L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
« Il se disait loyal sudiste et franc-tireur dune Guerre de Cessession dans fin »
Etats-Unis, décennie 1870. Jesse James, ancien combattant sudiste qui ne sest jamais remis de la défaite des Confédérés, est un hors-la-loi, braqueur et assassin dont la réputation nest plus à faire sur lensemble du territoire fédéral. Dans une Amérique en proie à une modernisation et une urbanisation galopante, Jesse James apparaît pour certain comme le dernier aventurier de leur époque. Ses exploits, transformés et exagérés par la presse et par la population, nourrissent limaginaire populaire, renforcés par les romanciers et les dessinateurs de bande-dessinées. Alors quil prépare lattaque de nuit dun train en pleine forêt, il recrute pour loccasion quelques bandits locaux. Parmi eux, un jeune admirateur, Robert Ford. Nait alors une relation particulière entre les deux hommes, teintée de domination pour lun, de peur et dadmiration pour lautre. Personne, pas même eux-mêmes, ne sait encore que Robert Ford restera dans lHistoire comme étant lhomme qui tué, lâchement, Jesse James dune balle dans le dos
« Voilà que ce matin encore je tremblais que papa refuse de me prêter son manteau et que ce soir, après lattaque dun train, je me retrouve sur un rocking chair à discuter avec lillustre Jesse James »
Assassin sanguinaire et légende populaire de louest, Jesse James fait partie des quelques figures incontournables de lHistoire américaine et de la conquête de louest. Si lhomme a connu une certaine popularité de son vivant, il a aussi été lobjet de nombreux films depuis lors. Du « Brigand bien-aimé » de King (1939) avec Tyrone Power, à « Jai tué Jesse James » de Fuller (1946), en repassant par le « Brigand bien-aimé », cette fois-ci signé par Nicholas Ray (1957) avec Robert Wagner et Jeffrey Hunter, jusquau « Gang des frères James » de Hill (1980), la vie du célèbre hors-la-loi aura beaucoup inspiré les cinéastes. Pas facile donc de sengager dans un tel projet. Aux manettes de ce projet ambitieux qui a suscité beaucoup de curiosité, on découvre un metteur en scène néo-zélandais, Andrew Dominik. Inconnu au bataillon ou presque, il avait déjà signé un long précédemment, un film australien intitulé « Chopper », en 2000, avec Eric Bana.
« Jarrive pas à te cerner : tu veux être comme moi ou tu veux être moi ? »
Pour son premier film Hollywoodien, on ne peut que constater le culot de Dominik, qui nous propose un western. Si le genre a connu ses heures de gloire des années 30 aux années 60, il est depuis moribond et les rares productions à voir le jour sont souvent décevantes (« Blueberry » de Kounen en 2004, « Mort ou vif » de Raimi en 1995 par exemple). Cest donc un pari un peu risqué que de nous proposer un film de ce genre. Dautant plus que dès les premières minutes, il apparaît comme évident que cet « Assassinat de Jesse James » nest pas un western comme les autres, son format et son histoire le plaçant à des années lumières des productions purement commerciales qui inondent nos salles obscures depuis des années. Sorte dobjet cinématographique non identifié ou presque, Dominik propose ici un western contemplatif, loin des héros clichés et manichéens traditionnels du genre. Loin des duels au revolver dans les rues poussiéreuses et des confrontations shérifs/gangsters, Dominik décide daxer son film sur la psychologie des personnages et non sur laction. Parti pris audacieux quand on sait que le film dure plus de 2h30. Sur un scénario finalement minime, il développe ainsi la personnalité psychologique de ses quelques personnages principaux et secondaires pour mieux étudier la relation ambiguë qui les lient. Loin de licône populaire, Jesse James apparaît comme un personnage charismatique, violent, manipulateur et intelligent, à la fois bon père de famille et bourreau sanguinaire, de plus en plus ravagé par sa paranoïa. Sil donne son nom à ce film, Jesse James ne semble ici que secondaire, il nest que le prétexte de faire entrer dans lHistoire Robert Ford, finalement le vrai « héros » de ce film. Personnage trouble, manipulateur également, menteur, pas fiable, il grandit dans le culte de Jesse James, collectionnant tout ce qui touche de près ou de loin à son idole, tel un fan avant lheure. Leur relation va naître après quils aient participé ensemble à lattaque dun train (scène très réussie par ailleurs), relation ambiguë là encore, marquée par une forme damitié, mais aussi de domination de lun sur lautre, et de méfiance réciproque. Ces portraits sont dressés tout au long de ces 2h30 éprouvantes, où malgré une forme dinaction, la tension monte crescendo calquée sur la folie paranoïaque grandissante de Jesse James qui devient de plus en plus imprévisible, incontrôlable et dangereux, rapprochant de manière inéluctable linstant fatal tant attendu.
« On est jamais en paix quand le vieux Jesse est dans les parages »
Bien évidemment, un des reproches principal que lon peut faire à ce film concerne ses problèmes de rythme. Certes, la lenteur voulue et imposée par Dominik contribue à établir un climat particulier, entre onirisme dune part, et cheminement qui va saccélérant vers un dénouement funeste certain de l'autre. Mais il nen est pas moins vrai que le film paraît très long. Dautant que le final, sorte dépilogue sur le destin teinté de malédiction de Robert Ford, reste quand même un peu lourdingue, et semble ne jamais finir. Mais à part ça, on ne peut que sincliner devant la jolie réalisation de Dominik. Son film jouit dun visuel magnifique, porté la photographie sublime de Roger Deakins, à dominance ocre, qui renforce ce sentiment de contemplation et de désenchantement. Le casting, impeccable sur le papier, lest également à lécran. Brad Pitt fait étalage de sa classe : son jeu sobre mais parfaitement juste, sa plastique et son charisme rappelle Robert Redford dans ses meilleurs westerns. A ses côtés, Casey Affleck fait mieux que dexister, il lui vole carrément la vedette. Encore peu connu du grand public (malgré ses prestations avec Pitt dans la saga « Dany Ocean »), il montre ici toute la mesure de son immense talent. On saluera également les seconds rôles, tous très bons, à commencer par le trop rare Sam Sheppard, ainsi que Sam Rockwell, Jeremy Renner (vu récemment dans « 28 semaines plus tard »), et Paul Schneider.
« Je me demande souvent comme Jesse James a pu si mal tourner. Je suis devenu un problème pour moi-même »
Au final, cet « Assassinat de Jesse James » ressemble à une forme dovni cinématographique un peu déroutant mais nen demeure pas moins un film intéressant et pétri de qualités. On pourra lui reprocher sa longueur où son manque daction. Mais Dominik propose autre chose, entre la rêverie contemplative, la reflexion sur la gloire et la violence et létude psychologique. De plus, son film est à créditer dun visuel léché et magnifique. Il est certain que cet « Assassinat de Jesse James » nest pas un film grand public et que certains spectateurs ne sy retrouveront pas du tout. Néanmoins, avec son format qui sort des sentiers battus et partis pris originaux tant sur la forme que sur le fond, Dominik se rapproprie un genre quil tente de réécrire à sa manière et selon ses propres standards. En ces temps de productions uniformisées, la démarche est suffisamment audacieuse et originale pour mériter dêtre vue. Ce nest peut-être pas le plus grand film de lannée, mais cest certainement un grand film.
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