
« - La prochaine fois, je naitrais à la campagne. Tu apprendras peut-être à te détendre »
Prison de Maze, Irlande du Nord, 1981. Raymond Lohan est surveillant, affecté au sinistre Quartier H, celui des prisonniers politiques de l'IRA qui ont entamé le "Blanket and No-Wash Protest" pour témoigner leur colère. Le jeune Davey Gillen, qui vient d'être incarcéré, refuse de porter l'uniforme car il ne se considère pas comme un criminel de droit commun. Rejoignant le mouvement du Blanket Protest, il partage une cellule répugnante avec Gerry Campbell, autre détenu politique, qui lui montre comment communiquer avec l'extérieur grâce au leader Bobby Sands.
Lorsque la direction de la prison propose aux détenus des vêtements civils, une émeute éclate. La violence fait tache d'huile et plus aucun gardien de prison n'est désormais en sécurité. Raymond Lohan est abattu d'une balle dans la tête. Bobby Sands s'entretient alors avec le père Dominic Moran. Il lui annonce qu'il s'apprête à entamer une nouvelle grève de la faim afin d'obtenir un statut à part pour les prisonniers politiques de l'IRA.
« On peut aussi se conduire comme une armée et se sacrifier pour nos camarades »
Issu du milieu de lart contemporain, Steve McQueen a déjà montré par ses uvres quil est un artiste engagé. Pas étonnant de le voir aborder un sujet aussi politiquement sensible que la grève de la faim de Bobby Sands (1954-1981) et des prisonniers de lIRA (qui aura fait 10 morts en 1981) à loccasion de son premier long de cinéma. Une reconstitution quil voulait minutieuse et surtout sensorielle dans la manière de restituer ce que les prisonniers ont endurer au plus profond deux-mêmes. Pour ce faire, Michael Fassbender ira jusquà perdre 14 kilos pour interpréter Bobby Sands durant sa grève de la faim. Récompensé dans divers festivals où il a été présenté, « Hunger » a notamment reçu la prestigieuse « Caméra dor » au dernier Festival de Cannes (prix récompensant le meilleur premier film), ainsi que le Discovery Award à Toronto et le Prix Coup de cur à Dinard.
« Je ne le fais pas parce que cest ma dernière solution, je le fais parce que cest juste »
Il est toujours délicat de toucher aux symboles. Car quelques soient les actes et les opinions de lIRA, la lutte quauront mené fièrement et jusquà une fin dramatique Bobby Sands et ses compagnons aura été avant tout une lutte pour lhonneur, la dignité, et pour rappeler à la face du monde que lAngleterre de Miss Tatcher tolérait en son sein des pratiques dun autre temps et une barbarie intolérable pour toute démocratie digne de son nom. Lidée den faire un film était dautant plus bienvenue que celui-ci était luvre dun jeune cinéaste anglais, à priori donc du côté des « loyalistes » pro-Royaume-Uni. Pourtant, quelque soit ses bonnes intentions tant dans le fait dexposer le martyr de Sands et de ses camarades que dans la dénonciation de la barbarie du régime de lépoque, le film laisse quand même assez perplexe. Dune part sur le fond : en se focalisant sur le régime de détention et le combat mené par les détenus pour la reconnaissance de leurs droits perd un peu de sons sens du fait que le réalisateur ne prenne pas le temps de rappeler vraiment la situation politique de lépoque en Irlande du Nord. Mais plus que tout, cest la représentation quil nous fait de la détention qui met mal à laise. Car McQueen prend le parti de tout montrer, cliniquement, sans rien épargner à ses spectateurs : des torrents de pisse aux murs recouverts de merde, des tabassages et des corps détruits aux humiliations, en passant par la longue agonie doublée dune dégradation physique visuellement impressionnante du héros pendant sa tragique grève de la faim. Insoutenables, repoussantes, souvent assez malsaines, ces images dérangent et choquent plus quelles ne démontrent ou créent de lempathie. Dautant que le film pâtit également dune réalisation assez « expérimentale », sensorielle, souhaitant clairement impliquer charnellement le spectateur en alternant des grandes phases muettes où le réalisateur prend un malin plaisir à jouer avec les sons pour faire grimper la tension dune atmosphère anxiogène et claustrophobe, avec les scènes parlées, qui sonnent un peu fausses, à limage du long monologue de Sands face à son ami prêtre, où il part dans des embardées faussement lyriques de souvenirs denfance et de poulain blessé. De même, on reprochera au réalisateur sa fascination morbide pour la violence et la mort, lesthétisation à lextrême de la partie relative à la grève de la fin de Sands, durant laquelle il se focalise sur la dégradation de son corps de façon assez christique et un peu malsaine. Clairement, si cest lintention qui compte, on ne pourra que saluer celle du film, qui dénonce parfaitement les crimes et les tortures perpétrées en Angleterre sous ladministration Thatcher. Une dénonciation dautant plus salutaire quelle trouve un écho dramatique dans lactualité, puisque linacceptable est toujours toléré par quelques prétendues démocraties (on pense notamment aux prisons de Guantanamo ou de Abou Ghraib). En revanche sur la forme, le film est plus sujet à critiques. Certains y verront sans doute à juste titre un chef duvre. Dautres, dont je fais parti, regretteront que la forme ait pris le dessus sur le fond, sintéressant plus au matryr enduré par ces hommes quà la cause quils ont défendu.
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